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EVI
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apprend qu’il y réalisa des miracles qui soulevèrent l’admiration populaire. Un de ces miracles attire particulièrement notre attention, c’est celui signalé aux versets xx et xxi de l’Évangile de l’Enfance : « … Or la jeune fille disant : O mes dames, que ce mulet est beau ! Elles répondirent en pleurant et dirent : Ce mulet que vous voyez a été notre frère, né de notre même mère que voilà ; et notre père en mourant nous ayant laissé de grandes richesses, comme nous n’avions que ce seul frère, nous lui cherchions un mariage avantageux, désirant lui préparer des noces, suivant l’usage des hommes ; mais des femmes agitées des fureurs de la jalousie, l’ont ensorcelé à notre insu et une certaine nuit, ayant exactement fermé la porte de notre maison un peu avant l’aurore, nous vîmes que notre frère avait été changé en mulet comme vous le voyez aujourd’hui… »

« … Alors la divine Marie touchée de leur sort, ayant pris le seigneur Jésus, le mit sur le dos du mulet, et dit à son fils : Hé ! Jésus-Christ, guérissez ce mulet par votre rare puissance et rendez-lui la forme humaine et raisonnable telle qu’il l’a eue auparavant. A peine cette parole fut-elle sortie de la bouche de la divine Marie, que le mulet, changé tout à coup, reprit la forme humaine, sans qu’il lui restât la moindre difformité… »

Ce miracle n’est pas le seul à l’actif de Jésus. Il en accomplit d’autres non moins fantastiques. Justement ce qui surprend, c’est qu’aucun livre de l’époque, grec, romain ou égyptien ne relate ces faits qui eussent dû, s’ils étaient véritables, avoir un retentissement formidable.

Il est vrai que l’Église a rejeté l’évangile de l’Enfance, mais dans les évangiles canoniques il existe des choses non moins surprenantes. Au chapitre II, Mathieu nous dit : que Jésus nourrit cinq mille hommes, sans compter les femmes et leurs enfants avec cinq pains et deux poissons, dont il resta deux pleines corbeilles, et dans le, même évangile au ch. XV, ce même Mathieu nous dit qu’ils étaient quatre mille hommes et que Jésus les nourrit avec sept pains et quelques poissons.

A quelques milliers près, il est vrai que c’est sans importance.

D’autre part, les évangélistes se signalent par leur ignorance. Saint Jean, ne prête-t-il pas à Jésus ces paroles : « En vérité, si le grain qu’on a jeté en terre ne meurt, il reste seul ; mais quand il est mort, il porte beaucoup de fruits (Jean, chap. XII). Qu’est-ce que cela veut dire ?

Et en ce qui concerne la bonté de Jésus : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (Mathieu, chap. X).

Et sur son honnêteté : « Allez prendre une ânesse qui est attachée avec son ânon et si quelqu’un la trouve mauvaise, dites-lui : le maître en a besoin. » (Mathieu, chap. XXI}, verset 5).

On pourrait à l’infini citer les incohérences des évangiles. Même sur la mort du Christ les évangélistes ne sont pas d’accord. Les uns prétendent qu’il est mort à trente et un ans, les autres à trente-trois. Or, d’après certains épisodes de sa vie, relatée par les évangiles canoniques, Jésus aurait vécu près de cinquante ans.

En effet, l’Évangile selon saint Jean fait dire à Jésus : « Votre frère Abraham a été exalté pour voir mes jours ; il les a vus et il s’en est bien réjoui » ; et les Juifs lui répondirent : « Es-tu fou ? tu n’as pas encore cinquante ans, et tu te vantes d’avoir vu notre frère Abraham. »

Comment se peut-il qu’en notre vingtième siècle des hommes, civilisés à ce qu’on dit, puissent croire à de telles bêtises ? Il est vrai que la croyance s’en va, et que le doute a pénétré le cerveau de l’homme, il a fait de rapides progrès.

