Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/469

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
CRI
468

tes des créateurs. Les uns et les autres ont leur utilité. Le sens critique, même quand il s’accompagne de basse envie, de jalousie, de méchanceté, accomplit une besogne indispensable. Il dépasse le but ; mais sa clairvoyance haineuse permet d’apercevoir les imperfections d’une œuvre d’art ou littéraire. Quand le critique se pique simplement de justice, son action devient bienfaisante. Chez les Grecs, on rencontre ces deux pôles de la critique : Zoïle et Aristarque qui, tous deux, s’attaquèrent à Homère. Mais avec les Grecs, la critique était purement verbale. De même chez les Latins et, dans les débuts, en France. Elle ne devient grammaticale que par la suite. Plus tard encore, elle se divisera en critique historique, critique d’art, critique littéraire, critique dramatique, critique musicale, etc. La spécialisation intervient qui nécessite des compétences particulières.

C’est avec l’école d’Alexandrie que la critique commence à se développer. Jusque-là, Platon, Aristote, ne font que disserter sur la Beauté, la Forme, l’Art, mais ils n’assoient les jugement sur aucune base doctrinaire solide. Ils ne sont dirigés par aucun principe. Les Alexandrins se préoccupèrent de fixer ces principes et d’établir les règles indispensables de la critique : ils furent continués par les Plutarque, les Lucien de Samosate. les Longin. Chez les Latins, la critique ne fait pas de grands progrès. Il faut arriver à Horace et à l’Art poétique pour trouver un maître. Puis, après l’éclipse que provoquent les Barbares et la longue nuit du Moyen-Âge, la critique renaît. Joachim du Bellay, au nom de la Pléiade, lance sa fameuse Défense et illustration de la langue française qui fige la poésie dans l’imitation stérile des Grecs et des Romains. Toute la littérature classique suivra ces commandements et, quand Malherbe « vient », les règles de la littérature comme de la grammaire françaises sont sévèrement édictées.

Au xviiie siècle, il y a des tentatives de libération, avec Diderot et Jean Jacques Rousseau. La critique dramatique et la critique d’art prennent leur essor et la critique sociale fait ses premiers pas (Contrat Social, De l’Inégalité, etc.). Chateaubriand l’oriente ensuite vers l’Histoire et le Romantisme triomphant bouscule les vieux canons, subit l’influence des littératures étrangères, la rend plus compréhensive et plus analytique. C’est alors une magnifique floraison. Ce xixe siècle, que des écrivains tardigrades qualifient de stupide, a toutes les curiosités et dirige ses investigations de tous les côtés. Politique, Science, Économie, Art, sollicitent les efforts des critiques. Mais sur le terrain purement littéraire les Villemain, les Girardin, les Sainte-Beuve, s’avèrent supérieurs. Taine, à son tour, renouvelle la critique qu’il base sur l’observation directe, apporte une nouvelle méthode d’examen. Brunetière défend la tradition et la morale bourgeoises. Jules Lemaitre, le plus averti et le plus enjoué de nos critiques, s’amuse avec les idées. Lanson, Larroumet, Doumic, Faguet, pèsent leurs contemporains avec toute la lourdeur pédagogique.

Dans le domaine de la critique dramatique, illustrée jadis par Diderot, on peut citer les noms de Jules Janin, Paul de Saint-Victor, Théophile Gautier, Weiss, Francisque Sarcey, Catule Mendès, Brisson, qui tinrent la plume avec plus ou moins d’autorité, d’incompétence ou de mauvaise foi et qui s’opposèrent parfois brutalement aux jeunes et aux novateurs.

