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C’est pourquoi il faut affirmer que, seul, est véritablement révolutionnaire celui qui lutte pour l’instauration d’une société fédéraliste-libertaire. Ce n’est pas à coups de décrets qu’on se défend, c’est les armes à la main ! Ce n’est pas avec un Gouvernement qu’on accomplit une révolution ; c’est en les supprimant tous !

Louis Loréal.


DÉFI. n. m. Le mot défi, signifie « provoquer quelqu’un ». « Porter un défi » ; « lancer un défi » ; « mettre au défi ». Dans le domaine sportif on se lance de nombreux défis. Lorsqu’un professionnel ou un amateur d’un sport quelconque veut se mesurer avec le détenteur d’un titre dans l’espoir de le lui ravir, il lui lance un défi et le match s’organise. Il y a des défis ridicules et d’autres qui sont intéressés. Les défis que se lancent périodiquement les champions professionnels de la boxe par exemple ne sont inspirés que par l’appât du gain et les résultats ou les conséquences de ces défis ne démontrent que la brutalité et la sauvagerie des adversaires et la bestialité du public.

« Mettre quelqu’un au défi de prouver ce qu’il avance », c’est-à-dire que l’on suspecte la possibilité dans laquelle il se trouve de démontrer le bien-fondé de ses affirmations. « Je vous mets au défi de trouver quelque utilité dans l’action gouvernementale ». Il ne faut jamais mettre quelqu’un au défi si l’on n’est pas certain de ce que l’on croit être la vérité sans quoi on se met soi-même dans l’embarras.


DÉFIANCE. n. f. Si la crédulité est un mal, la défiance en est un autre. Il n’est pas bon d’être trop confiant et de se livrer aveuglément à qui que ce soit, mais ce n’est pas non plus une solution de douter de tous ceux qui nous approchent. « L’esprit de défiance nous fait croire que tout le monde est capable de nous tromper », a dit La Bruyère, et la défiance est d’autant plus mauvaise conseillère qu’à force de douter des autres l’homme défiant arrive à douter de lui-même et est de ce fait victime d’un continuel malaise. L’être défiant se figure que tout le monde veut le tromper et soupçonne quiconque vient à lui d’être guidé par un calcul ou par un intérêt quelconque ; il est toujours dans l’inquiétude et ne peut trouver d’amis craignant éternellement d’avoir en face de lui un individu masqué qui cache ses véritables intentions.

Il est un proverbe qui dit que la « défiance est mère de sûreté » et un autre que « dans la société actuelle, il faut être défiant si l’on ne veut pas être trompé ». Il est de toute évidence que la société regorge d’individus desquels il faut se. méfier et s’écarter ; mais ce serait exagérer de penser que le monde n’est qu’un composé de filous et de coquins et que tous les individus sont corrompus. Il ne faut pas se donner et se livrer sans examen et sans réflexion, mais il faut aussi reconnaître qu’il existe des hommes sincères et désintéressés auxquels on peut se confier et qui n’abusent jamais de la confiance qu’on leur a accordée.

Ne soyons donc pas trop méfiants et ne nous laissons pas absorber par la méfiance ; tâchons de trouver en nous assez de force et de courage pour ne pas avoir recours à d’autres afin de réaliser notre bonheur et nous serons alors garantis contre les manœuvres intéressées de tous ceux qui cherchent à nous exploiter physiquement, moralement et intellectuellement.


DÉFINITION. n. f. Les logiciens distinguent la définition de nom et la définition de chose. La définition de chose est-elle possible à l’individualiste ou, dès qu’on lui en propose une, se méfie-t-il, averti qu’il se trouve en présence d’un dogmatisme conscient ou inconscient ?

L’individualiste a le sentiment de la réalité de l’individu, de l’irréalité de tout ce qui n’est pas individuel et

singulier. Or, d’après tous les logiciens, l’individu reste indéfinissable ; sa richesse complexe ne saurait être enfermée en aucune formule ; et on ne peut définir que les termes généraux. Pour qui croit à la réalité du seul individu, définir c’est peut-être, au lieu d’essayer de dire ce qui est, consentir à dire ce qui n’est pas.

Puisque l’individu, seul réel, n’est définissable aux yeux de personne, qu’est-ce, donc qu’on définit ? Qu’exprime le terme général ? Lorsque je dis « homme », ou « individualiste » ou « anarchiste », qu’est-ce que je dis ?

Je résume une certaine série d’expériences. Je résume les rencontres « de personnes ou de tendances » qui m’ont fait penser « anarchiste » ou « individualiste » ; les rencontres d’êtres qui m’ont fait penser « homme »… Mais plus le terme est général et moins ma série d’expériences coïncidera avec celle d’aucun autre : personne n’a rencontré exactement et exclusivement les mêmes hommes que moi, dans les mêmes circonstances, dans le même ordre, dans les mêmes. états d’esprit. Quand j’écris « homme », j’exprime une de mes séries d’expériences et chaque lecteur lit autre chose : une série d’expériences qui lui est propre.

Mon idée de l’homme, qui ne peut correspondre complètement avec celle d’aucun de mes lecteurs, n’est pas la même aujourd’hui qu’hier, sera différente demain. Ma série d’expériences va nécessairement s’enrichissant et se modifiant.

Je ne puis donc définir le mot « homme » même pour moi seul. La définition — exigent les logiciens — doit être adéquate, c’est-à-dire s’appliquer exactement au défini et uniquement au défini. Je ne puis trouver une définition adéquate à ma série d’expériences, une définition qui dise exactement et uniquement tout ce que je pense et rien que ce que je pense quand je prononce un terme général. Ayant pris le sentiment de cette impossibilité, je trouverais fou de chercher une définition adéquate non seulement pour moi mais pour tous. Quiconque le tente est, à mes yeux, ou fou, ou un homme qui n’a pas étudié cette impossibilité, ou un charlatan et un menteur.

En termes moins modernes et moins précis, Antisthène faisait déjà cette critique. Il adressait encore à la définition d’autres reproches. Je les lui fais résumer ainsi au commencement des Véritables Entretiens de Socrate : « Toute définition est une menteuse. Dès qu’au lieu de désigner la chose par son nom, tu t’appliques à la définir, voici que tu la désignes par d’autres noms que le sien, voici que tu remplaces le signe exact par des signes inexacts, voici que tu rapproches et confonds des choses que la réalité sépare et distingue… La définition multiplie les difficultés qu’elle prétend résoudre. Pour définir un mot, il te faut plusieurs mots. Nous étions en désaccord sur deux au moins. Il te faut encore deux mots au moins pour définir chacun des termes de ta première définition. Te voici, dira quelqu’un, de l’occupation pour toute ta vie. Antisthène ne dit pas comme ce quelqu’un. Antisthène sait-que tu ne pourras pousser très loin ta ridicule tentative. Car les mots d’une langue ne sont pas en nombre infini : Bientôt tu définiras par des mots déjà employés, tu définiras par ce qui est à définir, tu éclaireras par ce que tu viens de confesser avoir besoin d’éclaircissement. Ainsi tu tourneras dans un cercle… Ou bien tu t’arrêteras au bord d’un abîme. Tu seras arrivé à quelque mot trop général pour que tu le puisses faire entrer en un genre plus vaste. Tu t’arrêteras alors par nécessité et tu auras marché longtemps pour rien. À mieux dire, tu te seras fatigué pour le contraire de ce que tu voulais. Car, plus le mot est général, plus il est vide et obscur, moins il répond à des choses que tu aies éprouvées. Par exemple, tu as voulu définir