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tiquait leur conscience et leur volonté par des procédés abrutisseurs dont les Exercices spirituels nous offrent un vivant exemple.

Grâce aux Jésuites, la dissolution de l’Église fut arrêtée ; la lutte contre les protestants fut organisée plus efficacement ; les disciplines intérieures du clergé se resserrèrent. La mentalité des prêtres ne fut pas améliorée, loin de là, mais ils devinrent plus prudents, plus dissimulés. On n’assista plus aux débordements d’un Alexandre VI (Borgia), ce pape lubrique, empoisonneur et assassin, de ses acolytes et de ses successeurs. On ne vit plus un Léon X créer d’un seul coup 31 cardinaux, pour emplir ses caisses, qui étaient vides. Les formes furent mieux respectées et l’on sauvegarda les apparences.

Si l’on veut diviser l’histoire de l’Église en périodes, je propose la classification suivante :

1° La période héroïque, ignorante et miséreuse ; le dogme n’est pas encore défini et la cléricaille n’existe pas ;

2° La période d’adaptation, après Constantin. Le dogme est violemment discuté entre évêques qui recherchent les faveurs du pouvoir ;

3° Période d’épanouissement. L’Empire est tombé. L’Église manœuvre à travers les siècles barbares ; elle assujettit les princes ; elle amasse des richesses. Le pouvoir des Papes se dessine, très limité encore par les Conciles ;

4° La période du triomphe. Les Papes se grisent de leur puissance, essaient de briser les rois et de dominer le monde entier. Ils noient les hérésies dans le sang ;

5° La période de la jouissance. L’Église est en rut. Les festins et les orgies succèdent aux supplices de libres penseurs et d’hérétiques ;

6° La période du jésuitisme. Instruits par l’expérience, les chefs de l’Église ont appris à louvoyer et à mentir, à cacher leurs tares, à frapper dans l’ombre, à agir d’une façon souterraine pour diviser et dominer les peuples sans se compromettre.

Cette période dure encore aujourd’hui.

C’est grâce aux Jésuites et à leur enseignement perfide que ces méthodes ont été adoptées — non sans résistance, au début. (Un pape fut même obligé, sous la pression de l’opinion publique, de les dissoudre).

Ces méthodes, nous les voyons à l’œuvre dans l’assassinat des rois Henri III et Henri IV, coupables de montrer un zèle trop modéré en faveur de l’Église ; nous les retrouvons dans la lutte menée contre les Jansénistes, violemment persécutés ; dans la révocation de l’Édit de Nantes et la chasse aux protestants, torturés, envoyés aux galères, obligés de s’enfuir à l’étranger au nombre de 400.000 ! Cette épouvantable oppression valut à Louis XIV (dont les confesseurs étaient Jésuites et dont les maîtresses étaient également les instruments de l’Église) les remerciements du Vatican et les plats éloges du vil courtisan Bossuet.

Nous arrivons ainsi à la Révolution Française. Le peuple était las de ses misères ; la bourgeoisie aspirait à secouer le joug des nobles et des prêtres. L’Église était très puissante et le clergé était, en 1789, le premier ordre de l’État. « Il comprenait environ 130.000 individus, dont 60.000 religieux ou religieuses et 60.000 curés ou vicaires. Les domaines, au bas mot, valaient 3 milliards et donnaient un revenu net de 80 à 90 millions. La dîme en produisait à peu près autant. Avec les dons de toutes sortes, on peut estimer à 5.200 millions de livres les revenus du clergé. Il disposait ainsi d’une rente annuelle égale aux deux cinquièmes du budget de L’État. » (Desdevizes du Dézert, l’Église et l’État en France.)

« Notre budget étant, en 1925, de 30 milliards, le clergé percevrait donc par an douze milliards, si nous n’avions pas fait la Révolution. » (Dr  Mariavé.)

De tels chiffres devraient faire réfléchir ceux qui ne sont pas encore convaincus de la malfaisance sociale de l’Église.

Le petit clergé était du reste exploité par ses évêques et ses archevêques ; beaucoup de curés de campagne virent d’un œil favorable le nouvel état de choses basé sur l’égalité et la liberté.

Au début, la Révolution ne fut pas dirigée contre l’Église. La plupart des révolutionnaires étaient du reste des croyants et des chrétiens convaincus. Toute leur ambition se bornait à restreindre les appétits dominateurs du haut clergé. Ils mirent la main sur les immenses domaines de l’Église et promulguèrent la constitution civile du clergé. Mais le Pape (Pie VI) poussa ses ouailles à la résistance ; pour conserver une source de revenus importants, il n’hésita pas à mettre la France à feu et à sang. L’insurrection catholique déchira la Bretagne, la Vendée et trente autres départements.

Puisque les curés agissaient en contre-révolutionnaires ardents, la Convention n’hésita pas à engager la lutte contre eux et à prendre des mesures contre l’Église d’abord, contre la Religion ensuite. Le nombre des athées allait d’ailleurs en augmentant, en dépit des efforts tentés pour fonder une « religion laïque », le culte de la Raison d’abord, la Théophilanthropie ensuite.

Mais la Révolution avortait dans les déchirements des factions et les rivalités des politicailleurs. Bonaparte prenait le pouvoir et songeait immédiatement à se servir de l’Église, bien qu’il fut personnellement incroyant et même anti-papiste. L’Église accepta avec joie le Concordat qui lui était offert, et le Pape vînt sacrer Napoléon — chacun des deux confrères espérait bien rouler l’autre et garder pour lui-même tout le profit de l’entreprise. Napoléon ne se laissa pas faire ; il eut à lutter avec l’Église (assez servile pour introduire la saint Napoléon au calendrier… mais toujours aussi avide et ambitieuse). Il alla jusqu’à faire enfermer le Pape. Néanmoins, l’Église avait retrouvé sa puissance disparue, et lorsque le brigand corse eut été abattu, ce fut elle la grande victorieuse. A travers le xixe siècle, nous la voyons consolider patiemment ses positions, mettre la main sur l’enseignement (loi Falloux), couvrir la France du pullulement de ses congrégations voleuses et abrutisseuses. Nous la voyons s’adapter successivement aux divers régimes et passer indemne à travers les révolutions. En 1848, par exemple, l’archevêque de Paris, Affre, se hâte de reconnaître la République ; il est suivi par tout l’épiscopat français — et les curés bénissent les arbres de la liberté ! —. Les Jésuites sont partout et font une propagande fructueuse ; les communautés religieuses se multiplient sous le regard niaisement favorable des républicains. Mais… dès le lendemain du coup d’État de 1851, l’Église faisait volte face et se prosternait aux pieds de Napoléon III. Il se trouvait même un évêque, celui de Nancy, pour prononcer la phrase cyniquement célèbre : « Monseigneur, vous êtes sorti de la légalité pour rentrer dans le droit ! »

Partout, l’Église retrouvait sa force. L’hérésie protestante avait cessé de se développer, et la plupart des rois, effrayés par la Révolution mettaient toute leur confiance dans la religion — l’opium des peuples !

Cependant, l’Italie était travaillée par le désir de réaliser son unité nationale. Grâce à l’impulsion d’énergiques républicains athées (comme Garibaldi, Mazzini, etc.), le pouvoir temporel des papes fut aboli. C’était un rude échec pour l’Église. Mais le Vatican, loin de s’incliner, fit proclamer (1870), le dogme de l’infaillibilité du pape.

La Papauté n’a pu jusqu’ici reconquérir sa puissance temporelle, et il paraît improbable qu’elle y parvienne.