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(si relatives même soient de telles conceptions) combien de rencontres du hasard ont dû bousculer de « lois » et d’hypothétiques systèmes. Et, dans le chaos des mondes s’entremêlant, combien d’événements fortuits ont dû transfigurer d’apparences et révolutionner de rythmes !

Autour de nous, que d’instincts révolus qui s’obstinent, d’instincts nocifs qui triomphent, d’instincts perturbateurs qui montent. Et, à côté des « mauvais instincts » régnants, que d’instincts droits, naturels, logiques, féconds sont refoulés ou brimés ! A travers l’ancestralité viennent troubler les rapports humains des instincts — instincts directs ou de cortège — encore virulents et dont la mort profite, souvent, plus que la vie. Pour une humanité qui voudrait éclairer, dégager, libérer sa route, que d’instincts à réduire. Tous ceux, entre autres, dont la nécessité disparaît avec l’élévation de l’espèce et qui appesantissent cependant une durée malfaisante. Ceux que la substitution d’autres facteurs plus largement opérants a rendus caducs en fait ou en raison, sinon au regard de tous les hommes. Tel — pour citer le plus saisissant — l’instinct du meurtre (aux prémices « naturelles » déjà contestables) et ses efflorescences : les instincts sanguinaires, les instincts de brutalité, de violence, etc., devenus sans objet depuis que les hommes ont renoncé à la lutte (physique et individuelle) pour l’aliment et assurent leur subsistance par des méthodes pacifiques, demandent normalement à la conjonction des efforts, au savoir industrieux et non au conflit, la satisfaction de leurs appétits généraux. Au niveau humain actuel, l’entraide est capable de répondre en puissance efficace à toutes les exigences saines des besoins. Et les heurts sanglants de l’ambition, du rapt, de toutes les passions appropriatrices ne sont que des survivances faussées d’un instinct qui, affranchi de la proie, persiste à en poursuivre les ombres, à s’acharner sur des similitudes et des déviations. A refouler aussi tant d’ « instincts » secondaires qui ne sont que des habitudes vicieuses (voir Habitude) ou dégénérées ou qui s’éternisent au-delà du but et de l’époque ! A l’intelligence de s’entourer des lumières nécessaires au contrôle judicieux des instincts et à la mise au ban humain des instincts vides qui rôdent toujours autour de nos mouvements et s’alimentent à l’abdication de nos volontés. — Stephen Mac Say.

Ouvrages a consulter. — Romanes : L’Intelligence des animaux et L’Évolution mentale des animaux ; Darwin : L’Origine des Espèces ; Espinas : Les sociétés animales ; Al. Lemoine : L’Habitude et l’Instinct ; Joly : L’Homme et l’Animal ; J.-H. Fabre : Les merveilles de l’Instinct chez les insectes, Souvenirs et Nouveaux souvenirs entomologiques ; Hartmann : Le darwinisme ; Lubbock : Les Fourmis, les Guêpes et les Abeilles ; Blanchard : Les métamorphoses, les mœurs et les instincts des insectes ; Costantin : Les végétaux et les milieux cosmiques ; Zaborowski : Les migrations des animaux ; G. Le Bon ; L’Homme et les sociétés ; etc… Et aussi les œuvres de Buffon, Réaumur, G. Leroy, Cuvier, de Jussieu, Condillac, Bouillet, Spencer, W. James, etc.


