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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/30

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Mais, pourra-t-on dire, cette étude est superflue car les sciences nous enseignent que tout est soumis au déterminisme, par conséquent liberté et volonté n’existent pas. Il est bien vrai que la liberté absolue n’existe pas mais « il est bon d’envisager le problème de libre arbitre, en distinguant en lui le problème scientifique qui concerne le déterminisme psychologique des actes humains et le problème moral qui se rattache à leur jugement » (F. Enriques).

« … en interprétant correctement l’intuition que nous avons des faits volontaires, liberté et déterminisme ne se contredisent pas. La thèse de la liberté de notre volonté, suivant l’attestation de notre conscience, affirme :

« 1o La possibilité pour chaque homme de faire, dans certaines limites, ce qu’il a décidé (liberté physique ou liberté extérieure) ;

« 2o La possibilité que chaque homme a d’influer, jusqu’à un certain point, sur le cours de ses pensées et de ses sentiments et de déterminer ou de modifier ainsi ses décisions ultérieures, en inhibant ou en renforçant l’action des motifs. Cette « liberté de la volonté » opposée à la « liberté de l’exécution », constitue la liberté morale ou liberté intérieure.

« Elle a, comme la première, une existence réelle. En elle, nous puisons notre confiance en nous-mêmes. En elle, nous posons le vrai fondement de notre responsabilité, si bien que nous attribuons le plus haut degré de responsabilité aux actions voulues avec préméditation, comme conséquence d’une délibération mûrie, à laquelle nous avons subordonné une série d’actes, et, par conséquent, en connexion avec les caractères permanents de notre personnalité.

« Au contraire, nous croyons avoir moins de responsabilité lorsqu’il s’agit d’actions imprévues, tout en nous inculpant de ne pas nous être prémunis contre la possibilité d’une telle occurrence, en en prohibant l’effet sur notre volonté. Si bien que cette responsabilité s’évanouit presque à nos yeux si l’action fut provoquée par un motif puissant et inattendu » (F. Enriques).

Autrement dit nos décisions personnelles sont toujours déterminées par plusieurs facteurs, notre personnalité toute entière (sentiments, volonté, etc.) étant l’un de ces facteurs. Nous sommes libres dans la mesure du facteur personnel de la décision.

Ainsi, notre liberté dépend de notre développement intellectuel et sentimental d’une part, du développement de notre volonté de l’autre. L’individu qui ne peut prendre de décisions raisonnées ou qui est incapable de conformer sa conduite à son jugement par insuffisance de l’éducation de ses sentiments ou de sa volonté n’est pas libre ; il peut se croire libre mais il est en réalité l’esclave de ses faux jugements, de ses passions, de ses caprices.

Si nous examinons les conséquences de cela pour l’Éducation, nous constatons d’abord l’erreur de certains théoriciens qui, proclamant le droit de l’enfant à la liberté, croient qu’il faut, en tout, le laisser agir à sa fantaisie. « Les anarchistes, disait Malatesta, ont tellement souffert de l’autorité, ils en ont une telle haine, qu’ils en arrivent volontiers à penser que la meilleure méthode d’éducation à employer avec leurs enfants, consiste à les laisser grandir dans la liberté la plus absolue. Jamais d’observations, pas de fantaisies qui ne soient tolérées, l’insolence est respectueusement ménagée, la brutalité, la grossièreté même, la paresse est excusée et la gourmandise est absoute. À en croire ces très sincères mais malheureux camarades, cela s’appellerait : respecter l’individualité de l’enfant. En réalité, c’est la culture intensive des mauvaises herbes, et l’enfant se mue en grandissant en un parfait égoïste. Son père, croyant former une individualité,

n’a réussi qu’à faire un enfant gâté. Malheur à ceux qui plus tard auront commerce avec cette brute. Il sera, selon les circonstances et selon son tempérament, soit un tyran, soit un vaniteux, soit un paresseux, quand il ne sera pas les trois à la fois. »

Une seconde conséquence de ce que nous avons dit de la nature de la véritable liberté, c’est qu’en réalité on ne l’éduque pas. La liberté est le couronnement de l’édifice éducatif. L’individu dont les éducations physique et mentale sont faites est libre. Bien entendu, sa liberté n’est que relative car il doit encore compter avec les contraintes sociales, mais au moins il a acquis toute la liberté qu’il pouvait obtenir par sa propre éducation.

De ce qui précède, il ne faudrait pas conclure que le bon éducateur ne laissera nulle liberté aux enfants. Un pédagogue a dit que la liberté ne consistait pas à faire tout ce qu’on veut, mais à vouloir tout ce qu’on fait. Formule heureuse que l’éducateur prendra pour guide. Ce qui importe le plus dans l’éducation des enfants, c’est d’user de la contrainte le moins qu’il est possible ; or, il est évident, d’autre part, que pour de nombreux actes de sa vie, l’enfant a besoin d’être guidé, commandé et qu’il faut qu’il obéisse. Mais il convient de remarquer qu’en de nombreux cas, l’enfant pourrait choisir entre deux alternatives, ou même plus, sans qu’il en résulte nul inconvénient. S’il pleut et qu’un enfant disposant d’un capuchon et d’un parapluie doive sortir pourquoi ne pas lui laisser la liberté de choisir entre l’un ou l’autre, si nulle raison particulière, autre que la fantaisie de l’éducateur, ne s’oppose à ce choix. Il est deux conditions essentielles à ce que l’enfant veuille ce que l’éducateur lui commande et obéisse ainsi sans contrainte : c’est d’abord que l’éducateur ait su gagner l’attachement de l’enfant et ceci n’est possible que s’il aime cet enfant ; c’est ensuite que l’enfant n’attribue pas ces ordres à la fantaisie de l’éducateur, donc que ce dernier ne donne pas d’ordres quand il n’est point nécessaire d’en donner, qu’il donne ces ordres en laissant le plus de liberté possible à l’enfant dans le choix des moyens d’exécution et enfin qu’il ne démontre pas lui-même l’inutilité de ses ordres en donnant des contre-ordres continuels.

Nous avons dit que la liberté de l’individu dépendait en partie de sa volonté ; il importe donc de préciser ce qui caractérise l’acte volontaire. Ce n’est pas seulement l’hésitation, la délibération et le choix, comme certains psychologues le supposent, c’est aussi la conscience qu’a l’individu de la personnalité de sa décision et, par conséquent, des responsabilités qui lui incombent. Faire l’éducation de la volonté ce n’est donc pas seulement faire celle de la pensée (hésitation, délibération, choix) puis appliquer cette pensée aux actes de la vie ; c’est encore préparer des hommes d’initiative et ayant le sentiment de leur propre responsabilité.



L’Éducation et la Vie. — Certes, j’admire fort les pédagogues de Cempuis, aussi bien Delon que Robin, mais l’admiration n’empêche point la critique et je veux faire une critique à leur conception de l’éducation. Ce qu’ils voulaient ? Une éducation intégrale, et « Par ce mot d’éducation intégrale, disait Robin, nous entendons celle qui tend au développement progressif et bien équilibré de l’être tout entier, sans lacune ni mutilation, sans qu’aucun côté de la nature humaine soit négligé ni systématiquement sacrifié à un autre ». Jusqu’ici, nous sommes presque d’accord et nous le serions même tout à fait si cette éducation harmonieuse se faisait en un milieu également harmonieux et bien équilibré, mais dans un milieu qui ne réalise pas cet idéal l’éducateur doit agir de telle façon que : 1o de l’action