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JES
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On frappe surtout l’imagination par des évocations effrayantes : méditations sur la mort et sur l’enfer. Le novice doit se représenter les deux armées ennemies, celle de Jésus et celle de Satan, avec leurs deux étendards. Par le jeûne, la prière, la solitude dans les ténèbres, il doit concentrer ses idées sur un seul point : la vision de l’enfer, qu’il doit se représenter d’une façon précise, imaginant la fournaise affreuse, l’odeur de soufre qui s’en dégage, les hurlements épouvantés des damnés, etc. Ensuite, d’autres Exercices lui apprendront à contempler l’Incarnation, le Crucifiement, la descente de Croix, la Passion tout entière et la Résurrection. Le novice « appliquera tous ses sens aux contemplations », Après des mois de cette obsession morbide, s’il ne reste pas irrémédiablement abruti, c’est que son cerveau est vraiment solide.

Ce livre est parfait, puisqu’il a été dicté à Ignace de Loyola par la Sainte Vierge elle-même et puisque Dieu lui envoya, par-dessus le marché, la collaboration de l’ange Gabriel. Je n’insisterai donc pas davantage.

Un mot encore sur les Constitutions de la Compagnie. Elles ont été souvent discutées — et souvent condamnées.

Le Parlement de Paris, par son arrêt de 1762, condamnait la doctrine perverse de la Compagnie « destructrice de tout principe de religion et même de probité, injurieuse à la morale chrétienne, pernicieuse à la société civile, séditieuse, attentatoire aux droits et à la nature de la puissance royale, à la sûreté même de la personne sacrée des souverains et à l’obéissance des sujets, propre à exciter les plus grands troubles dans les États, à former et à entretenir la plus profonde corruption dans le cœur des hommes ».

Dans le jugement sévère qu’il porta contre la Compagnie, le Parlement de Provence signalait qu’à côté des Constitutions que l’on connaît (et qui sont déjà très critiquables, pour leur absolutisme effréné), il existe des Constitutions secrètes, que l’on tient soigneusement cachées et qui ne sont connues que des seuls supérieurs.

Ceci m’amène à parler des fameux Monita Secreta (Secrets des Jésuites) que j’ai réédités récemment en brochure. La revue jésuite Études, dans un article publié il y a deux mois, s’élève une fois de plus contre l’authenticité de ce document. Elle trouve invraisemblable que les supérieurs de la Compagnie aient publié des Instructions secrètes aussi cyniques et aussi compromettantes. Un argument prime, à mes yeux, toute autre considération : les idées contenues dans les Monita se retrouvent dans les Constitutions et dans tous les textes de la Compagnie ; elles sont confirmées par l’histoire elle-même. N’oublions pas, d’autre part, que les Monita Secreta ont été publiés au début du xviie siècle, à une époque où la Compagnie toute-puissante, se croyant tout permis, commettait des maladresses et des exagérations qu’elle n’a plus renouvelées par la suite.

Un moyen de gouvernement : la Confession. — Les Monita nous initient aux pratiques tortueuses de la Compagnie pour mettre la main sur la fortune des veuves, pour attirer dans ses collèges les enfants des grandes familles (avec leur argent), pour exercer une influence efficace sur les nobles, les princes, les dirigeants.

Là réside, en effet, le secret de l’extraordinaire fortune des disciples de saint Ignace. Ils ont su manœuvrer de façon à s’assurer, bon gré mal gré, par la persuasion ou par la crainte, les appuis et les concours les plus précieux.

A l’origine même de la Compagnie, les Pères Miron et de Caméra, avaient cru devoir refuser, dans un esprit d’humilité, la charge de confesseurs du roi du Portugal. En apprenant cette décision, Ignace réprimanda vertement ses deux collaborateurs, leur démon-

trant que les Jésuites ne devaient négliger aucune occasion et aucun moyen de servir utilement la Compagnie.