La critique d’art a pris, au vingtième siècle, une énorme importance. Elle est née véritablement au dix-septième siècle, avec les conférences imaginées par Lebrun, à l’Académie Royale ; a fleuri avec Diderot, Marmontel, Caylus, pour s’épanouir plus tard sous le sceptre de Ruskin, l’apôtre de la Beauté. Les Baudelaire, les Zola, les Maxime du Camp, les Charles Blanc, les

Gustave Planche, les Octave Mirbeau, s’y consacrèrent avec passion. Zola notamment, défendit avec fureur les Manet, les Cézanne ; Mirbeau mit toute son existence au service des jeunes talents et de la vérité. Depuis, comme nous allons le montrer, la diversité des écoles, le bluff organisé, les systèmes les plus inconcevables ont rendu la critique d’art à peu près inopérante.

La critique musicale, peu brillante, trouve néanmoins, sa place dans les Journaux et revues. Le plus illustre de ces critiques est incontestablement Berlioz qui jugeait avec fougue et passion. On peut citer après lui, Arthur Pougin, Ernest Reyer, Adolphe Julien, Camille Bellaigue, et, de nos jours, des écrivains tels que Willy, Georges Pioch, etc…

Aujourd’hui, la critique, dans ses différentes manifestations, s’allie étroitement à la publicité et se détermine le plus souvent par des considérations de boutique et de camaraderie. L’indépendance du critique n’est plus, à quelques exceptions près, qu’un mythe. L’Argent a joué, dans ce domaine, le même rôle dissolvant et pourrisseur que partout ailleurs. Le critique dramatique semble le plus atteint. En réalité, il n’y a pas, il ne peut plus y avoir de véritable critique dramatique. Il n’y a que des comptes rendus dictés par l’intérêt du journal, lequel est lié par des contrats de publicité. Défense de toucher à celui-ci, qui représente une force avec laquelle il faut compter. Ordre d’épargner celui-là qui est l’ami de la maison. Dans ces conditions, le malheureux critique, qui vit d’ailleurs de son métier, ne sait plus comment dire ce qu’il pense de l’œuvre dont il a à entretenir ses lecteurs. Mais, si cette œuvre choque les préjugés, crie de trop cruelles vérités, se mélange de satire, le silence est imposé. On a vu de remarquables exemples de cet esclavage Intellectuel avec les manifestations que provoquèrent des représentations d’œuvres telles que le Foyer de Mirbeau et, plus récemment, la Carcasse, interdite et conspuée par la presse sous le prétexte qu’elle mettait en scène un général grotesque.

La Bourgeoisie est souveraine à notre époque. Les théâtres sont à elle. On ne peut ouvrir un théâtre, aujourd’hui, qu’avec des millions. Les gens qui paient veulent être servis. Une œuvre n’est acceptée et jouée qu’autant qu’elle est susceptible de rapporter de l’argent. On monte une pièce de théâtre comme une affaire et les quelques exceptions que l’on pourrait invoquer ne font que confirmer cette règle. De plus, les acteurs connus et influents, ceux qu’on appelle des vedettes, interviennent, soit pour dicter leurs conditions, soit pour apporter le commanditaire ; cela se voit surtout du côté féminin et il arrive fréquemment qu’une dame armée simplement de ses charmes, parfois surannés, et dépourvue de tout talent, s’impose au directeur de théâtre et au public éberlué sans que les critiques osent protester.

Nous sommes donc très loin de la critique telle qu’on le pratiquait autrefois. La bourgeoisie triomphante, et surtout la fraction de cette bourgeoisie sortie de la guerre ne consent pas à se laisser railler ou fustiger sur la scène. La vérité lui est odieuse. Jadis, un Molière pouvait faire représenter Tartufe devant la cour du Roi-Soleil. Plus tard, un Beaumarchais ne craignait pas de bafouer les nobles de son époque et ces derniers trouvaient très drôles les saillies et réparties de Figaro. Nos modernes bourgeois n’admettent que l’encens des thuriféraires ou les bonnes petites plaisanteries bien salées qui aident à la digestion. Et les critiques payées par la bourgeoisie qui dispose de la presse doivent satisfaire leurs maîtres et seigneurs.

La critique littéraire est également régie par la publicité et soumise à ses exigences. Elle cède aux obliga-