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CRÉATION. n. f. J’avoue être quelque peu embarrassé par le sujet, en tant que je dois le traiter en article de dictionnaire. D’abord, il acquiert forcément, de par sa nature même, un caractère très personnel. Ensuite, il est extrêmement vaste. Je considère le problème de la création (c’est-à-dire, celui de l’énergie créatrice, force mouvante fondamentale de l’évolution universelle) comme le problème actuel central de toutes les sciences, de tout notre savoir, de toute notre activité de penseurs, de chercheurs, d’explorateurs.

J’ai déjà eu l’occasion de souligner que l’essence et les forces mouvantes (les ressorts primordiaux) de l’évolution générale restent encore pour nous un profond, poignant et complet mystère. Et j’ajoutai que, ce mystère persistant, nous ne pouvons former nos conceptions philosophiques, biologiques ou sociales autrement qu’à tâtons et dans les limites les plus restreintes. Donc, à mon avis, avant que ce mystère ne soit dévoilé, ce problème résolu, nos conceptions, nos affirmations, nos convictions ne pourront être, scientifiquement parlé, que de faibles hypothèses : douteuses, instables, éphémères.

Or, toujours à mon avis, le problème de l’évolution générale, et aussi celui de l’évolution de l’homme ― biologique, psychologique et sociale, ― sont, au fond, des problèmes de l’énergie créatrice de la nature : de son essence et de son fonctionnement. Autrement dit : le problème de l’évolution générale et de l’évolution de l’homme en particulier, conduit infailliblement, d’après moi, à celui de l’essence et du fonctionnement de l’énergie créatrice universelle.

C’est le problème de la création (énergie créatrice) qui se trouve à la base de toutes les questions concernant l’évolution, la vie (comme un phénomène remarquable de l’évolution), l’homme (comme un phénomène remarquable de la vie), l’individu, la société. Telle est ma conviction intime. Depuis longtemps déjà, j’ai l’habitude d’examiner toute question plus ou moins importante de la vie générale ou de la vie humaine ― individuelle ou sociale ― à travers le prisme de ce problème fondamental. De cette façon, nombre de questions m’apparaissent sous un jour nouveau. Leur étude s’enrichit, à mes yeux, d’un facteur également nouveau et fort puissant. J’ajouterai que certains aspects du même problème ont définitivement confirmé mes convictions anarchistes, pour lesquelles j’ai trouvé, ainsi, une base de plus.

Le sujet m’a vivement saisi, de façon presque accidentelle, il y a une vingtaine d’années. Depuis, en dépit de ma vie mouvementée de militant libertaire, je n’ai jamais cessé de m’en occuper. Tant que mes loisirs me le permettaient, je le scrutais constamment. Toutes mes études biologiques et sociales m’y amenaient fatalement dès que je les approfondissais. Finalement, je suis arrivé à certaines conclusions que je m’apprête à développer et à formuler scientifiquement, aussitôt que les circonstances personnelles de ma vie me donneront cette possibilité.

Le lecteur conviendra facilement qu’un tel sujet peut bien faire l’objet d’une étude spéciale, d’un ouvrage à part, mais ne peut être traité à fond sur les quelques pages d’un dictionnaire. Ceci est d’autant plus vrai que beaucoup de mes conclusions se trouvent en contradiction avec des quasi-vérités très répandues de nos jours, et que, par conséquent, je serai obligé de développer mon argumentation de la façon la plus complète possible. Donc, le sujet doit ou bien être traité à fond, ou ne pas être traité du tout.

Ce qui m’a toujours étonné, c’est que le problème de la création (énergie créatrice dans la nature) dont l’acuité et l’importance capitale sont pourtant hors de doute, ― qui, pour ainsi dire, se trouve constamment devant nos yeux (la nature, c’est la création constante),

― reste depuis des siècles presque totalement en dehors de l’étude scientifique. Certes, la science moderne opère surtout au moyen d’analyses et d’expériences concrètes, précises, minuscules, qui, peut-être, aboutiront un jour « automatiquement » à des conclusions générales et vastes. Mais, je partage l’avis de ceux qui prétendent qu’il ne faut pas, pour cela, abandonner totalement l’autre méthode : l’examen général des grands problèmes qui surgissent devant nous et tentent la puissance de notre pensée, armée, surtout, des résultats déjà acquis par les analyses scrupuleuses des « microcosmes ». Les deux procédés pourraient parfaitement coexister, ayant chacun son champ d’action, se complétant mutuellement, au lieu de s’exclure. Or, le grand problème de l’énergie créatrice n’est même pas scientifiquement posé.

Je me bornerai, donc, dans le présent article à formuler, à préciser le problème, tel qu’il se présente à la méditation et à l’étude. J’espère que, laissant de côté ses solutions possibles, une telle précision intéressera déjà le lecteur et lui sera utile.

Admettant définitivement que la méthode d’action de la nature est l’évolution ; admettant, ensuite, que l’essence, la force mouvante, le ressort permanent de l’évolution est l’énergie créatrice, notre question se présente comme suit :

1° Qu’est-ce que l’énergie créatrice, la création ? Quels sont son essence et son rôle dans la nature ? Comment fonctionne-t-elle ? Quels sont ses rapports aux différentes espèces d’énergie ? Qu’est-ce que la vie comme manifestation de l’énergie créatrice ? La situation de l’homme dans l’évolution de la vie. L’homme et les autres animaux. (Partie biologique du problème.)

L’homme et l’énergie créatrice. (Partie bio-psychologique du problème).

3° L’essence et le rôle de la création dans la société humaine. Le sens de l’évolution de l’homme en société. L’individu et la société. Le problème du progrès, etc, etc. (Partie sociologique).

Tels sont les traits essentiels du problème de la création (énergie créatrice), sans parler des multiples subdivisions.

La création, c’est-à-dire, l’activité constante de l’énergie créatrice agissant par la méthode d’évolution, est devant nous, est en nous, est partout. Il s’agit d’y fixer notre attention, d’y approcher avec les moyens scientifiques modernes dont nous sommes armés et de l’analyser. C’est la plus belle tâche, la plus attrayante, la plus fructueuse que je connaisse. (Voir aussi : Évolution, Progrès). ― Voline.

Création (sociale, des masses). Voir Masses.


CRÉATION — CRÉATIONNISME. Si vous demandez à un métaphysicien, imbu d’esprit théologique ― et cette espèce n’est pas rare ― ce que signifie le mot Création, il vous répondra : « La Création c’est l’acte incompréhensible par lequel Dieu produit le monde et lui donne une existence séparée. » Inutile d’insister, car il vous répètera : « Cet acte dépasse l’entendement humain ».

Adressez-vous à un théologien pur, catholique, par exemple, il vous dira : « C’est l’acte par lequel Dieu, sans le secours d’aucune matière préexistante, a produit l’univers par sa seule puissance et son unique volonté ». Et il appuiera sa définition, sur la genèse biblique et l’autorité de Moïse.

C’est, dans ce dernier cas, la création à partir de rien, ex nihilo, qui se trouve affirmée et, chose bizarre, sur l’autorité d’un livre presque unique à ce point de vue, car l’histoire des religions prouve, sans doute possible, que rares, pour ne pas dire nulles, furent celles qui admirent l’idée pure de création. Les plus savants exégètes et en tête Ernest Renan et l’allemand David Frédéric Strauss, ont clairement démontré la remar-