INSTITUTION n. f. (du latin institutio). C’est le terme vaste qui désigne tout ce qui est inventé, instauré. Il convient à la fois à l’action même et à la chose établie : l’Église se prétend d’institution divine. L’Armée est une institution néfaste. Institution a aussi le sens — aujourd’hui vieilli — d’action de former et d’instruire, « Vous faites de l’institution des enfants un grand objet de gouvernement » (Voltaire), voire d’éducation. « La bonne institution sert beaucoup pour corriger les défauts » (Descartes). Le mot s’applique encore couramment, de nos jours, aux écoles, aux maisons d’éducation : les institutions laïques, congréganistes, etc. En jurisprudence, c’est une disposition, testamentaire ou autre, qui fixe qualité d’héritier : institu-

tion contractuelle. En droit canon, c’est la mise en possession d’un office et de la juridiction afférente, c’est pour le clerc une investiture ecclésiastique…

Les lois fondamentales qui régissent un État, les œuvres et les établissements caractéristiques d’un régime sont leurs institutions. Elles en constituent l’armature et en reflètent plus ou moins fidèlement l’esprit. La vitalité des institutions les meilleures dépasse presque toujours leur utilité : les sociétés sont souvent paralysées par des institutions caduques. Et la routine des hommes au service du conservatisme des règnes entrave l’effort des novateurs attachés à réaliser des institutions nouvelles. Le désaccord entre la nature humaine, ses besoins, ses aspirations et les institutions des sociétés modernes est le reproche essentiel que leur adresse l’anarchisme. Il s’oppose aux institutions particularistes qui visent à assujettir la prédominance des castes et à perpétuer le privilège, à entretenir, en système, le conflit permanent des intérêts au lieu d’en rechercher l’équilibre. On trouve, dans l’Encyclopédie, à la fois du point de vue de leur principe et de leurs applications, dans leur bloc plus ou moins cohérent comme en leurs exemples typiques, avec leurs traits communs et leurs dissemblances, l’exposé critique des institutions que notre philosophie dénonce et dont elle poursuit la disparition. C’est à la base même des institutions, dans l’esprit qui les anime, dans les intentions qui président à leur réalisation qu’il faut chercher les raisons de leur nocivité, interroger aussi leur viabilité. Les pires institutions ont besoin de rencontrer dans la mentalité et les mœurs ambiantes des sympathies complices et des correspondants harmoniques : les institutions d’autorité trouvent dans l’ignorance et surtout la passivité leurs possibilités d’instauration et la garantie de leur durée. La conjonction, dans le peuple, de la conscience de ses droits et des énergies adéquates, aurait raison, sans retour, des institutions qui exercent sur lui une compression séculaire. — L.


INSTRUCTION n. f. (lat. instructio). Tout ce qui peut donner quelque savoir de ce qu’on ignore, des éclaircissements sur quelque objet que ce soit. Particulièrement — et c’est la tâche des établissements de ce nom — « action d’instruire, de faire connaître, de dresser à quelque chose, d’enseigner diverses connaissances à la jeunesse »…

Un des vices essentiels de la culture de notre époque est d’être basé sur « l’instruction », sur la possession superficielle, de se satisfaire dans l’emmagasinement des connaissances. Et c’est, orientée vers des fins trompeuses, de se désintéresser de la valeur au profit de la quantité. Pire encore : c’est de refouler les moyens qui garantissent la persistance du goût de s’instruire et la possibilité ultérieure du choix des matériaux à recueillir. L’enseignement, puisqu’à cette partie de l’éducation générale se rattache plus spécialement l’instruction (voir éducation, enfant, enseignement, individualisme, éducation, etc.) a pour dessein de grouper des connaissances en abondance, non de retenir celles-là seules que désigne leur qualité. Outre les dangers que présente, pour un cerveau en voie de formation et aux cases encore exiguës, l’accumulation de données inutiles, mensongères et intéressées, voire même pernicieuses, cette méthode prive du logement utile les meilleurs aliments du savoir. L’instruction ainsi entendue a d’autres conséquences redoutables aussi : elle fonde le savoir sur l’acquisition passive, et l’acceptation, non sur la recherche active et la pénétration. Apprendre lui suffit, comprendre est superflu et, en général, dangereux. La mémoire est donc appelée à contribution au détriment de l’intelligence. Et l’on exige d’elle un effort absurde, excessif…

L’instruction aboutit ainsi au savoir apparent ou