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L’Etat est un gros acheteur ; il dépense chaque année plusieurs milliards et chacun est avide de recevoir du Gouvernement une commande. Qui, mieux qu’un député, est capable d’arracher un ordre ou de provoquer un achat ? Qui, mieux qu’un député, surtout s’il est représentant d’une grande firme d’aviation, peut pousser le Gouvernement à l’armement aérien ? Il a l’air de remplir une œuvre patriotique et nationale, alors qu’en réalité il ne cherche qu’à remplir ses poches, Dans toutes les branches de la grosse industrie et de la haute finance il y a, à la Chambre, des députés qu’on a surnommés les députés d’affaires et qui forment la majorité de l’Assemblée. S’il se trouve, par hasard, parmi ces hommes, une brebis qui ne soit pas galeuse, et qui ne veuille pas se laisser contaminer, elle est bien vite écrasée par l’entourage.

Faut-il voter une loi sociale, quelque chose qui puisse être avantageux à la classe opprimée ? Immédiatement se dresse toute la clique de ces hommes de paille, qui, en chiens de garde de la bourgeoisie et du capital, s’élèvent contre les mesures envisagées, et la loi retourne dans les cartons poussiéreux des ministères, d’où elle ne sort plus jamais.

Voilà le rôle du député, qu’il remplit du reste à merveille. Nous avons dit d’autre part que la démocratie était le dernier rempart de la bourgeoisie, le député en est le fidèle soldat, et c’est un soldat qui ne livre pas bataille franchement, loyalement, mais qui use de fourberie, de mensonges et de trahison.

Quel plus bel exemple peut-il être donné des qualités morales d’un député que les élections législatives de 1924 qui feront époque dans les annales de la démocratie ? Deux ans à peine après les dites élections, les élus trahissaient leurs électeurs et fléchissaient le genou devant l’homme sur lequel pèse une grande part de responsabilité de la guerre de 1914. Combien d’exemples semblables pourrait-on citer à l’actif des députés ! Et cela ne suffit pas au peuple.

Il y avait, dit J.-M. Guyau, « une femme dont l’innocente folie était de se croire fiancée et à la veille de ses noces, le matin en s’éveillant, elle demandait une robe blanche, une couronne de mariée, et souriante, se parait. « C’est aujourd’hui qu’il va venir », disait-elle. Le soir la tristesse la prenait, après l’attente vaine ; elle ôtait alors sa robe blanche. Mais le lendemain, avec l’aube, sa confiance revenait : « C’est pour aujourd’hui disait-elle ». Et elle passait sa vie dans cette certitude toujours déçue, et toujours vivace, n’ôtant que pour la remettre sa robe d’espérance ».

Le peuple n’est-il pas atteint de cette même folie, plus dangereuse, hélas !, car ses espérances toujours déçues, perpétuent son esclavage et engendrent souvent des catastrophes ? Il continue, malgré l’expérience du passé, à se laisser griser de mensonge, et après avoir été trompé par les blancs il se laisse tromper par les rouges, espérant encore et toujours trouver l’homme ou plutôt le Dieu qui l’arrachera à son sort misérable. Il ne veut pas comprendre que cet homme n’existe pas que personne ne peut le sortir de son esclavage et que « l’émancipation des travailleurs ne sera l’œuvre que du travailleur lui-même ».

Il vote, espérant trouver là le salut. Tout ce que l’on peut dire a été dit sur le député et sur l’électeur, et nous ne pourrions mieux faire que de citer la conclusion du vigoureux pamphlet de Octave Mirbeau à ce sujet.

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« A quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin,

peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?… Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maitres avides qui le jugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité.

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« Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.

« Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre, qu’il n’a qu’une raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.

« Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne sa vie, puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un et de donner l’autre ? Eh bien non ! Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour acquérir ce droit » (Octave Mirbeau. La Grève des Electeurs).

Et il n’y a rien à ajouter.


DÉSARMEMENT. n. m. « Action de désarmer, de réduire ou de supprimer ses forces militaires », telle est la définition la plus courante du mot désarmement.

Pour nous, qui n’envisageons pas les choses et les faits de la même façon, et qui les considérons sous un angle différent, le désarmement ne peut être à nos yeux, partiel et consister en une réduction quelconque des forces militaires, mais doit, pour être effectif, entraîner la suppression totale de ces forces. Durant les années qui suivirent la signature des divers traités de « paix », mettant fin à la guerre de 1914–1918, de nombreuses conférences officielles furent organisées, et autour du tapis vert de la diplomatie, les représentants de toutes les grandes nations du monde, étudièrent ou firent semblant d’étudier le problème du désarmement. Un accord fut conclu déterminant la limite d’armements dans laquelle devaient se maintenir les nations contractantes, et on alla même jusqu’à détruire de vieilles unités maritimes, donnant ainsi au peuple l’illusion que quelque chose était fait pour le maintien de la paix mondiale. Or, il est erroné de penser, qu’une limitation, qu’une réduction des armements soit un facteur de paix et il serait faux de croire que dans les hautes sphères gouvernementales, on soit animé par le désir d’amoindrir les forces militaires des différentes nations du monde. La vérité brutale est que chaque nation est entraînée dans un formidable tourbillon créé par la guerre de 1914 et que la paix est menacée par l’intensification perpétuelle des armements. Du reste, mieux que toutes paroles, les chiffres nous fixeront nettement sur la situation respective de certaines nations et des dépenses qu’elles effectuent pour maintenir et augmenter leur puissance militaire.