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Les Chroniques de Saint-Denis ont évalué à 800.000 le nombre de flagellants qu’il y a eu à Noël de 1349, après la peste noire.

Aux temps de la Ligue, le roi Henri III et ses « mignons » qui associaient aux pratiques religieuses celles de la pédérastie, faisaient avec les moines des processions dans Paris et se flagellaient réciproquement en chantant des cantiques et en criant : « Sus aux huguenots ! »

En Espagne, l’Église encourageait le peuple à danser aux autodafés de l’Inquisition. On le distrayait ainsi de la tentation qu’il aurait pu avoir de réfléchir devant ces ignobles spectacles.

A toutes les pratiques de la sorcellerie antique, le Christianisme ajouta des motifs d’aberrations nouvelles. « Fraternité humaine, défi au ciel chrétien, culte dénaturé du dieu nature », c’est le sens, a dit Michelet, de la messe noire née de la réaction exaspérée de la vie et des sens que provoqua contre lui ce Christianisme. Les participants de cette messe y dansaient la ronde du sabbat : « Ils tournaient dos à dos, les bras en arrière, sans se voir ; mais souvent les dos se touchaient. Bientôt personne ne connaissait plus son voisin, ni soi-même ». (Michelet) Au pays basque, au xviie siècle : « le prêtre dansait, portait l’épée, menait sa maîtresse au sabbat. Cette maîtresse était sa sacristine ou bénédicte, qui arrangeait l’église. Le curé ne se brouillait avec personne, disait à Dieu sa messe blanche le jour, la nuit au Diable la messe noire, et parfois dans la même église » (Pierre de Lancre cité par Michelet). Les messes noires avaient de nombreuses ressemblances avec les bacchanales romaines. Comme elles, elles eurent leurs procès aux xviie et xviiie siècle. (Voir : Sorcellerie).

Ce sont des vésanies du genre des précédentes qui produisirent, au xviie siècle, le tarentisme en Italie, et qui se manifestent encore aujourd’hui dans le tigretier, en Abyssinie, les danses convulsives des nègres, les tournoiements des derviches et tous les trémoussements dans lesquels l’individu, emporté par une ivresse spéciale, perd la notion de son environnement. Et ce sont des vésanies épidémiques comme celles créées par les temps de misère du moyen-âge qui reparaissent aux époques tourmentées de l’humanité. La Révolution a vu les bals des victimes où n’étaient admis que les parents de gens guillotinés. Les temps de la « Grande Guerre » ont provoqué une véritable ruée des populations vers les dancings. Vésanies incontestablement religieuses car, en même temps, on ne vit jamais tant de monde dans les églises. Depuis les « demi-vierges » les plus acides jusqu’aux « barbonnes » les plus mûres, toutes les « possédées » du tango se sont multipliées, venues de tous les mondes et s’abandonnent aux promiscuités les plus déconcertantes de la ronde de nuit. Mais, « n’en doutez pas, ces gens, après avoir mêlé leur souffle, leur transpiration, leur jus, enchevêtré leurs genoux, tressé leurs jambes, fondu leur chair hérissée de désir, après avoir été brassés, amalgamés, fouillés pendant des heures par le doux mécanisme de ce barattage en musique, reprendront, à la sortie, avec leur vestiaire, leurs préjugés, leurs dédains et leurs distances » (Sem).Et, entre deux de ces séances, l’Église leur donne solennellement l’absolution.

La danse dramatique. — Nous arrivons à la catégorie de la danse la plus intéressante depuis que la danse populaire a perdu son originalité et que, surtout, elle s’est flétrie aux contacts interlopes des dancings. La danse dramatique a pris, d’ailleurs, dans ces dernières années un épanouissement qui en a fait le genre théâtral le plus remarquable à côté de la poésie et de la musique dramatiques qui, sauf de rares exceptions, n’arrivent pas à se libérer des vieilles formules où le drame, la comédie, l’opéra, restent enfermés. (Voir : Théâtre et Musique).

