Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
EDU
636

vrage, par intérêt pour gagner quelque argent, etc., mais quelque soit le mobile de cette action, ce serait toujours un sentiment, un intérêt ou une tendance.

Par suite, développer l’intelligence d’un individu avant d’éduquer son affectivité, c’est-à-dire de dériver ses tendances mauvaises ou de les réduire à l’impuissance en favorisant des tendances aux effets contraires, c’est le mieux armer pour des buts mauvais.

Enfin une troisième raison de songer d’abord et surtout à l’éducation de la partie affective de l’individu réside en ce fait que l’individu à éduquer est généralement un enfant dont le développement intellectuel fort peu avancé ne peut être accéléré et dont le développement affectif a besoin d’être surveillé de près.

Ainsi la culture des sentiments est l’essentiel de l’œuvre éducative. Or il est des sentiments dits égoïstes qui se rapportent au bien de l’individu lui-même alors qu’il est des sentiments sociaux qui paraissent opposés aux premiers.

Les uns et les autres sont nécessaires, l’égoïsme donne de la force à la personnalité et le jeune enfant qui a surtout besoin de développer ses forces est naturellement égoïste. Par contre les sentiments sociaux apparaissent plus tardivement, ce n’est que vers huit ans que l’enfant commence à s’intéresser aux jeux collectifs et ce n’est que vers douze ans que sa conscience sociale s’éveille.

Faut-il attendre si tard pour se soucier de l’Éducation des sentiments sociaux ? Évidemment non, l’amour des parents pour leurs enfants appelle l’attachement de ceux-ci à leurs parents, cet attachement de nature égoïste du début devient une seconde nature, l’enfant s’attache à d’autres individus et peu à peu l’attachement égoïste se transforme en un sentiment altruiste.

Préparer des individus sociaux quoique conservant une forte personnalité est donc à nos yeux l’œuvre éducative la plus importante.

À la culture de la bonté nous rattachons la culture du goût, nous voulons que les individus deviennent autant que possible capables de jouir des beautés musicales, artistiques, etc., cela contribuera à les rendre meilleurs.



Il ne faut pas confondre l’instruction qui meuble l’esprit et l’Éducation qui le forme.

Former l’esprit, c’est donner à l’individu « les habitudes solides et efficaces permettant de discerner les opinions dont la preuve est faite, de ce qui n’est qu’affirmation, supposition ou hypothèse… ; des principes de recherches et de raisonnement qui répondent à la nature des problèmes divers à résoudre… » (Dewey).

Former l’esprit c’est le mettre en garde contre toutes les causes subjectives (intérêt personnel, amour propre, paresse, dépendance d’autrui, principes dogmatiques, goût du merveilleux) qui nous empêchent d’observer et de juger ou nous induisent en erreur dans nos observations et nos jugements.

C’est donc mettre l’esprit à même de juger objectivement, le dégager des influences mystiques ; l’habituer à penser qu’il n’est pas de cause sans effet, que la nature a des lois et que tout en lui et autour de lui est soumis à un déterminisme universel.

L’origine de toute connaissance vient de l’observation, c’est-à-dire des sens ; or, nos sens ont le grave défaut de nous tromper parfois ; chacun connaît cette illusion des deux lignes parallèles qui ne paraissent plus parallèles parce qu’en-dessus et en-dessous on a tracé des lignes obliques ; comme aussi ce fait qu’une image noire sur fond blanc ne paraît pas être de même grandeur que la même image, de même dimension, mais blanche sur fond noir. Il en est beaucoup d’autres, et c’est une des raisons pour lesquelles il faut éduquer les sens.

« L’école moderne fait bon marché de l’éducation des sens. Meubler l’esprit de la science des autres semble être l’unique souci de beaucoup d’éducateurs, qui mériteraient plutôt le nom générique de déformateurs. Leurs élèves apprennent à voir par procuration, alors que dans toutes les circonstances de la vie et dans tous les actes d’une profession, ils devront voir avec leurs propres yeux. » (Ch.-Ed. Guillaume)

Or, les sens sont éducables : « Un marin distingue la forme et la structure d’un navire sur la mer, quand le passager ne voit encore qu’un point trouble et informe. Un Arabe, dans le désert, distingue un chameau et peut dire à quelle distance il se trouve, alors qu’un Européen ne voit absolument rien. » (Dr Émile Laurent.)

Il faut amener l’enfant à voir juste, c’est-à-dire à distinguer nettement les formes et les couleurs, vite et beaucoup ; à goûter les beautés musicales ; à se servir habilement de son toucher, de son goût, de son odorat ; il faut que ces sens soient affinés pour que les enfants ne trouvent pas leur plaisir dans des jouissances grossières qui provoquent des habitudes vicieuses.

Pour bien observer, comme aussi pour bien juger, il faut, avant tout, être attentif. La culture de l’attention est, par suite, l’un des buts principaux de l’éducation.

« L’établissement des connexions entre les organes des sens n’est pas moins important, et il en est, parmi elles, d’étonnamment précises. Alors qu’un joueur de boules appréciera difficilement à un mètre près la distance du cochonnet, il le piquera presque à coup sûr ; son habileté témoigne d’une coordination parfaite entre son estimation visuelle et son sens musculaire, coordination en partie inconsciente, que l’éducation a réalisée, et qu’utilise un mécanisme automatique…

« Si l’homme a appris à voler dans les airs, ce n’est pas seulement parce qu’il a su construire des machines volantes ; c’est, tout autant, parce qu’il a pris conscience de tous leurs mouvements dans le fluide décevant où elles évoluent. » (Ch.-Ed. Guillaume)

Il ne suffit pas d’éviter les erreurs des sens pour observer le mieux qu’il est possible, il faut encore savoir remplacer nos sens imparfaits : un thermomètre mieux, que notre main nous indiquera si un bain est à la température qui convient à un malade. C’est encore faire de l’éducation qu’habituer les individus à ne pas se contenter de l’approximatif fourni par les sens et à leur substituer la mesure. La science ne se serait pas développée sans les perfections successives de la mesure et il n’est pas moins utile de prendre l’habitude de mesurer pour la vie pratique : le cultivateur qui mesurera les rendements de diverses variétés de pommes de terre, par exemple, aura moins de chances de se tromper en son choix que celui qui se contentera d’une observation superficielle. On fera donc prendre aux enfants l’habitude de la mesure et on les exercera à mesurer avec précision, car ils ne le savent pas naturellement. Lorsque l’occasion s’en présentera, on en profitera pour leur faire constater les erreurs de leurs sens ou pour reporter sur un graphique les résultats observés.

L’observation des faits est, en un certain sens, le résultat du hasard : toute autre est l’expérimentation dans laquelle on modifie systématiquement les conditions dont dépendent les faits pour faciliter les observations. Une expérience est une question posée à la nature. Il est nécessaire d’apprendre à l’enfant comment on pose de telles questions. L’une des règles les plus importantes est celle de ne faire varier à la fois qu’une des conditions dont dépend un phénomène. En pratique, certaines expériences ne permettent pas de satisfaire pleinement à cette condition, mais l’on parvient cependant à un résultat satisfaisant en te-