Depuis lors, les Pères Jésuites n’ont jamais manqué d’intriguer pour occuper de semblables fonctions. Ils se sont, en quelque sorte, spécialisés dans la charge de confesser les têtes couronnées — ce qui était un moyen excellent d’obtenir leurs faveurs.

Bochmer écrit avec raison : « Quand il (Ignace) envoie à tous les prêtres de l’Ordre, une instruction sur leurs devoirs de confesseurs, il est facile de voir qu’il est conduit par la pensée d’accroître la puissance de l’Ordre par le Tribunal de la Pénitence. »

François Xavier donnait de son côté des instructions… très habiles, à ses collègues en jésuitisme : « Vous prendrez garde de vous mettre mal avec les dépositaires du pouvoir temporel, lors même que vous verriez qu’ils ne font pas leur devoir en des choses graves… » Commencez-vous à comprendre comment et pourquoi l’illustre Compagnie parvint à se développer si rapidement ?

Un document bien curieux nous est fourni par l’abbé de Margon : Lettres sur le Confessorat du P. Le Tellier. (L’abbé de Margon n’appartint pas à la Compagnie, mais il fut l’instrument des Jésuites). Ces derniers préfèrent se servir de créatures prises en dehors de la Compagnie, afin de pouvoir plus facilement s’en désolidariser par la suite, s’il y a lieu. C’est ce qui advint à cet abbé de Margon : après l’avoir employé plus ou moins adroitement, les Jésuites le désavouèrent. Furieux, de Margon chercha à se venger en dévoilant les manigances de ses ingrats patrons. Ses lettres jettent un jour curieux sur le rôle du Père Le Tellier, confesseur de Louis XIV, et sur la mauvaise influence qu’il exerça sur lui.

Dans son ouvrage sur sa Compagnie, le P. du Lac (qui fit beaucoup parler de lui pendant l’affaire Dreyfus) dit que ce fut « un dangereux honneur » pour la Compagnie, de donner des confesseurs aux princes. En ce cas, pourquoi les Jésuites ont-ils recherché si souvent et dans tous les pays, à exercer cette périlleuse fonction ? Ils ne se seraient pas exposés aux ennuis qui en pouvaient résulter s’ils n’avaient eu la certitude d’y trouver, en compensation d’énormes avantages et de précieux privilèges. Par le Confessionnal, en réalité, ils ont dirigé les rois… et les reines, sans parler des favorites !

Le Régicide et les Jésuites. — D’ailleurs, lorsque les Grands résistaient aux suggestions des fils d’Ignace, ceux-ci n’hésitaient pas à les faire assassiner.

Pour traiter cette question du Régicide, je ne prendrai pas, on s’en doute, des accents indignés. La révolte des peuples contre les princes est le plus sacré des droits — et l’un des moyens les plus efficaces d’accélérer l’évolution sociale. Mais quel illogisme criminel, de la part de ceux qui prêchent la résignation et la soumission, qui condamnent tout effort d’émancipation populaire, d’oser frapper eux-mêmes, pour des fins purement égoïstes, les potentats qu’ils sont prêts à aduler dès qu’ils en reçoivent des faveurs et des privilèges ! C’est surtout pour les croyants sincères qu’il est utile de faire la démonstration d’une telle duplicité.

Les Jésuites avaient participé aux massacres de la Saint-Barthélemy d’une façon plutôt occulte, mais avec la Ligue ils vont se lancer à fond dans la mêlée. A Toulouse, ils excitent des émeutes et fomentent un peu partout des troubles contre l’autorité royale, mettant à profit le désordre extrême dans lequel se trouve le pays.

Les prédicateurs jésuites s’élèvent avec véhémence contre Henri III et soutiennent de toutes leurs forces le parti des Guise, car la Compagnie est subventionnée par l’Espagne et les immenses trésors du fanatique Philippe II sont à sa disposition pour lutter brutalement contre la Réforme. Dans leurs sermons contre