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la loi de celui de Rome ; il leur fallait un chef unique, une direction centralisée. Où choisir ce chef, où placer cette direction, sinon dans la ville la plus célèbre du monde ? On ne fit intervenir que par la suite les arguments théologiques ; on fabriqua même de toutes pièces des documents. Par exemple, les fausses décrétales, 94 lettres papales, qui revendiquaient le pouvoir spirituel absolu pour la papauté ; la fausse donation de Constantin, qui fut invoquée pendant tout le Moyen-âge, pour justifier la puissance temporelle des papes (d’après Guignebert ce document aurait été fabriqué dans la seconde moitié du xviiie siècle). Pour le faux, le mensonge, la duplicité, l’autorité, le charlatanisme, l’Église grandissait en puissance et en richesse.

Dès ce moment (750 à 800), les États de l’Église sont constitués et possèdent à peu près la superficie qu’ils occupaient en 1870, lorsque le pouvoir temporel fut aboli.

En Gaule, l’Église n’avait pas tardé à s’appuyer sur les chefs barbares. La conversion de Clovis fut conduite avec habileté. Le roi des Francs fut manœuvré par sa femme Clotilde, dirigée elle-même par Rémi, évêque de Reims. Combien de fois l’Église a-t-elle utilisé la femme naïve et dévote ! Combien de crimes ont été commis par les rois et les princes, pour plaire aux confesseurs de leurs femmes !

Ce Clovis, qui fut l’élu des prêtres, était l’être le plus sanguinaire et le plus cruel que l’on puisse imaginer ; il fit assassiner perfidement tous les autres rois francs pour s’emparer de leurs terres. « Tout lui réussissait, dit Grégoire de Tours (qui fut béatifié par l’Église !) parce qu’il marchait le cœur devant Dieu ». Les évêques sont les meilleurs courtisans de l’assassin royal — et cela se comprend : à chacun de ses crimes, pour obtenir une facile absolution, Clovis faisait des largesses au clergé. C’est à ce moment qu’il faut placer l’origine de la fortune mobilière du clergé en France. L’Église reçut de Clovis des domaines immenses et sa fortune devint scandaleuse.

Elle en fut, moralement, la première victime, car le haut clergé fut profondément gangrené par l’amour du luxe. Il se vautra dans les pires débauches et commit tant d’excès que des efforts seront tentés, à maintes reprises, pour réformer l’Église, mais ces efforts seront toujours étouffés par l’oligarchie sacerdotale.

C’est au ve siècle que se développe en Occident le monachisme. Les couvents, fondés parfois par des âmes sincères et justes, parfois par des fanatiques avides de dominer la société. Des milliers d’hommes et de femmes allèrent vivre dans les couvents et les monastères. Ces institutions étaient d’abord isolées et se gouvernaient elles-mêmes, sous la tutelle de l’Église, mais par la suite elles furent reliées et formèrent ces redoutables congrégations répandues dans le monde entier et obéissant à une direction centrale. Les congrégations et le monachisme ont contribué pour une large part à la puissance de l’Église. Inutile d’ajouter que la société n’y gagna rien. Le peuple eut à nourrir des centaines de milliers de fainéants et de mendiants qui passaient leur temps dans l’oisiveté ou dans la prière improductive. Trop souvent les couvents étaient le théâtre des pires turpitudes, de folles orgies et de débordements luxurieux.

L’Église s’adapta à la barbarie germanique, comme elle s’était adaptée naguère à l’impérialisme décadent de Rome, comme elle s’adaptera tour à tour, par la suite, à la féodalité, à la monarchie absolue, à la république parlementaire même, toujours soucieuse de faire valoir des « droits » et ne s’estimant jamais satisfaite des concessions obtenues.

A partir du ve siècle, l’audace des Papes ne connaît plus de bornes. Ils veulent gouverner la terre entière et la soumettre à leur loi.

