Paul voyageait sans cesse, fondant un peu partout des groupes de fidèles, qui restaient en correspondance entre eux. Les adeptes se réunissaient pour prendre leurs repas en commun ; chacun apportait ses vivres. Des chrétiens dévoués (diacres et diaconesses) servaient leurs frères et leurs sœurs à table : ils le faisaient gratuitement, par pur dévouement. Les premiers représentants de l’Église catholique ont donc montré un désintéressement… que nous ne retrouverons plus dans la suite des siècles. Chaque groupe avait une caisse commune, dans laquelle chacun versait librement son superflu ou son obole.
Les Juifs orthodoxes voyaient d’un mauvais œil le développement de la nouvelle secte. Paul faisait appel, ô abomination, à des non-circoncis ; il infligeait plus d’une entorse à la vieille loi hébraïque. On voulut se défaire de lui, et il s’en fallut de peu que le christianisme fût étouffé dans l’œuf. Entre juifs et chrétiens, ces frères ennemis, la querelle allait en grossissant ; on en venait même aux mains. Paul faillit être assommé. Il fut mis en prison, mais sa qualité de citoyen romain le sauva.
Après saint Paul, l’Église continua à se développer lentement. Jérusalem avait été détruite et les Hébreux dispersés. À défaut des polémiques entre Juifs et Chrétiens, les Chrétiens vont à présent polémiquer entre eux, avec une âpreté sans précédent jusqu’alors.
Ils formaient alors des associations quasi-clandestines et purement laïques. À côté des diacres et des diaconesses dont j’ai parlé, ils avaient bien des évêques (episcopos), mais ces personnages remplissaient tout simplement un rôle de surveillants dans les assemblées. On les appelait aussi les Anciens. Les Chrétiens se reconnaissaient à l’aide de signes mystérieux et s’entouraient volontiers d’obscurité, bien qu’ils ne fussent pas encore persécutés. On peut même penser que la haine du peuple fut, en partie, éveillée par le caractère secret du christianisme, qui suscita des méfiances et une forte animosité. De là à leur attribuer la responsabilité des événements fâcheux (pestes, incendies, etc.), qui pouvaient se produire, il n’y avait qu’un pas à franchir.
Les premiers chrétiens croyaient la fin du monde imminente. Jésus l’avait annoncée. Ils attendaient son retour d’un moment à l’autre, Cette croyance (dogme de la Parousie) explique leur mépris des choses matérielles, du mariage et de l’amour ; elle explique aussi leur communisme et leur souci de travailler uniquement à leur salut spirituel, afin d’être prêts à comparaître bientôt devant le grand juge.
Les premiers actes d’intolérance furent commis par les chrétiens eux-mêmes, qui allaient la nuit détruire et renverser les statues des « faux dieux », ce qui exaspérait la superstition populaire. Autrement, on était très libéral à Rome, en matière de religion et les cultes les plus différents y voisinaient fraternellement sans se contrecarrer. Tout cela changea avec le christianisme qui ne tarda pas à attirer sur lui de terribles représailles.
L’ère des persécutions est souvent évoquée par les chrétiens modernes. Ils préfèrent nous parler des « martyrs chrétiens » que nous causer… des crimes de l’Inquisition, par exemple. Il faut bien dire que les premiers chrétiens n’ont jamais été persécutés d’une façon aussi odieuse, aussi systématique que le furent les hérétiques par l’Église. J’en donnerai une preuve : les chrétiens, en dépit de cette persécution, ont pu résister et développer leur Église, tandis que les Vaudois, les Albigeois et beaucoup d’autres ont totalement disparu devant la répression savamment organisée par les catholiques. Plus tard, le protestantisme fut étouffé complètement en Espagne et en Italie, par des moyens aussi barbares.
Une persécution absolue peut tuer une idée et la noyer dans le sang. Une demi-persécution la favorise au contraire, l’exalte et la stimule. Ce fut le cas pour le christianisme. Les Empereurs, menacés par les Barbares du dehors, n’avaient guère le loisir de le combattre assidûment.
Les chrétiens cherchèrent d’ailleurs à échapper à cette répression. Ils utilisèrent certaines lois, très libérales, sur les associations funéraires (Delaisi) et ils purent ainsi posséder légalement, recevoir des dons, etc. L’évêque ne fut plus simplement le surveillant, il devint l’administrateur et le trésorier, et comme il donnait tout son temps à ses fonctions absorbantes, il fallut le payer sur la caisse commune. Telle fut la véritable origine de la caste sacerdotale chrétienne. Les fonctionnaires appointés feront tous leurs efforts pour garder leur situation, augmenter leurs ressources et conquérir des prérogatives toujours plus grandes. C’est l’éternel phénomène que l’histoire de toutes les religions sans exception (et l’on pourrait même dire de tous les partis politiques et de tous les groupements sociaux) permet de constater.
À partir de ce moment, le rôle du clergé devint de plus en plus prépondérant. Mais chaque Église (ou chaque groupe) était autonome, obéissait aux prêtres qu’elle avait librement élus et se dirigeait à son gré. Les divers groupes n’étaient pas toujours d’accord, même en ce qui concernait les dogmes ; il en résultait de continuelles disputes entre toutes ces communautés, qui s’injuriaient de leur mieux.
Pendant les périodes de persécutions, le nombre des abjurations était d’ailleurs considérable. Bien peu de chrétiens avaient l’énergie de tenir tête à leurs persécuteurs. Ils faisaient semblant de se soumettre et attendaient tranquillement que la persécution ait cessé. La plupart des évêques donnèrent l’exemple de cet opportunisme.
Lesdits évêques étaient toujours élus, mais on exigea bien vite qu’ils fussent de « bonne naissance ». Progressivement, l’Église perdait son caractère démocratique.
Elle le perdit tout à fait le jour où les persécutions prirent fin. Les Empereurs avaient d’abord essayé de détruire la secte nouvelle ; n’y parvenant pas, l’un d’entre eux, Constantin, songea à s’en servir comme d’un moyen de gouvernement.
Ce Constantin, que l’Église a longtemps honoré comme un saint, est le type du gouvernant machiavélique et du criminel sans scrupules.
Au ive siècle, le christianisme existait à peine, en tant qu’Église. Il n’y avait entre ses membres aucune unité de dogmes. En particulier, l’arianisme soulevait de perpétuels et violents conflits. Constantin sut exploiter cette situation.
On rougit presque de dire sur quelles insanités reposait la grande querelle arienne, qui retentit durant plusieurs siècles et engendra tant de luttes, souvent sanglantes… Arius se séparait de son collègue, l’évêque de Rome (il ne prenait pas encore le titre de pape : par contre, plusieurs évêques orientaux se faisaient appeler papes, sans y attacher une idée de suprématie sur les autres évêques, prétention devant laquelle personne ne se serait incliné) sur la question de la consubstantialité de Dieu le Père avec Dieu le Fils (Arius ne l’admettait pas de la même façon…) Ces chicanes faisaient la joie des païens, ainsi que les polémiques que les chrétiens se livraient sur la nature et l’origine du saint Esprit, sur l’époque où il fallait célébrer la Pâque ; sur le Baptême (est-il valable lorsqu’il est administré par un hérétique ?), sur la personnalité de Marie qui n’était pas encore promue au rang de mère d’un dieu, etc., etc. Telles