« Le « croire » et le « savoir » ne peuvent pas s’igno-

rer, à moins que ce ne soit en théorie, dit notre camarade Sébastien Faure ; dans la pratique, ils ne peuvent pas rester indifférents l’un à l’autre ; il est fatal qu’ils se combattent. En dépit de sa résistance acharnée, le « croire » ne peut que perdre le terrain que conquiert le « savoir » et, tôt ou tard, il succombera sous les coups que lui porte indirectement ce dernier. » (S. Faure, l’Imposture religieuse, p. 305)

Et lorsque le savoir aura triomphé nous pourrons alors tourner la dernière page des évangiles, pour ouvrir le grand livre de l’Humanité.


ÉVIDENCE n. f. (du latin evidentia, même signification). Caractère de ce qui est clair, incontestable et qui ne laisse aucun doute. Ce qui est évident. « L’évidence appartient proprement aux idées dont l’esprit aperçoit la liaison tout d’un coup » (D’Alembert). L’évidence d’une chose, l’évidence d’une vérité, l’évidence d’une conception, l’évidence d’un axiome. Mettre en évidence, c’est-à-dire mettre en lumière, mettre en relief ; de la dernière évidence, pour ce qui est certain, indiscutable, incontestable. Se rendre à l’évidence : admettre une chose, un fait. Un péril évident, c’est-à-dire qui ne peut être nié. Il est évident que, pour « il est clair que ». Il est évident que la misère humaine puise sa source dans l’exploitation de l’homme par l’homme et il est non moins évident que l’ignorance est un facteur d’asservissement social. Nous devons tous nous rendre à l’évidence que le bonheur de l’humanité est entravé par l’Autorité qui, depuis les premiers âges, préside aux destinées de la civilisation et est un continuel obstacle au progrès.


ÉVOLUTION. Certes, il n’y a pas d’explication de l’univers et de la nature plus simple, plus facile que celle exposée et imposée par les religions hébraïco-chrétiennes : l’origine du monde réside en la « création » par un Dieu tout puissant, des êtres et des choses sous la forme où ils se trouvaient au moment de cette conception de la « Genèse » dans l’Ancien Testament, et où d’ailleurs ils se trouvent encore de nos jours.

Par exemple, les animaux et l’homme, leur roi, furent créés de rien les quatrième, cinquième et sixième jour de la semaine laborieuse, avec leur apparence extérieure actuelle, leur organisation interne particulière, leurs attributs distincts, leur destinée individuelle rigoureuse. Le divin ouvrier n’eut pas une hésitation, n’esquissa pas de tâtonnements, ne marqua ni un arrêt ni un recul, ne commit pas une erreur. La perfection de l’auteur garantissait la précision et l’immutabilité de l’œuvre.

Cette cosmogonie et cette zoologie, pour frustes qu’elles fussent, pouvaient satisfaire l’esprit de routine et le parti-pris d’ignorance des bénéficiaires de la théocratie. Elles surprirent, puis révoltèrent les gens sagaces et réfléchis, qui constataient bien la diversité, la singularité des espèces animales, mais aussi leurs analogies et leurs affinités. Déjà, à l’époque même où s’affirmaient la foi et la loi mosaïques, vers le viie siècle avant J.-C., les philosophes de l’École Ionienne enseignèrent la doctrine matérialiste pure : tous les organismes vivants dérivent de la matière brute par une suite de transformations ininterrompues. Et, au xviie siècle de notre ère, à Toulouse, Lucilio Vanini eut la langue coupée et fut brûlé à feu lent pour avoir écrit que les similitudes entre l’homme et le singe permettent de croire à une filiation directe.

Sans oser combattre ouvertement les dogmes établis, les naturalistes du xviiie siècle mirent en lumière les corrélations d’êtres en apparence très différents et y relevèrent une unité de plan dont ils ne voulurent pas voir la contradiction avec la théorie orthodoxe d’une mise