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qu’il s’en doute, des États-Unis à l’Allemagne en passant par la France, le monde entier obéit à leurs directives, car ils jouent sur tous les tableaux à la fois et ils sont experts dans l’art de noyauter leurs adversaires et de les lancer sur de fausses pistes, égarant les esprits, corrompant les dévouements et se frayant la voie, par tous les moyens, vers l’absolutisme rêvé…

Conclusions. — Le Général des Jésuites, parlant à Rome à un rédacteur du Petit Journal, lui disait : « De la République française, nous ne craignons ni les hommes, ni les lois, dont nous pouvons régler nous-mêmes l’exécution et l’interprétation avec quelques millions. » (Cité par Emile Hureau, dans son remarquable livre Les Jésuites, la Classe Ouvrière et la Révolution, p. 37.)

M. Wallon cite un propos plus ancien, mais identique, qu’il emprunte au P. Tamburini, qui fut également Général de la Compagnie : « Vous le voyez, Monsieur, de cette chambre, je gouverne non seulement Paris, mais la Chine ; non seulement la Chine, mais le monde (tutto il mondo) sans que chacun sache comme cela se fait. »

Le gouvernement n’ose même pas leur appliquer les lois. Car leur existence est illégale en France, puisqu’ils n’ont jamais voulu demander l’autorisation (même sous la monarchie) et puisqu’ils n’ont jamais déposé les statuts de leur groupement (ces fameux statuts que tout le monde ignore !).

Paul Bert pouvait déclarer à la Chambre des Députés (le 5 juillet 1879) : « Presque tous les orateurs de ce côté de la Chambre (la droite) qui sont montés à la tribune, nous ont dit qu’il n’y avait plus de distinction à faire entre les Jésuites, les autres congrégations religieuses et même le clergé séculier ; ils nous ont dit — et c’est la vérité — que le monde catholique tout entier s’est rallié aux idées, aux doctrines jésuitiques. »

Jésuites et catholiques ne font qu’un, sachons nous en souvenir !

Les Jésuites n’ont-ils pas été les artisans de la foi en l’Infaillibilité du Pape ? N’ont-ils pas créé le dogme grossier du Sacré-Cœur ? Ne furent-ils pas la cheville ouvrière de la centralisation de l’Église ?

Ouvrez le livre de Mgr Cauly, Histoire de la Religion et de l’Église, et vous y lirez ceci :

« L’ordre religieux particulièrement suscité de Dieu pour entraver le protestantisme et réparer les désastres occasionnés par la Réforme est sans contredit celui des Jésuites » (p. 546).

La même thèse est soutenue dans l’Histoire de l’Église du R. P. Paul Synave (qui reçut l’Imprimatur à Paris, en 1922) :

« La mission particulière des Jésuites fut de combattre l’erreur par une science très étendue. L’œuvre de l’instruction et de l’éducation de la jeunesse fut un de leurs buts principaux, avec la propagation de la foi dans les pays catholiques, protestants et infidèles. En butte à toutes les persécutions, ils furent toujours sur la brèche ; et toujours ils se montrèrent les auxiliaires puissants et dévoués de l’Église romaine. L’impiété elle-même, malgré ses haines, n’a pu s’empêcher de leur rendre hommage… » (p. 382).

De tels éloges se retrouvent sous la plume de tous les écrivains catholiques. Nous sommes bien loin du temps où la Chrétienté tout entière vomissait le Jésuitisme ! Pourquoi le nier ? La Compagnie de Loyola s’achemine, si nous n’y prenons garde, vers un triomphe absolu et définitif.

Pour lui barrer la route, répandons la lumière, attaquons sans répit les superstitions religieuses, dévoilons les ambitions cléricales, n’oublions jamais que l’action de la Libre Pensée est la préface indispensable à toute libération profonde de l’individu et de la société. — André Lorulot.


