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tions de la camaraderie et aux désirs des coteries et chapelles. La plupart des écrivains, romanciers, poètes, essayistes, s’adonnent à la critique et rendent le bien pour le bien. Rares sont ceux qui peuvent se proclamer indépendants et disent toute leur pensée. Il faut reconnaître, cependant, qu’Il en est encore quelques-uns et que la critique littéraire n’est point complètement muselée.

La critique d’art est tout simplement inexistante. Elle est faite à peu près des communiqués de marchands de tableaux et de négociants en peinture. On ouvre une exposition comme une boutique d’épicerie. On lance un artiste comme un produit. Il faut ajouter à cela, les faux engouements pour certaines théories projetées par le bluff ou l’impuissance, engouements habilement entretenus par les intéressés qui profitent de la sottise publique et du snobisme. On en est parvenu ainsi à classer, parmi les plus purs chefs-d’œuvres, des tableaux sans dessin ni forme, des blocs de marbre sans ligne. Tout ce que peut imaginer la fantaisie la plus abracadabrante dans l’absurde et l’incohérent, se donne libre essor et recueille tous les suffrages. Quiconque s’avise de protester ou de vouloir des œuvres saines et fortes se voit conspué, qualifié de pompier. Tout métier est rigoureusement banni, toute technique suspecte. Le bon sens devient une denrée méprisable. Dans ce babélisme inouï, où chaque école parle sa langue, où chaque clan a son vocabulaire, les commerçants en art tirent gloire et revenus, au détriment des artistes probes et sincères. Et la critique, inféodée aux hommes d’affaires, se tait ; la critique est impuissante à remonter le courant.

On ne rencontre de libre critique que dans de petits journaux et revues d’avant-garde. Là, le sens critique s’exerce sans retenue et les vérités sonnent à toutes les lignes. Par malheur, ces feuilles dotées d’une clientèle réduite et dépourvues de numéraire n’ont qu’une action limitée sur un petit nombre de lecteurs.

On peut affirmer, cependant, que jamais le sens critique ne se développa et ne s’aiguisa comme à notre époque. La critique sort du domaine de la littérature, de l’art, de l’histoire… Elle est surtout sociale. Elle poursuit ses investigations dans tous les milieux, pose tous les problèmes, étudie les lois et les conditions auxquelles sont soumis les hommes et aboutit, tout naturellement, à dénoncer l’organisation sociale basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Et, ici, nous touchons à la critique socialiste. Mais les anarchistes vont plus loin et donnent leur attention au principe d’autorité d’où découle toute la malfaisance sociale.

Ainsi la critique, qu’elle touche à la littérature, à l’art, au théâtre, est dominée par des préoccupations sociales, à la condition toutefois, qu’elle demeure libre et échappe à la terrible emprise de l’Argent. Le sens critique qui est la marque même de la raison et se manifeste, en un temps de bas mercantilisme et d’incertitude, par l’ironie, quelquefois par le sarcasme, s’affirme partout, contre les préjugés ridicules et odieux, contre la Bêtise régnante, contre les Dieux, contre les Concepts, contre les Autorités, contre les Mensonges. Il conduit tout droit sur la route de la Révolte.

Le jour où la justice et la logique seront introduites dans l’ordre social, la critique échappant au joug du capital, reprendra tous ses droits. ― Victor Méric.


CROISADE. n. f. Le mot « croisade » dans le langage consacré, sert à désigner les pèlerinages militaires entrepris par divers monarques européens du xie siècle au xiiie siècle. Ces excursions armées se faisaient sous le couvert de la religion et avaient pour but avoué de convertir au catholicisme les infidèles d’Orient ; en vérité leur véritable but était de conquérir la Palestine et d’en chasser les musulmans. La première des Croi-

sades, prêchée par Pierre l’Ermite et décidée au Concile de Clermont, fut conduite par Godefroy de Bouillon, duc de Lorraine et Raymond, comte de Toulouse. Les armées féodales étaient fortement organisées et s’emparèrent de Nicée, d’Antioche et enfin de Jérusalem dont Godefroy de Bouillon se fit proclamer roi. La première Croisade dura de 1096 à 1099. La seconde fut couronnée par un échec. Elle fut entreprise par le roi Louis VII en 1147 et se termina en 1149 après un siège inutile devant Damas. De 1189 à 1270, six autres Croisades furent entreprises. La dernière fut conduite par le roi Louis XI, pour venger l’insuccès de la Croisade précédente où Louis IX fut fait prisonnier et dut payer une forte rançon pour recouvrer sa liberté. Cette dernière expédition coûta la vie au roi qui mourut de la peste devant Tunis. L’armée fut elle-même décimée par le terrible fléau.

Si l’on se reporte à l’époque où les Croisades furent entreprises, il faut reconnaître qu’elles exercèrent, dans une certaine mesure, une influence heureuse sur l’avenir. C’est par les Croisades que les Européens prirent contact avec les Asiatiques et, durant ces deux siècles de lutte, les uns et les autres apprirent à se connaître. L’historien français Lavallée s’exprime ainsi en parlant des Croisades : « Une commotion violente fut donnée à tous les esprits, à toutes les facultés, à toutes les existences. On était jeté hors de l’isolement féodal ; on promenait ses regards sur un vaste horizon ; on se mettait en contact avec de nouveaux hommes, de nouvelles choses, de nouvelles idées. La féodalité en reçut un immense échec ; elle s’était remuée, elle était sortie de ce qui faisait sa force, de ses châteaux et de ses terres ».

S’il est vrai que les Croisades furent un facteur d’évolution, il ne faudrait pas en conclure que la guerre est parfois utile. La guerre est toujours néfaste et il ne faut pas oublier que les Croisades furent organisées à une époque où la civilisation et le progrès n’étaient, en France, qu’embryonnaire. Il en est autrement de nos jours et les diverses Croisades entreprises par les capitalistes pour accaparer les territoires propres à être exploités, et les guerres coloniales qui se perpétuent malgré les protestations populaires, ont un tout autre caractère. Les Croisades modernes sont plus meurtrières que celles du passé. « Les Croisades, nous dit Voltaire, coûtèrent à l’Europe plus de deux millions d’habitants en deux siècles ». La dernière guerre de 1914 qui, dans l’esprit populaire, prit le caractère d’une Croisade ayant pour but le triomphe de la civilisation et la mort du militarisme, coûta, en quatre ans, près de dix millions de vies humaines. La civilisation en est sortie affaiblie et le militarisme renforcé.

Il est une Croisade qui serait et qui est utile à prêcher : c’est celle contre les préjugés, contre les croyances, contre le mensonge sur lesquels reposent nos sociétés bourgeoises. Et cette Croisade est sainte, car elle a pour but la libération et l’égalité de tous les hommes. Elle soulève, hélas ! moins d’enthousiasme que toutes les aventures dirigées par les conquérants ; et le peuple reste souvent sourd à l’appel de la raison. Espérons que, à la faveur des événements, tout cela changera et que la dernière des Croisades abolira définitivement le capitalisme et tous les maux qui en résultent.


CROYANCE. n. f. Confiance irraisonnée à un dogme, à une religion. Le mot « croyance » s’applique plus particulièrement aux faits sur lesquels reposent les systèmes religieux. La croyance est un phénomène d’ordre sentimental, car elle ne s’adresse jamais à la raison ni à la logique ; elle se refuse à toute analyse car elle ne peut être soumise à l’analyse des bases sur