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pothétique comme tous les impératifs humains. « Si tu ne veux pas que je te fasse fusiller », sous-entend le colon qui me donne un ordre. Ainsi son ordre est un conseil, que peut-être un conseil intérieur affrontera et me fera mépriser. Le conseil prend l’apparence d’un ordre quand on suppose que je veux réaliser l’hypothèse sur quoi il s’appuie. Tout comme les anciens rois de France, mon médecin rédige des ordonnances : il suppose légitimement que je veux guérir et vaniteusement que j’ai confiance en lui. Un professeur de danse ou de billard profère ses règles aussi apodictiquement que Kant ou mon curé : ma présence chez eux les autorise à sous-entendre mon vouloir.

Pour l’être noble qui a soif de vérité, de beauté créée, de beauté vécue, trois impératifs deviennent, par son vouloir et sa constance, catégoriques. Il a épousé sans divorce possible les trois hypothèses. Il est prêt à sacrifier les fins moins intéressantes à la science, à l’art au rythme libre de sa conduite. Mais la nécessité intérieure de savoir, de créer ou de se réaliser n’a une force triomphante que chez un petit nombre. Pour les populaces d’en haut ou d’en bas, sont autrement impératives, non point seulement les nécessités biologiques, mais les fantaisies chatouilleuses ou enivrantes du plaisir, de la richesse, de la vanité. La conscience est aussi facile à étouffer que le goût délicat ou l’amour du vrai. Pour défendre en nous ce centre libre, ne nous laissons « bourrer le crâne » ni par autrui ni même par la logique ; ne nous laissons bourrer le cœur ni par ! es instincts ni surtout par les traditions. — Han Ryner.

CONSCIENCE. (lat. conscientia). Sentiment qu’un être a de son existence — sentiment du moi, ex : L’homme a conscience de sa liberté. Un profond sommeil lui a fait perdre la conscience. Sentiment intérieur par lequel l’homme juge du bien ou du mal de ses actions, ex : Suivre les inspirations de sa conscience ; parler contre sa conscience.

Tout le monde attache au mot « Conscience » deux acceptions différentes. Certains dictionnaires donnent jusqu’à dix-sept définitions de ce mot. Cela provient de l’état actuel de la science, qui ne peut démontrer la réalité de la conscience en tant qu’être immatériel et qui est en conflit avec les religions, qui affirment que la conscience est une qualité de l’âme. D’autre part, la science matérialiste apporte un troisième point de vue :

La conscience, ou sensibilité, ou sentiment d’existence, est une fonction de la matière à un certain moment de son évolution. Philosophiquement, il est d’une grande importance de savoir ce qu’est la conscience. Descartes expose et défend ce point de vue : si l’âme, la conscience, la faculté de sentir, sont une fonction de la matière, la conscience, l’âme, la faculté de sentir, sont partout, à un degré différent. Il n’y a pas de différence essentielle entre l’homme et les animaux, les animaux et les choses… il n’y a pas, de ce fait, de Liberté ; l’homme est matière, essentiellement matériel ; il n’y a ni bien ni mal ; le seul bien est de satisfaire ses passions, et comme la conscience n’existe pas en réalité, il n’y a pas de mal à employer pour cela tous les moyens. Au contraire, si l’homme seul possède une âme immatérielle, une conscience réelle, les ordres de cette conscience doivent être écoutés et sont le bien, les interdictions le mal. Et plus tard, le socialiste belge Collins reprend le même raisonnement, quant aux conséquences de la négation d’une conscience — psychogène — réelle, immatérielle, chez l’homme. Il prétend couper en deux, la série continue des êtres et différencier essentiellement, l’homme des animaux. Sa démonstration est la suivante. Chez l’homme où il y a sentiment d’existence, il le traduit par le Verbe. Les animaux ne développent pas le Verbe. On ne sait donc pas, — « a priori », — s’ils sentent — quoi qu’ils en aient toutes les apparences. Or,

trois choses sont nécessaires et suffisantes pour développer le Verbe : 1° Un organisme à mémoire centralisée, capable de mouvements multiples ; 2° Un état de société réelle ; 3° Le sentiment d’existence.

Les animaux ne développent pas le Verbe, donc, il leur manque un des trois attributs. Lequel ? Ils ont le premier et le second. « A priori » on ne sait pas s’ils ont le troisième. Or, lorsque ces trois conditions se trouvent réunies chez un être, le Verbe naît. Donc, ils n’ont pas d’âme, pas de conscience. Le bien et le mal existent. Le bien est la direction des passions par la conscience, afin de les faire contribuer au bien-être individuel et social.

Le Dantec, dans son excellent ouvrage : « Science et Conscience », expose le mécanisme de la Conscience matérielle et nie le bien et le mal. En effet, lorsque dans l’Univers, tout est matière, force, il ne peut y avoir qu’un seul bien : être fort, et un seul mal : être faible.

Comment, dès lors, s’explique le phénomène de la Conscience, de l’Impératif de Kant. Toutes les sensations, tous les mouvements, sont transmis par le système nerveux, au centre : cerveau, sous forme de vibrations. Chaque vibration s’inscrit dans la matière cérébrale comme sur un disque de phonographe. La trace est plus ou moins marquée, selon la puissance et la durée des vibrations. Cette faculté qu’a la matière du cerveau de conserver les modifications qu’elle reçoit est la mémoire générique. Chaque sensation s’allie toujours à une modification bonne ou mauvaise, agréable ou désagréable. Quand la circonstance où s’est produite telle ou telle sensation, ou une approximative, est rappelée au cerveau, par des paroles, la vue d’un lieu ou d’un acte, un choc, etc…, mécaniquement, se réveille aussi la sensation agréable ou désagréable qui avait accompagné la première ou les premières modifications. Peu ou prou, cette tendance se transmet par hérédité. Mais le rythme créé en une matière cérébrale par diverses modifications peut être annihilé, voire même effacé, par des sensations nouvelles ; c’est pourquoi, l’éducation est capable de créer une conscience, ce qui explique, que Bien et Mal, n’aient pas la même signification pour des individus différents, et ce en suivant rigoureusement les commandements de leur conscience.


CONSCIENCE (Objection de). — La raison, quand elle est sociale, a, naturellement, cette disgrâce : de n’être subtile, à l’ordinaire, qu’afin de tromper et corrompre la raison. C’est elle qui, par les « distinguos » où se tiennent encore des hommes importants, honorables, amis sincères mais trop timides de la paix, complique jusqu’à le pervertir, jusqu’à le faire paraître subversif, alors qu’il ne signifie que le droit de tout le monde à la vie, le vœu de ceux qui sont appelés, communément, les « objecteurs de conscience ». On désigne par ces mots les hommes, trop rares encore, qui, déférant ainsi aux commandements chrétiens : « Homicide point ne seras », « Tu ne tueras point », « Aimez-vous les uns les autres », etc…, font acte des plus généreux scrupules de la conscience humaine, pour refuser ouvertement, publiquement, solennellement :

1° De faire la guerre ;

2° D’apprendre, préalablement, le métier des armes ; c’est-à-dire : de consentir le service militaire, obligatoire, aujourd’hui, dans la plupart des nations : celles-là mêmes qui se targuent de prendre la tête de la Civilisation.

En ceci comme dans la plupart des cas, il semble bien que l’homme simple approche, seul, la vérité.

Je définis l’homme simple : celui qui, non moins sain d’esprit que de corps, s’impose d’être vrai envers lui-même ; ce qui lui permet d’être, le plus aisément