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organisations maçonniques plus émancipées, qui ont écarté de leurs constitutions ou de leurs rituels toute formule religieuse, toute obligation de croyance, et qui ont peu à peu introduit dans leurs réunions l’étude des problèmes philosophiques, scientifiques et autres que pose l’évolution des sociétés humaines.

Entre ces Grandes loges et les dernières, il n’existe, croyons-nous, aucune espèce de rapports officiels ni officieux. C’est ainsi que les maçonneries latines, et plus spécialement la principale d’entre elles, le Grand-Orient de France, ne sont pas reconnues par la plupart des Grandes loges anglo-saxonnes. C’est ce qu’indiquent les annuaires de ces diverses associations et les comptes rendus de leurs assemblées générales ou convents.

Nous ignorons si ces divergences sont de nature à s’atténuer ou à disparaître, et si leur disparition donnerait à la franc-maçonnerie une force et une autorité plus grandes, qu’elle ne recherche peut-être pas. Nous y avons fait allusion uniquement pour démontrer que la franc-maçonnerie ne constitue pas une association, ayant un but, une programme, une méthode, des moyens d’action concertés, mais un ensemble de groupements tantôt reliés les uns aux autres, tantôt indépendants et s’ignorant ou se combattant mutuellement.

Et cependant il y a un lien qui semble unir les membres de toutes ces association, de tous ces groupements, et qui constitue le caractère spécifique ou, si l’on veut, l’originalité de la franc-maçonnerie.

Ce lien consiste principalement dans l’origine commune des associations maçonniques. Nous aurons un peu plus loin l’occasion de donner sur ce point quelques renseignements historiques.

De cette origine commune, les francs-maçons du monde entier tiennent tout d’abord cet esprit d’étroite fraternité qui est à la base même de leur institution. Les maçons, pour symboliser cet esprit, s’appellent entre eux « frères » et leurs constitutions proclament qu’ils ont pour devoir de s’aimer, de s’entraider et de s’éclairer mutuellement. Elles proclament aussi « qu’il est du devoir de la franc-maçonnerie d’étendre à l’humanité toute entière les liens fraternels qui unissent ses membres » (Article 1er de la Constitution du Grand-Orient de France).

Pour atteindre ce double but, la franc-maçonnerie demande à tous ses membres une bienveillance et une tolérance mutuelles basées sur le respect de la personnalité et de la liberté individuelles. Elle veut agir non par la contrainte mais par la persuasion et par l’exemple. Elle laisse à chacun de ses membres la liberté de ses conceptions ou de ses opinions. Une seule réserve, nous l’avons vu, dans les règlements de certaines associations maçonniques, c’est le respect de certaines traditions, à leur point de vue essentielles, et sans lesquelles, dit-on, la maçonnerie cesserait d’être la maçonnerie : la croyance dans l’être divin et dans l’immortalité de l’âme.

C’est un beau et splendide programme. Pour le réaliser, la maçonnerie entend n’admettre parmi ses membres que des hommes parfaitement honnêtes et droits ; elle veut que ces hommes, par la pratique des cérémonies maçonniques, par leur fréquentation mutuelle, s’efforcent d’élever leur cœur, leur caractère, leur intelligence, et qu’ils puissent ainsi devenir des exemples et des guides pour les autres hommes, pour les « profanes ». Elle veut que les maçons soient les hommes « les meilleurs et les plus éclairés » et qu’ils préparent ainsi l’avènement d’une humanité elle-même meilleure, elle-même plus éclairée.

La franc-maçonnerie, ainsi conçue, ne vise pas à conquérir la puissance publique. Elle est au-dessus des sectes, des partis, des religions, des intérêts qui séparent les peuples ou les classes sociales. Sa force ne réside pas dans son influence sur les gouvernements des nations.

Et c’est peut-être la raison pour laquelle elle n’a pas recherché ou n’a pas considéré jusqu’ici comme essentielle une centralisation, une unité plus grande de ses efforts, et la création d’un organisme central ou d’une autorité commune à tous ses adeptes. Elle veut convaincre et non pas gouverner. Elle veut améliorer les hommes et non les dominer. Elle s’adresse à l’individu et non aux groupes sociaux ou nationaux.

La franc-maçonnerie est ainsi amenée à proclamer l’égalité de tous les hommes et c’est en effet un principe qu’elle a inscrit dans ses constitutions et dans ses rituels, bien avant la Révolution française. Tous les « frères » maçons à quelque nation, à quelque condition sociale qu’ils appartiennent, sont considérés comme égaux. Sans doute, et c’est là l’une des originalités de l’institution, provenant elle aussi de ses origines, il y a une hiérarchie maçonnique, il y a des « grades ». Dans la loge, il y a des apprentis, des compagnons et des maîtres. Dans des ateliers dits « supérieurs », il y a des frères qui possèdent des dignités ou des grades. Mais les constitutions et les règlements de toutes les « Grandes loges », de toutes les « obédiences » proclament qu’il s’agit d’une hiérarchie de devoirs et non d’une hiérarchie de droits. Tous les documents que nous avons pu consulter, qu’ils soient contemporains ou des siècles précédents, insistent sur l’égalité des frères au sein de la loge, sous la seule réserve des attributions conférées aux « officiers », c’est-à-dire aux membres du bureau chargés des fonctions administratives et qui sont choisis par leurs frères suivant des modalités diverses.

Ceci dit, il est certain qu’il existe dans tous les « ateliers maçonniques » cette distinction entre apprentis, compagnons et maîtres, qui semble constituer l’un des caractères essentiels de toute organisation se réclamant de la franc-maçonnerie. Le titre de franc-maçon, et les degrés ou grades que nous venons d’énumérer, sont acquis au moyen de « l’initiation » qui révèle au candidat les formes, les signes, et les symboles en usage dans les cérémonies maçonniques.

L’usage du symbole, c’est encore l’originalité spécifique de la franc-maçonnerie, le lien qui parait unir tous les francs-maçons quelle que soit l’organisation à laquelle ils appartiennent.

Les symboles maçonniques, eux aussi, se rattachent à l’origine historique de la franc-maçonnerie. Ils sont empruntés presque toujours à l’art de bâtir auquel se consacraient, ainsi que nous le verrons, les premiers francs-maçons, les francs-maçons opérateurs du moyen-âge.

Nous plaçant, dans cette notice, à un point de vue purement objectif, nous n’avons pas à nous occuper des critiques faciles que la franc-maçonnerie a pu s’attirer par des usages et des pratiques que l’on a cherché souvent à ridiculiser, que des hommes pourtant sympathiques à tout effort de progrès social jugent inutiles ou même parfois puérils et qu’ils donnent comme la raison ou le prétexte de leur refus de solliciter leur admission dans les loges.

Il ne nous appartient pas de rechercher si, parmi ces formes symboliques, parmi ces signes et ces cérémonies traditionnelles, certains ne sont pas devenus plus nuisibles qu’utiles au rôle que la franc-maçonnerie s’est donné dans le passé et entend encore assumer dans l’avenir.

Nous cherchons seulement à définir ce qu’est la franc-maçonnerie, et ce qui, au travers des divergences et des dissentiments auxquels nous avons fait allusion, réunit sous des idées ou des principes communs les hommes affiliés, dans tous les pays du monde, aux diverses organisations qui se réclament de l’Ordre maçonnique. C’est la tâche, et c’est la seule tâche qui s’impose au rédacteur d’un article de dictionnaire, qui a pour mission