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cambriolage), mais cependant nous sommes obligés de reconnaître que M. de Rothschild ne peut être réduit à une telle extrémité, car sa fortune lui permet d’user de procédés plus légaux pour s’approprier le bien d’autrui, et que, par conséquent, le vol et le cambriolage sont encore des délits dont n’auront jamais à répondre les individus appartenant à la bourgeoisie.

C’est donc sans hésitation que nous disons que ce sont toujours les classes pauvres qui, en vertu de la loi, commettent des délits. C’est un délit de chasser dans des terres qui ne vous appartiennent pas et le miséreux, le travailleur, n’a pas de terre ; c’est un délit de pécher dans des eaux qui sont la propriété d’un particulier ; c’est un délit de dormir dehors lorsque l’on a pas de foyer, mais on a le droit de le faire si l’on possède des châteaux et c’est encore un délit de crier qu’une société qui se livre à un tel arbitraire est une société mal organisée. Il est vrai que ce dernier délit est considéré comme un délit politique.

Il fut un temps ou ce que l’on appelle une infraction politique était considérée comme un crime et par conséquent jugé par la cour d’assises. Il en est autrement de nos jours si l’on excepte toutefois les infractions commises par les éléments appartenant à la bourgeoisie. Même quelques années avant la guerre de 1914-1918, les délits de presse, les discours considérés comme tendancieux par les représentants de l’ordre étaient soumis à la délibération du jury ; un ministre plus zélé que ses prédécesseurs se souvint des lois de 1893-1894 votées par un Parlement dominé par la peur et en décida l’application, violant incontestablement l’esprit qui, vingt ans auparavant, avait animé le législateur. Ces lois dites « scélérates » permettent aux juges correctionnels, dont on connaît l’indépendance, de condamner le délinquant à des peines variant entre un mois et cinq ans de prison, en considérant comme « menées anarchistes » l’objet du délit. Ce qu’il y a de curieux et de ridicule dans l’application de ces lois, c’est que quantité de délinquants, poursuivis pour avoir commis des délits politiques, sont condamnés alors qu’ils sont les irréductibles adversaires de l’anarchisme. Il coule de source que les délits politiques d’ordre bourgeois, c’est-à-dire réactionnaires, tels les délits commis par les royalistes ne sont pas soumis à cette même juridiction et que l’on ne les accuse pas de menées anarchistes. Seuls les éléments d’avant-garde bénéficient de cette attention gouvernementale.

Bref, quels que soient la forme ou le fond du délit, qu’il soit politique, réservé ou public, ce qui est incontestable, c’est que depuis qu’il y a des juges, le nombre des délits n’a point diminué et qu’au contraire il augmente chaque jour. Il faut donc en conclure que le délit a des causes qui échappent à la loi et que la loi est impropre à résoudre le problème de la vie commune. Tout homme dont le cerveau s’est débarrassé de toute, ou d’une partie de l’erreur qui lui fut inculquée depuis son plus jeune âge, sera obligé de reconnaître avec nous, anarchistes, que l’imperfection de l’organisation sociale est la source de toutes les infractions, et que le délit n’est qu’une conséquence du malaise manifeste de la collectivité humaine.

Détruisons les causes et les effets disparaîtront ; c’est l’unique ressource. Réformer l’appareil judiciaire est impossible ; et ce serait perdre son temps que de s’atteler à une telle besogne. La corruption a pénétré tous les rouages des sociétés modernes et il ne pouvait pas en être autrement ; l’argent, le capital, l’autorité qui sont à, la base de l’organisation sociale actuelle sont les causes fondamentales et déterminantes du délit, et rien ne sera terminé tant que ces causes ne seront pas détruites. Qu’importent les critiques acerbes et malveillantes de nos adversaires lorsque nous présentons la question des délits sous son jour véritable. L’exemple

du passé, l’expérience que nous avons acquise dans la lutte sociale donne plus de fermeté a notre certitude que ce n’est pas l’administration de la chose publique qui est à réformer, mais l’ordre économique et social en son entier.

L’homme ne commettra plus de « délits » lorsqu’il cessera d’être emprisonné dans le cadre des lois humaines et que son bonheur et sa liberté ne seront plus subordonnés à la volonté et à la puissance de certains de ses semblables. Il faut que l’individu sache cependant que la liberté et le bonheur ne se donnent pas : qu’ils se prennent. Que les hommes le veuillent, et demain ils seront heureux. Le délit, qui n’est en vérité que la manifestation du conflit entre deux catégories, entre deux classes d’individus, ne peut disparaître qu’avec ces classes c’est-à-dire lorsque la contrainte et l’autorité auront fait place à la fraternité. — J. Chazoff.


DÉMAGOGIE. n. f. L’origine du mot démagogie servait à signaler l’influence exercée par un homme politique sur le peuple, mais n’avait aucun sens péjoratif ;  ; il était également usité comme synonyme de « démocratie ». De nos jours, il n’est plus employé dans le même sens et le mot « Démagogie » est toujours pris en mauvaise part. Il serait utile de définir exactement ce terme, car il prête à confusion. Proudhon, par exemple, ne lui donne pas un sens péjoratif :

« La réaction est la négation du progrès ; le juste milieu est l’hypocrisie, et la démagogie en est la fièvre. La réaction cherche à faire reculer le char révolutionnaire, le juste milieu s’efforce de l’enrayer, la démagogie veut accélérer le mouvement. » (Proudhon). Le Larousse nous donne cette brève définition de la démagogie : « Politique qui flatte la multitude », et pour des raisons différentes nous pensons cependant que cette définition est assez courte quant au présent. Si, avec Proudhon, nous pensons qu’il est indispensable d’accélérer le mouvement révolutionnaire et de tenir les populations en éveil, il nous semble cependant que la démagogie remplit ce devoir de façon imparfaite et qu’elle n’envisage qu’un côté de la question. S’il est utile de chercher à exploiter les passions populaires en vue de la libération politique et économique du peuple ; s’il est parfois indispensable de déchaîner ces passions ; il serait bon cependant de ne pas oublier que la passion, comme unique moteur de révolte, peut être une cause de désastre si l’on n’y joint pas la raison. Or, la démagogie s’adresse uniquement à la passion et non pas à la raison ; c’est là son erreur sinon son vice, et c’est ce qui rend le démagogue si dangereux. Dans une société où les causes de mécontentement sont si multiples, il est relativement facile de soulever une population en lui dénonçant les injustices et les iniquités dont elle est victime ; en s’adressant à son cœur, il est aisé de capter sa confiance, en la grisant de promesses et en lui faisant miroiter un avenir meilleur ; mais ce qui est plus épineux, c’est de lui faire comprendre que ce bonheur entrevu sous l’action persuasive de la parole ou de l’écrit, cette population doit le conquérir elle-même et qu’aucune force ou puissance extérieure ne peut le lui donner. C’est cela qu’oublie toujours de dire le démagogue et c’est pourquoi nous disons que le travail de la « démagogie » est négatif. Non seulement il est négatif, mais il est pernicieux, car ordinairement le démagogue imprime une direction au peuple et se présente à lui comme un messie qui va le sortir de la situation précaire dans laquelle il se trouve. N’est-ce pas faire de la démagogie que d’affirmer aux classes malheureuses que leur bien-être futur dépend du morceau de papier que l’électeur va périodiquement déposer dans les urnes officielles ; n’est-ce pas faire de la démagogie que de faire espérer au travailleur sa