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nisme, au service d’une production trépidante dont il sent que la raison l’abandonne, a repoussé de sa vie quotidienne, avec cet apport de soi qui retient à l’œuvre, jusqu’au temps du fini, ravalé à l’exécution un effort qui fut novateur… Si nous ne pouvons, avant longtemps sans doute, espérer que le travail prendra « douce et belle figure » assez pour qu’on s’y attache avec élan et plus pour sa joie que pour son objet, rappelons-le, du moins, inlassablement, dès le temps du capitalisme où il se meut de nos jours, à ses hautes et claires destinées. Arrachons-le à la démagogie ‒ cette « aristocratie d’orateurs », comme disait Hobbes ‒ qui, pour ses desseins de domination, en couvre et favorise les déchéances, funestes aux sociétés de demain plus qu’à celles du temps. La conscience de l’ouvrage (qui est un pas vers sa perfection), même en tant que facteur d’élévation du niveau de la production et du bien-être qui en redescendra sur tout le corps social, est une des garanties des richesses de l’avenir. Certes, le « culte du travail bien fait » (d’essence ici toute utilitaire, pris en dehors du sentiment artistique, aujourd’hui comme adynamique) » qui est ‒ ou devrait être ‒ la vertu par excellence du producteur, ne peut plus avoir, à notre époque, d’autre fondement, outre l’intérêt bien entendu » ‒ en attendant qu’il participe de l’amour même du travail ‒ « que l’amour de l’œuvre entreprise » (J. P.). Et cet amour lui-même, que nous savons difficilement compatible avec le salariat », nous n’en pouvons caresser l’épanouissement que dans l’atmosphère assainie où, de concert, œuvreront un jour, nous l’espérons, les associations de production. Et il ne peut être, jusque dans l’association « qu’éphémère, impuissant ou maladroit, si l’intelligence ne l’éclaire pas, si le travailleur, par delà sa spécialité, ne sait pas embrasser d’un regard d’ensemble toute l’organisation, apercevoir la liaison de ses diverses parties, leur importance relative et les points sur lesquels doit porter le principal effort de défense, d’amélioration ou de développement » (J. P.). Cependant, si précaires qu’en apparaissent les possibilités dans cet enchaînement qui fait de l’ouvrier, comme le disait Godin, si sensible à ses maux, comme « un instrument matériel, peut-être n’est-il pas vain d’en appeler de réconfortantes prémices ? Par devant l’époque imprécise où, ses biens recouvrés, le travail, dans la production associée, grandira, même à l’écart de toute mystique moralité, jusqu’à être aimé… et beau, est-ce utopie que d’évoquer, dès le présent, le producteur, déjà tourné vers ses responsabilités actuelles et prochaines, s’élevant, à travers le maniement de ses rouages créateurs, jusqu’aux conditions générales de la production ; l’ouvrier, averti de son rôle social et s’y préparant, menant la bataille économique sur le plan de la libération de l’humanité ; le travail situant sa délivrance plus haut que le privilège et les classes et sachant qu’il devra être, à tous égards, au-dessus des régimes d’artifice et de proie dont il dénonce et poursuit l’oppression ?…

Stephen Mac Say.

Ouvrages à consulter. — De J.-B.— André Godin : Solutions sociales ; La Politique du Travail et la Politique des Privilèges ; Mutualité sociale et Association du Capital et du Travail ; Le Gouvernement et le vrai socialisme en action ; La République du Travail et la Défense parlementaire. — De Mme Marie Moret, Vve Godin : Documents pour une biographie complète de J.-B.-A. Godin. De M. J. Prudhommeaux (neveu et l’un des exécuteurs testamentaires de Godin) : Les Expériences sociales de J.-B.-A. Godin ; Le Familistère illustré. — De Mme Doilet : Marie Moret (in memoriam). — De F. Bernardot : Le Familistère de Guise. — De la Société du Familistère : Notice (générale et industrielle).


FAMILLE Le développement de la famille et celui de la société sont en raison inverse l’un de l’autre. Chez les peuples peu civilisés où la société est faible, la famille est un petit état régi despotiquement par le Pater Familias. Elle est alors très nombreuse : comprenant, outre le couple et les enfants, les ascendants, les collatéraux, les clients et les esclaves.

Dans la famille antique, l’individu trouve tout ce qui est nécessaire à sa vie matérielle et morale. Elle a sa religion, le culte des ancêtres qui continuent dans la mort à protéger leurs descendants. On les honore en entretenant le « foyer » ou feu sacré, symbole de la vie éternelle.

L’industrie est familiale, tout se fait dans la maison ; non seulement on y cuit les aliments, on y ravaude les vêtements, mais on y file et tisse la toile et la laine avec lesquelles on confectionnera les habits et le linge.

L’autorité du père est absolue ; les enfants, même devenus adultes, lui obéissent. La société ne les considère pas comme responsables des délits commis par eux, même hors de la maison ; c’est le père qui est leur juge, un juge qui a le droit de prononcer et d’exécuter des sentences de mort.

La femme, fille ou épouse, n’a pas de personnalité ; elle doit obéir toute sa vie, car elle ne deviendra jamais chef de famille. Son principal honneur est d’avoir procréé des garçons. Vieillie, elle exerce une certaine autorité ménagère sur ses filles et ses brus ; mais elle n’a pas d’existence sociale. Derrière les murs sans fenêtres des maisons romaines ou musulmanes, les hommes peuvent la torturer et la tuer, sans avoir de comptes à rendre à personne.

Ces mœurs, avec des variantes dans les détails, sont celles des grands États barbares. On les retrouve aussi bien dans la Rome antique que dans la Chine moderne.

La famille romaine s’est perpétuée chez nous à travers le Moyen-Age jusqu’à l’époque actuelle, mais en se désagrégeant peu à peu.

Au Moyen-Age, la puissance du mari et du père est encore très grande. Les enfants ne tutoient pas leurs parents, et il semble bien que, vis-à-vis d’eux, le respect ait le pas sur l’affection. Dans les pièces de Molière, les fils, encore moins les filles, n’osent enfreindre la volonté du père pour se marier avec le conjoint de leur choix. C’est par la ruse et les stratagèmes que l’on parvient à triompher de l’opposition paternelle ; l’enfant n’ose pas imposer directement sa volonté.

Tout près de la grande Révolution, Mirabeau est encore, durant toute sa jeunesse, emprisonné par ordre de son père, sous les griefs de prodigalité et de mœurs dissolues.

La grande Révolution, aurore de la vie moderne, a précipité la désagrégation de la famille. La suppression du droit d’aînesse, c’est-à-dire le renversement de la monarchie familiale, a séparé les enfants, transformant le petit État en une pluralité de groupes d’importance beaucoup moindre. La notion de l’individu et de ses droits, développée par les philosophes durant tout le dix-huitième siècle, a sapé à petits coups la puissance paternelle.

Après le fils, c’est l’épouse qui, elle aussi, a voulu s’affranchir. Timidement, mais avec persévérance, les idées du droit de la femme à l’existence personnelle se sont affermis durant tout le cours du dix-neuvième siècle. Malgré les oppositions de l’Église, le divorce a eu raison de l’indissolubilité du mariage. L’idée de la recherche du bonheur s’est répandue peu à peu dans les mentalités de toutes les classes de la société.

Les esprits rétrogrades ne tarissent pas en éloges de l’institution de la famille et envisagent sa désagrégation comme le pire cataclysme. Membres des classes