Le théâtre, tel qu’en France on en observe encore les traditions, est né en Grèce de la collaboration de la poésie, de la musique et de la danse. Il est sorti des fêtes dionysiaques. Avec les premières formes du théâtre classique (tragédie-comédie) parurent les premières danses dramatiques. On attribue à Eschyle l’introduction, dans la tragédie de l’emmélie qui comportait des danses, des chants et des airs de flûte d’un caractère grave. Une variété de l’emmélie, la xiphrismos, était guerrière. Ce serait Aristophane d’autre part qui aurait mêlé la cordace à la comédie et qui aurait fait prendre à cette danse un caractère plus vif et plus licencieux que celui qu’elle possédait. Au drame satirique on avait adjoint la sicinus et la bachique, danses encore plus animées et plus expressives. Ces premières danses dramatiques avaient eu leur origine dans les dionysies ; d’autres s’ajoutèrent qui étaient des danses religieuses ou des danses lyriques. Celles-ci étaient de trois catégories qui correspondaient aux trois précédentes et aux trois genres du théâtre : tragique, comique, satirique. La gymnopédie avait le caractère de l’emmélie et de la tragédie. Elle était la danse des jeunes garçons Lacédémoniens dans les fêtes en l’honneur d’Apollon-Pythien, de Latone, de Diane, Ils dansaient presque nus, en rondes autour de l’autel, en se frappant mutuellement dans le dos et en chantant des péans pleins de gravité, comme leur danse. L’hyporchématique était la danse lyrique par excellence. Joyeuse, comme la cordace et la comédie, elle s’accompagnait des hyporchèmes ou chants sacrés à la gloire d’Apollon, Elle fut perfectionnée par Xénodème et Pindare qui la divisèrent en trois classes : la monodie (un seul chanteur et danseur), l’amébus (deux chanteurs et danseurs), le chœur (plusieurs chanteurs et danseurs). La pyrrhique, véhémente comme la sicinnis, convenait au drame satirique. Elle était au début essentiellement militaire. Ses danseurs se frappaient avec des glaives. A Athènes, elle figurait dans les Panathénées où des jeunes gens mimaient les combats qui célébraient les dieux. Elle se modifia pour prendre place dans les dionysies puis au théâtre. D’après Suétone, une pyrrhique représentait la fable de Pasiphaé.

Sauf certaines danses de caractère guerrier, la plupart étaient exécutées par les deux sexes, soit séparément, soit ensemble. La danse était orchestique avec un seul danseur ou plusieurs considérés isolément. On l’appelait choristique quand plusieurs formaient un ensemble. Le mot, qui se disait aussi choreia, avait pour synonyme ballismos d’où sont sortis le latin ballo et les français bal et ballet. L’union d’un groupe dansant et d’un groupe chantant formait une chorodie. Ses participants étaient les chorenies. Le chef du chœur s’appelait prœsultor.

Comme la tragédie et la comédie, la danse dramatique dut avoir dans l’antiquité une vivacité d’expression qu’elle ne retrouva pas lorsque l’art moderne l’a ressuscitée avec elles dans le théâtre appelé classique. Elle fut aussi châtrée, aussi truquée, que le furent les fureurs d’Oreste, les salacités de Lysistrata, les éructations de Trimalcyon. Comme disait Tailhade des traducteurs de Plaute : « De madame Dacier à Naudet, ce ne sont que périphrases, bandeaux sur l’œil, cataplasmes, feuilles de vigne et caleçons de bain… Ils ont fait de son théâtre une manière de jardin botanique, plein de chicots herbacés, de feuilles moribondes ». Rien d’étonnant que la danse n’ait pas retrouvé immédiatement sa place dans ce théâtre lorsque, au xviie siècle, Hardy et ses successeurs lui donnèrent ses premières formes en créant la tragédie française.

La danse dramatique moderne se forma en dehors du théâtre, dans les ballets qui prirent de plus en plus des développements spectaculaires et devinrent l’ouvrage de plus en plus exclusif des spécialistes de la scène. Les premiers spécialistes chorégraphes avaient été