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l’idée du « peuple souverain » de rendre les tenants des hautes fonctions nationales — si glorieuses et lucratives ! — personnellement et civilement responsables des actes de leur gestion ; et cela non devant leurs pairs indulgents ou complices, mais devant les tribunaux populaires. Et de leur faire savoir qu’ils auront à payer de leur liberté et de leurs biens — à défaut d’une visite à la démocratique lanterne — leurs négligences coupables et leur désinvolture criminelle. Allons donc !… Puissances anonymes, unités régnantes resteront longtemps encore marquées du sceau rassurant de l’irresponsabilité, et les mises en jugement… de l’histoire sont l’unique et bouffonne terreur promise à ceux qui jonglent, au faîte des nations, avec la vie de leurs contemporains. — L.


ISRAÉLITE Quand on étudie le caractère général du peuple juif, on voit que les noms de Jacob et d’Israël ne sont pas de simples hasards, celui de Jacob signifiant ruse, habileté à se tirer d’affaire, et celui d’Israël indiquant l’idéalisme le plus élevé ; ces deux dénominations sont, au contraire, de très heureuses caractéristiques de Jacob, de ses idées, de ses principes qu’il a transmis aux Hébreux qu’on appelle, non sans raison, les fils d’Israël.

Dès son adolescence, Jacob obtient la suprématie intellectuelle surtout par la ruse, par la tromperie, en achetant le droit d’aînesse de son frère Esaü (Assaf, en hébreu), chasseur grossier et ignorant.

Il sacrifie quatorze ans de sa vie au travail et à l’humiliation chez Laban, dur exploiteur et riche propriétaire, pour épouser la fille de son maître et, par amour, il a recours à toutes sortes de moyens louches.

Ainsi, d’un côté nous voyons l’idéal de l’amour, du dévouement à une idée et, d’un autre, le mensonge et les combinaisons intéressées.

C’est ce dualisme qui se fait voir aussi dans l’énorme diversité de la littérature religieuse du peuple hébreu.

L’aurore de la culture hébraïque commence à partir de l’apparition de la Bible (le Pentateuque), que les Juifs regardent comme des livres saints, sources de la morale humaine, livres qui, à côté d’innombrables absurdités, de grossier fanatisme, contiennent des idées généreuses d’une immense importance pour l’époque, ainsi le dixième commandement, la réforme agraire en faveur des sans-terres, le mépris de l’esclavage, etc.

Les Rois et les Prophètes nous racontent la lutte de la lumière contre les ténèbres, de l’amour de la liberté contre l’esclavage, de la libre pensée contre le fanatisme. Ces livres ont une grande valeur, non seulement pour l’époque où ils ont été écrits, mais aussi pour les temps subséquents jusqu’à nous. Cette lutte ne le cède guère au mouvement actuel du socialisme, elle contient bien des idées anarchistes, antiétatistes.

Le prophète Samuel montre bien au peuple qui souffrait sous l’influence des riches propriétaires, du clergé, qui réclamait un roi, toutes les funestes conséquences de l’État. Il dit au peuple que l’État l’asservira, enrôlera les fils comme soldats, fera des filles des servantes ; les chevaux, les chariots seront employés pour des guerres.

Les prophètes Esaü et Jérémie montrent au peuple l’ambition, l’avarice de l’autorité étatiste et cléricale qui le conduit à sa perte, ils lui parlent de toutes les horreurs de la guerre, ils lui conseillent de transformer les armes en socs de charrue. Ils attaquent violemment le pouvoir des possédants qui réussissent à étouffer la conscience populaire mais qui n’arrivent pas à étouffer, supprimer la voix de ces lutteurs pour la vérité.

On pourrait s’étonner que ces livres aient eu si peu d’influence sur la vie subséquente du peuple juif, mais cela s’explique surtout par le fait que les livres des prophètes, représentant un danger pour ceux qui ambi-

tionnaient le pouvoir ainsi que la domination économique, étaient mis à l’index de l’enseignement. De plus, le caractère compliqué et inquiet des Hébreux, leur vie errante, contribuaient à leur faire adopter des idées pas trop claires, des assomptions sans fondement, à les laisser indifférents à la simple beauté, à la vérité facilement saisie. C’est pourquoi le peuple israélite a donné tant de Marxistes et si peu de Tolstoïens.

Le Talmud a eu aussi une très grande influence sur les idées des Hébreux.

Le Talmud consiste en un nombre énorme de volumes divisés d’après l’étude indépendante de diverses questions et d’après les commentaires de la Bible.

On peut dire qu’il n’y a pas de questions que le Talmud n’ait élaborées : philosophie, hygiène, questions sexuelles, économie, médecine, jurisprudence, etc.

La plus importante partie du Talmud est occupée par la dialectique. On y trouve des réponses à toutes sortes de questions, souvent contradictoires, réponses si peu définitives en réalité qu’on pourrait se demander si les discuteurs avaient pour but d’éclaircir une question ou de l’obscurcir, de mêler, de compliquer ce qu’il y a de simple et de compréhensible. Malgré une pareille gymnastique de l’esprit il y a pourtant dans le Talmud des points de vue intéressants sur la vie et sa signification, mais ils se perdent dans un chaos de contradictions et de spéculations.

On ne peut pas ne pas penser que s’il n’y avait pas eu de Talmud, il n’y aurait pas eu de Capital de K. Marx, et que cette œuvre a fait que, parmi le peuple juif, il y a eu tant de Trotski et si peu de Max Nettlau.

Il y a chez tous les peuples, dans toutes les couches de ces peuples, non seulement dans les couches ignorantes et arriérées, mais même dans les rangs des intellectuels et des démocrates le préjugé, le mauvais préjugé, que les Israélites sont assoiffés d’argent, qu’ils n’aiment que le commerce, qu’ils détestent le travail physique. Cette opinion n’a aucune base solide, elle ne montre pas le désir de les guérir d’une faiblesse spirituelle, de les rendre plus capables socialement ; elle vient d’un côté de la jalousie de ce qu’ils sont malins et savent se sortir des conditions sociales les plus dures ; d’un autre côté de l’intolérance religieuse dont ne peuvent se débarrasser même des esprits bien développés et des cœurs bons ; c’est une maladie héréditaire qui se retrouve dans toutes les couches de la société.

Il n’est pas douteux que cette opinion est née dans l’Église et qu’elle a été reprise par les gouvernements comme une arme de salut pour servir toutes les fois que les trônes commençaient à chanceler. Si les gouvernements n’avaient pas eu besoin des Juifs comme parafoudre dans les moments de fureurs populaires, si l’habileté des Juifs à développer l’industrie et le commerce n’avait pas été utile aux puissances, il y a longtemps qu’elles les auraient fait disparaître de la face de la terre. Quand le peuple commence à perdre patience, quand ses épaules courbées par le dur labeur et la souffrance commencent à se redresser menaçantes, le gouvernement lui montre les Juifs et lui dit : « Tiens, voilà la cause de ta misère », le peuple, tenu exprès dans les ténèbres, se lance furieusement sur les Juifs avec tout son courroux accumulé.

Et trouverait-on beaucoup d’hommes, chez les autres peuples, qui reconnaissant l’immoralité du commerce, s’asserviraient dans les fabriques, les usines, les ateliers, où le régime de caserne, le travail excessif, les salaires misérables ébranlent la vie humaine ?

Si le Juif, plus malin que d’autres, parvient à se soustraire à cette galère, en tout cas, en cela il n’est pas pire que les autres.

Si l’on ajoute que dans beaucoup de pays, l’entrée des professions libérales, du service municipal ou officiel lui est absolument interdite, il n’est pas étonnant