On connaît la théorie des deux glaives, proclamée par saint Bernard. Le glaive spirituel appartient à l’Église ; le glaive temporel appartient aux princes, mais sous le contrôle de l’Église. Celle-ci revendiquait donc, en somme, la direction absolue des âmes et des corps.

Les rois et les princes se sont toujours appuyés sur l’Église et la religion, pour maintenir les peuples dans la sujétion, mais ils ont toujours résisté aux empiétements du monde clérical — qui ne visait à rien moins, en dernier ressort, qu’à les déposséder.

Lorsque Charlemagne fait l’apologie de l’Église ( « Nous ne pouvons comprendre comment ceux qui seraient infidèles à Dieu et à ses ministres, nous seraient fidèles à nous-mêmes », Laurent I, 195), il raisonne absolument comme Louis XIV dictant ses volontés dernières à son fils : « Vous devez savoir avant toute chose, mon fils, que nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui nous fait respecter de tant de millions d’hommes. » (cité par l’Action Française, 20 mars 1926). Les rois ne peuvent se passer des prêtres, ni les prêtres des rois (à moins qu’ils ne soient rois eux-mêmes). Il est vrai qu’on a vu bien des rois se faire prêtres et même dieux… Excellent moyen de se faire adorer et d’imposer ses volontés !

Un grand sujet de querelle entre l’Église et le Pouvoir civil a toujours été la question des investitures, la nomination des Évêques. Le pape déclare posséder, de droit divin, la faculté de nommer les évêques. Pourtant, à l’origine, ils étaient élus par les fidèles, comme je l’ai dit plus haut. Mais les rois, à l’instar de l’empereur Charlemagne, voulaient nommer eux-mêmes les évêques. C’était pour eux une source de gros bénéfices et un moyen de caser leurs créatures. Précisément, parce que cette nomination produisait de fructueuses ressources, Rome entendait bien être seule à l’exercer. Le conflit était fatal et renaissait sans cesse. La « Simonie » régnait dans toute la chrétienté et les sièges d’évêques et d’archevêques étaient vendus au plus offrant. Que ce soit en Allemagne, en France, en Angleterre, etc., des luttes longues et rudes furent livrées autour de ces prébendes — et elles se terminèrent souvent… à Canossa —, car les Papes étaient généralement supérieurs aux princes dans le génie de l’intrigue et du machiavélisme.

Le Moyen-âge est l’époque des Conciles. Les évêques se réunissent souvent et prennent d’un commun accord (parfois après de répugnants marchandages et de cyniques comédies) les décisions concernant la vie et l’organisation de l’Église, la définition des dogmes. De bonne heure, les Papes virent d’un mauvais œil cette autorité fonctionner à côté (et même au dessus) de la leur. Il y eut des conflits entre Papes et Conciles. Puis les Papes parvinrent à les rendre inoffensifs et à les régenter d’autant plus aisément que leur pouvoir personnel avait grandi et s’était fortifié.

Au sommet de leur tyrannie, les Papes avaient la prétention de déposer les rois, de leur enlever leur royaume pour en faire cadeau à des princes plus méritants. Ce triomphe fut éphémère et l’Église dut se montrer moins exigeante. Si elle avait réussi, l’humanité toute entière eut été soumise au régime effroyable d’une théocratie, dont le despotisme n’aurait connu aucune limite et n’aurait été modéré par aucun contrepoids.

Cependant, l’Église conserva son indépendance absolue et des privilèges très étendus. Les prêtres étaient exempts de toutes charges ; ils échappaient aux juridictions ordinaires et ne pouvaient être jugés que par leurs pairs, ce qui leur assurait l’impunité, la plupart du temps. L’État civil était entre les mains des ecclésiastiques, qui instruisaient également un grand nombre d’affaires laïques, en particulier toutes celles qui intéressaient les « crimes » contre la religion, le blasphème, l’hérésie et même l’adultère.