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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/31

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EDU
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combinée du milieu et de l’éducation résulte une éducation aussi intégrale que possible ; 2o l’éducation rétablisse l’harmonie du milieu (Voir précédemment : « But de l’Éducation et développement mental »).

Où notre désaccord est plus sérieux, c’est lorsque ces pédagogues proclament la nécessité de l’instruction intégrale « but et moyen de l’éducation ». Figurant l’ensemble des connaissances humaines par un grand cercle, plaçant au centre le point de départ ils figurent la marche de l’instruction par des cercles, ayant tous le même centre, de plus en plus grands. Ainsi, l’instruction intégrale est également développée dans toutes les branches du savoir humain, elle forme un tout sans lacunes, logique, continu, serré.

À une telle instruction, j’aurai à faire des objections de diverses natures, d’abord c’est que les connaissances humaines ne se sont pas développées avec une si belle harmonie : il est des sciences qui depuis des siècles ont acquis un degré relatif de perfection, il en est d’autres qui en sont encore aujourd’hui à leurs premiers pas. De même l’acquisition des connaissances par l’enfant doit tenir compte du développement mental et des intérêts de celui-ci ; l’âge des progrès en calcul est plus tardif que celui des progrès en lecture, par exemple.

Ensuite, de même qu’il y a de multiples façons de faire un bon repas, il y a de nombreuses manières d’assurer le développement de l’esprit. Il y a de multiples sujets d’étude qui éveillent la curiosité, retiennent l’attention, fournissent l’occasion d’observer, de juger, de réfléchir. Ajoutons que ces sujets varient selon les milieux et les individus.

Ainsi, une instruction spécialisée en une certaine mesure peut permettre de donner une éducation intégrale, alors qu’en certaines conditions une instruction intégrale ne le peut pas.

En résumé, ce que je reproche aux pédagogues de Cempuis, c’est de ne pas avoir tenu assez compte des réalités et de la variété des milieux éducatifs.

L’instruction et l’éducation ne doivent pas être les mêmes pour le petit paysan que pour l’enfant des villes parce que l’une et l’autre doivent plonger dans la vie, s’accrocher aux intérêts des enfants et leur faire comprendre leur milieu. Il ne s’agit point — avec des enfants du moins — de les adapter à ce milieu, mais de les rendre capables de s’adapter à des transformations possibles et capables aussi de coopérer à la transformation sociale, c’est-à-dire à l’adaptation de la société à l’idéal qu’ils se seront forgé.

Au point de vue social, l’éducateur, qui ne voit pas en la société une ennemie fatale des individus, mais le moule dans lequel se forgent et se trempent les individualités, a un double rôle ; il doit d’abord préparer les enfants à la vie sociale normale et saine, il doit ensuite leur faire observer la société telle qu’elle est, de façon qu’ils aient un jour le désir de la changer.

Préparer les enfants à la vie sociale, à cette entraide auquel Kropotkine a consacré tout un ouvrage, n’est pas précisément ce que fait l’école d’aujourd’hui, où l’entraide est un défaut, où il ne faut pas aider le voisin mais s’efforcer de le dépasser. Le régime actuel de l’école est la concurrence. « L’histoire de la pédagogie au cours des cinq derniers siècles présente trois phases principales : celle de la contrainte, celle de la concurrence et celle de l’intérêt spécifique. Ces diverses phases coexistent et se confondent. » (Wells.) Hélas, beaucoup plus d’écoles restent à la première phase que nous n’en trouvons à la dernière. Cependant, « lorsque, dit encore Wells, règne dans un établissement le système du tableau d’honneur, les élèves brillants sont enchantés qu’il se trouve parmi leurs condisciples des paresseux et des sots, qui leur facilitent la besogne en diminuant la concurrence ; mais dans une collectivité dont tous les membres poursuivent le même but, on ne

tolère pas les paresseux. L’action stimulante est beaucoup plus profonde et elle va en grandissant ».

Ainsi, comme nous l’avons dit, à propos du mot École, il faut, dès que cela est possible, faire une place aux travaux scolaires libres.

Enfin, il leur faut faire observer la société actuelle dans leur milieu d’abord : les ouvriers qui s’en vont pieds nus, toujours courbés à travers les rangs de betteraves qu’ils sarclent et binent ; plus tard les ouvriers chargeant les lourds tombereaux, l’onglée aux doigts ; ailleurs, les vachères qui s’en vont à travers les prairies couvertes de rosée. « Ce qu’un homme, dit Guieysse, a le plus de peine à connaître intelligemment, c’est sa propre vie, tellement elle est faite de tradition et de routine, le meilleur procédé pratique n’est pas de répandre des idées et des connaissances extérieures et lointaines, mais de faire raisonner la tradition par ceux qui s’y conforment, la routine par ceux qui la suivent. »

Il y a bien quelques parasites en tout milieu ; faisons observer aussi le parasitisme social. Combattons aussi, par des récits ou des lectures appropriées, l’action de ceux qui viendraient dresser les uns contre les autres les travailleurs de l’usine et de la campagne, de leur pays et d’ailleurs, montrons leur que, partout, il est des hommes qui peinent et qui souffrent. Mais ne concluons pas, ne nous mettons pas au service d’un Parti, l’éducateur qui tire des conclusions et s’empresse de les enseigner, manque de confiance en la valeur de ses propres conclusions ou en celle de la nature humaine.

Pour finir, nous ne pouvons mieux faire que de citer toute une page de Roorda :

« Le rôle de l’école est d’entretenir l’idéalisme dans l’âme humaine et, dans ce sens, son action ne peut être que révolutionnaire. Qu’elle ait donc le courage de dire aux puissants défenseurs de l’ordre actuel : « Ne comptez plus sur moi ! »

« Les forces conservatrices qui retardent les changements sociaux (les changements souhaitables comme les autres), sont considérables. Les formes du passé sont défendues par l’hérédité, en vertu de laquelle les enfants ressemblent à leurs parents ; par l’imitation, qui fait que les êtres nouveaux adoptent les formules et les gestes des anciens ; par la paresse humaine, car il faut plus d’efforts pour innover que pour conserver ses habitudes. Le passé est protégé par les lois et les gendarmes. Enfin, il est défendu par ceux qui défendent l’argent et par leurs domestiques.

« Eh bien ! Il ne faut pas que l’éducateur vienne encore donner son coup de main à toutes ces puissances et mette à leur service la docilité et la crédulité des enfants.

« Donnons aux enfants un élan pour la vie. Et si cet élan doit les porter au delà du point où notre lassitude et notre prudence nous ont fixés ; si, un jour, avec l’ardeur et la liberté d’esprit qu’ils nous devront, ils attaquent les dogmes de notre imparfaite sagesse, tant mieux. » (Roorda, Le Pédagogue n’aime pas les enfants).



La pratique et les étapes de l’Éducation. — Cette question, dont nous avions déjà parlé à propos des mots Coéducation et École, que nous avons effleurée, dans les pages qui précèdent, ne peut être étudiée qu’après une étude approfondie de l’enfant, de son développement mental et physique. Nos lecteurs voudront bien se reporter au mot Enfant, à propos duquel nous compléterons le présent travail. — E. Delaunay.

BIBLIOGRAPHIE
Critique de l’Éducation actuelle
et esquisse d’une éducation meilleure

H. Roorda : Le Pédagogue n’aime pas les enfants (Payot).