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lète que possible ; mais ils pensent que pour le vaincre définitivement il faut une révolution sociale qui mette fin à toute domination de caste ou de classe, à toute exploitation patronale ou étatiste, à toute autorité coercitive de l’homme sur l’homme, en un mot la révolution de la liberté. ‒ Jacques Bonhomme.

FASCISME. La Doctrine Fasciste. — Y a-t-il une doctrine fasciste ? Certes, le fascisme, mouvement démagogique sans but bien déterminé à son origine et devenu ensuite, sous la poussée des événements, mouvement groupant toutes les forces de réaction, n’a aucun caractère original propre et n’a affirmé aucun principe nouveau ou tout au moins renouvelé dans le monde. Mais il n’est pas sans intérêt de constater la doctrine qu’il a été amené à se donner pour achever la contre-l’évolution préventive que se proposaient tous ceux qui l’ont appuyé et favorisé plus ou moins directement.

Établissons d’abord, dans ses lignes essentielles et négligeant les détails, quelle a été la marche de l’idée politique à partir de la Révolution française. Celle-ci est venue proclamer à la place du droit divin des rois, le droit humain des peuples. Que ce droit ait été escamoté en grande partie par une nouvelle féodalité d’urgent, le fait historique n’en demeure pas moins d’une très grande importance et les conséquences en ont été considérables.

Pratiquement, les droits de l’homme se sont surtout résumés dans un droit de critique, de contrôle et de limite du pouvoir de l’État. Les réactions thermidorienne, napoléonienne et de la Sainte-Alliance n’ont guère réussi à supprimer ce droit. En 1830, la révolution du libéralisme conservateur l’assure d’abord à la classe possédante et cultivée. La révolution démocratique de 1848 ne tarde pas à l’étendre, au moyen du suffrage universel, à tous les citoyens. Tout cela d’une façon plutôt théorique et formelle que pratique et réelle.

Vint ensuite non pas le socialisme, mais ce qu’on a fini par appeler de son vrai nom la démocratie sociale (Sozialdemokratie). Celle-ci s’est proposé non pas la transformation des formes de la propriété et de tous les rapports sociaux, mais simplement d’appliquer au Capital le même droit de critique, de contrôle et de limite déjà exercé envers l’État. Toutes les lois préconisées par les divers partis socialistes dans les parlements ne visent pas à autre chose : contrôler et borner, au moyen de l’État, le pouvoir des capitalistes.

Le fascisme a remonté ce courant historique, logique en somme, malgré son insuffisance à résoudre le problème de l’émancipation du travail et des travailleurs. Il s’en est pris d’abord à la démocratie sociale (organisations syndicales, coopératives et politiques des travailleurs), puis à la démocratie radicale bourgeoise et, enfin, au libéralisme conservateur lui-même, pour revenir à l’État absolu, ne tolérant ni critique, ni contrôle, ni limite à son pouvoir.

Pour ce faire, quelle doctrine le fascisme a-t-il dû invoquer ? Celle d’un pouvoir fort, qui, pour être tel, ne saurait tolérer d’être critiqué, contrôlé et limité par les citoyens n’ayant ainsi d’autres droits que ceux que l’État veut bien leur reconnaître dans son intérêt, quitte à les supprimer dès qu’il juge bon de le faire. Une telle doctrine ne peut que nier les droits de l’homme pour faire retour au droit divin. C’est ce que l’organe de la papauté, L’Osservatore Romano, ne manqua pas de faire ressortir en soulignant que la doctrine fasciste s’accorde avec la catholique dans « la condamnation d’un système qui, en repoussant les principes absolus et transcendantaux, donne des bases tellement instables à l’ordre social, qu’il est permis d’établir que même le conservatisme libéral est logi-

quement lié aux extrêmes conséquences révolutionnaires ».

Une fois admis que l’autorité peut être discutée, il est loisible d’en arriver. à sa négation ; aussi doit-elle s’imposer au nom de la divinité même, indiscutable. La tyrannie ne peut donc que se réclamer forcément d’un caractère divin. C’est ce qui explique le cléricalisme fasciste.

L’État absolu ne saurait ensuite tolérer aucune autonomie locale. La commune s’administrant avec quelque indépendance et nommant son Conseil et son maire fut supprimée et il n’en resta plus qu’une division administrative, avec un podestat, sorte de dictateur local, nommé par le pouvoir central et entièrement à sa dévotion. La suppression des Conseils communaux entraîna celle des Conseils provinciaux (Conseils généraux en France), le préfet devenant à son tour dictateur provincial. À remarquer toutefois qu’à côté de l’autorité officielle, il y a aussi celle des Fasci locaux, auxquels podestats et préfets, sans compter l’organisation judiciaire elle-même, ne peuvent le plus souvent résister.

Nous ne dirons rien du Sénat et du Parlement italiens. Toute opposition y est interdite et ils ne se réunissent plus que pour sanctionner tout ce qui leur est soumis et pour fournir à Mussolini et à ses ministres l’occasion de quelques grands discours. Ils vont d’ailleurs être réformés aussi sur la soi-disant base des corporations.

Car le fascisme se proclame lui-même un État corporatif et d’aucuns ont eu la naïveté d’y voir une expérience intéressante. De quoi s’agit-il en réalité ? Un pouvoir, pour être vraiment absolu, doit aussi dominer toute la vie économique. De là cette idée de soumettre au contrôle de l’État toute activité économique et d’empêcher ceux qui ne font pas ouvertement acte d’adhésion au régime d’en exercer aucune. À cet effet, rien ne peut mieux servir que des corporations créées par l’État, après avoir interdit toute association libre ou lui avoir ôté les fonctions qui en font sa raison d’être.

Déjà, aux temps de l’ancienne Rome existaient des corporations ouvrières. Levasseur, dans son Histoire des classes ouvrières avant 1789, nous dit :

« Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire ou dans la tradition on trouve à Rome des associations, et particulièrement des associations de métier, désignées par les écrivains sous les noms de collegium, corpus, sodalitas, sodalitium, etc… »

Leur rôle est ainsi défini par Waltzing :

« En résumé, la religion, le soin des funérailles, le désir de devenir plus forts pour défendre leurs intérêts, pour s’élever au-dessus du commun de la plèbe, le désir de fraterniser et de rendre plus douce leur pénible existence, telles étaient les sources diverses de cet impérieux besoin d’association qui travaillait la classe populaire. »

Levasseur, après avoir retracé ensuite les différentes phases par lesquelles ces organisations plus ou moins libres, autorisées ou tolérées ont passé, nous conte comment elles devinrent enfin institution d’État et instrument de la tyrannie impériale :

« Les empereurs en vinrent, au ive siècle, à considérer le travail industriel non comme un droit qu’ils devaient protéger, mais comme un service public, dont ils pouvaient exiger l’accomplissement et les collèges comme les organes de ce service. Ils l’exigèrent d’autant plus rigoureusement que le service intéressait davantage la subsistance de Rome et des grandes cités ; de là, les obligations qui pesèrent sur les collèges de naviculaires, de boulangers, et aussi les immunités qui en étaient la compensation. Au ive siècle, quand, l’industrie s’alanguissant, les artisans cherchèrent à