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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/34

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lorsque nous essayons d’envisager l’avenir, de le déterminer, d’en tracer les grandes lignes d’après les exemples du passé, nous faisons un effort. Il y a donc peu d’actes dans la vie qui ne nécessitent des efforts.

Individuellement ou socialement, le progrès est la conséquence des efforts particuliers ou collectifs. Ce n’est qu’en faisant des efforts, qu’en employant toutes nos facultés pour atteindre le but que nous nous sommes tracés, que nous obtiendrons des résultats. Sans efforts il ne peut y avoir de progrès. L’homme qui reste passif, qui mène sa vie bestialement, ne faisant que les efforts musculaires indispensables à la conservation animale de son individu est un être incomplet. Pour être effectif, productif, l’effort physiologique de l’homme doit être associé à son effort intellectuel.

D’autre part, lorsque l’individu n’est pas assez puissant pour opposer sa résistance à une puissance extérieure, il joint son effort à celui d’autres individus. « L’union fait la force. » « L’homme fort, c’est l’homme seul » a prétendu certain philosophe. Quelle erreur. C’est de l’effort combiné de tous les individus qu’est fait le progrès et que la civilisation remporte ses victoires sur la barbarie. Les éléments d’asservissement et de domination sociale ont compris qu’ils devaient s’unir pour ne pas être écrasés par la plèbe. Quand les esclaves et les parias auront compris que leur libération ne peut être que le fruit de leurs efforts, qu’ils sauront s’associer pour lutter contre les puissances d’exploitation, ils verront leurs efforts couronnés de succès et pourront partir à la conquête de la société future.


EFFORT COMMUN. Syndicalement parlant, il consiste à savoir ne pas gaspiller sa force en démonstrations aussi individuelles qu’infécondes.

Quand, par exemple, un homme a de bonnes idées, ce n’est pas intelligent de sa part de n’en point faire profiter les autres. S’il a de l’enthousiasme, du courage et de la force, que fera-t-il de si belles qualités s’il s’obstine à ne les point joindre à celles d’autres hommes de sa classe, ayant à vivre et à souffrir comme lui de l’exploitation ?

Au contraire, n’eût-il que peu d’idées et pas beaucoup de force, s’il sait coordonner ce qu’il a de bon avec ses frères de misère, de leur effort commun peut surgir un effet spontané formidablement salutaire. — G. Y.


ÉGALITÉ n. f. Lorsque les chefs bourgeois de la grande révolution de 1789 ont mis ce mot dans la trilogie républicaine, ils connaissaient bien les aspirations des profondes masses populaires luttant pour leur affranchissement. De même, dans la récente révolution russe, lorsque les chefs bolchevicks ont pris comme mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets », ils ne faisaient que traduire dans les mots ce que le peuple en révolte était en train d’accomplir dans les faits.

Que pouvaient, en effet, demander de plus, le serf courbé sous le joug des grands et petits seigneurs, l’ouvrier déjà exploité par la bourgeoisie naissante et tous les meurt-de-faim rivés à leur boulet de misère et à leur chaîne d’esclavage, sous l’arrogance et la domination des maîtres du jour ?

Égalité ! Mais cela voulait dire pour eux la fin de leur sujétion et de leur servitude, la fin de leur esclavage et de leur misère. Ils allaient être enfin les égaux de ceux qui, jusque-là, avaient vécu de leur sueur en les écrasant de leur mépris. Ils auraient enfin les mêmes droits, les mêmes possibilités de vie, la même liberté que ceux qui les avaient toujours asservis et pressurés. Ils pourraient enfin manger quand ils auraient faim, se reposer quand ils seraient fatigués. Ils ne seraient plus astreints à travailler au-dessus de leurs

forces pour nourrir dans le luxe et l’opulence le seigneur et le curé. Ils allaient pouvoir eux aussi prendre part au banquet de la vie et du bonheur ! On comprend alors aisément que les sans-culottes aient pu s’enthousiasmer pour obtenir cette égalité. Et on comprend aussi facilement que ceux qui voulaient rester les chefs de la révolution, pour endiguer à temps le flot populaire, aient été contraints d’inscrire ce mot en tête de leur constitution afin de pouvoir plus facilement escamoter la chose.

Quant à ceux qui, avec Marat et Babeuf, ne se laissèrent pas tromper par les mots et voulurent pousser la révolution jusqu’à ce qu’elle ait réalisé cette égalité non seulement dans les mots mais dans les faits, jusqu’à ce qu’elle ait implanté ce sentiment d’égalité dans la vie économique et sociale, dans les moyens de vivre et de jouir de l’existence, leur voix fut vite étouffée par la réaction et la répression que permit le relâchement de l’activité révolutionnaire des masses profondes du peuple, fatiguées déjà de l’effort fourni, et confiantes dans les promesses que faisaient miroiter les grands mots de la devise Républicaine. Hélas, ces trois mots qu’on lit encore sur les murs des mairies, des casernes, des hôpitaux et des prisons ne devaient servir que de paravent à un régime se contentant de remplacer la domination d’une classe par celle d’une autre classe — ou plutôt de réaliser à peu près la fusion de ces deux classes : noblesse et bourgeoisie (car la bourgeoisie prise fort les titres de noblesse et la noblesse ne dédaigne pas du tout les dividendes que procure le régime bourgeois) — sur l’exploitation des sans-propriétés qui allaient devenir ce qu’on appelle aujourd’hui le prolétariat.

Il n’en pouvait être autrement, car aucun gouvernement d’aucun État ne peut et ne pourra jamais réaliser l’égalité réelle, l’égalité sociale, l’égalité complète entre les êtres humains. Le principe d’égalité est essentiellement contraire au principe gouvernemental et étatiste. Qui dit : État, gouvernement, dit : hiérarchie ; et là où il y a hiérarchie il ne peut y avoir égalité. On peut même dire que ce principe d’égalité est essentiellement anarchiste. Il signifie que, considérés au point de vue social, tous les être humains ont le même droit à la vie et au bonheur et par conséquent à tout ce qui procure la vie et le bonheur, un égal droit de manger à sa faim des aliments sains et réconfortants, de se loger confortablement, de se vêtir, de circuler, d’aller et venir librement, un égal droit de puiser aux sources de la production ce qui leur est nécessaire ou utile pour vivre. Le rôle de l’organisation sociale doit être précisément de permettre à chacun de lui assurer la même possibilité de satisfaire tous ses besoins et de jouir de l’existence sous toutes ses formes.

Dans la société actuelle qui s’impose à l’individu, qui l’embrigade à sa naissance — sans lui demander avis d’ailleurs — et ne le laisse en paix qu’après sa mort, comment peut-on admettre, sans être soulevé par la révolte, qu’il soit dit à l’un : « Tu jouiras de toutes les richesses produites ou à produire sans jamais avoir à travailler, tu n’auras qu’à commander ce que tu voudras pour le voir de suite exécuter » et à l’autre : « Tu travailleras du matin au soir et d’un bout de l’année à l’autre, du commencement à la fin de ta vie ; tu obéiras aux ordres qui te seront donnés sans avoir à les discuter ni même à les comprendre, et tu n’auras droit, pour vivre, qu’à ce que le riche, ton employeur, voudra bien te donner » ? Celui qui se trouve ainsi repoussé du banquet de la vie par une société marâtre qui l’incorpore et le conserve de force dans ses rangs n’a-t-il pas le droit, je dirai mieux : le devoir, de se rebeller et de répondre ainsi à cette société : « Je ne te dois rien, tu m’as pris dans tes griffes pour me torturer tant qu’il te plaise de me tuer, mais je ne