JÉSUS n. pr. (de l’hébreu Jehosuah ou Jeschouang, sauveur). Jésus, toi dont une mère bien aimée m’apprit à balbutier le nom lorsque j’étais enfant, toi que, dans mon inquiète adolescence, j’invoquais comme le consolateur suprême de l’orphelin sans appui, Jésus, qui ne put fournir à mon esprit la lumière dont il avait soif, ni à mon cœur l’amour sans borne dont il éprouvait le besoin, Jésus pourquoi n’es-tu qu’un dieu de plâtre, dont le manteau abrite aujourd’hui les gredins dorés ou les exploiteurs hypocrites. Et j’ai consumé de longues nuits à lire les Évangiles où tes actes et tes paroles étaient rapportés ; et mes yeux se sont usés à déchiffrer les écrits de l’âge apostolique où devrait subsister un peu de ton esprit. Rien, rien ; plus j’ai voulu voir, plus il m’apparut que tu n’étais qu’un vain mirage, l’inconsistante création de cerveaux hallucinés. D’imaginaires romans, tels sont les Évangiles approuvés par l’Église ; la Vie de Jésus d’un Renan n’est elle-même qu’une pieuse légende sans base historique sérieuse. Son Jésus resté naïf et débordant d’amour, adversaire des riches et des officiels, victime des machinations ourdies par les puissants, nous est sympathique à souhait ; seulement les progrès de l’exégèse démontrent qu’il s’agit là d’un rêve, d’un doux et beau rêve, éclos dans la pensée des premiers chrétiens et repris, à toute époque, par des croyants naïfs ou des poètes plus soucieux d’harmonie que de réalité. L’amoncellement des mythes, l’abus du merveilleux et de l’allégorie ont rendu insaisissable le Jésus de l’histoire, en admettant qu’il ait existé. Dès le début du christianisme (voir religions), les docètes nièrent sa réalité historique ; nul parmi ses contemporains ne le mentionne ; et les récits évangéliques constituent un tel ramassis de légendes, inventées de toute pièce, qu’il est impossible de dégager les faits réels que l’un ou l’autre pourrait envelopper. L’historien Josèphe qui nous renseigne sur la Palestine à l’époque du procurateur Ponce Pilate, mentionne Jean-Baptiste mais ignore totalement Jésus ; la critique a définitivement établi le caractère apocryphe du passage concernant ce dernier : il s’agit là d’une interpolation d’origine chrétienne et assez tardive. Juste de Tibériade qui écrivit sur la Judée, vers 70 de notre ère, ne disait pas un mot du Christ ; rien non plus le concernant chez Philon, son contemporain ; ce qu’on trouve dans le Talmuld ferait croire qu’il existait des disciples de Jésus un siècle avant l’ère chrétienne. Peut-être Suétone y fait-il une allusion lorsqu’il déclare que les juifs de Rome, en l’an 52, se révoltaient à l’instigation de Christ ; Tacite en parle clairement à propos de la persécution de Néron ; mais Tacite, comme Suétone, ne pouvait connaître que le Christ de la légende.

Les Évangiles nous renseignent sur les traditions des Églises primitives et sur les essais d’explication tentés au sein des communautés chrétiennes ; aucun ne fut écrit par un témoin oculaire. Marc, que l’on s’accorde à reconnaître comme le plus ancien et dont on a voulu faire le secrétaire de l’apôtre Pierre, utilise déjà les grandes épîtres de Paul aux Galates, aux Romains, aux Philippiens, aux Thessaloniciens ; la rédaction de son Évangile n’est pas antérieure à la persécution de Domitien et se place aux alentours de l’an 100. L’auteur de l’Évangile selon Mathieu a certainement utilisé Marc, c’est dire qu’il ne fut pas l’un des douze apôtres ; Luc, soi-disant compagnon de Paul, déclare lui-même qu’il s’inspire d’écrits répandus, à son époque, dans les églises : écrits, nous en avons la preuve, parmi lesquels il ne faut point compter les textes actuels de Marc et de Mathieu. Quant au quatrième Évangile, celui du pseudo-Jean, c’est l’œuvre tardive d’un juif mystique qui connaît Philon d’Alexandrie : « Les récits de Jean ne sont pas de l’histoire, affirme Loisy, mais une contemplation mystique de l’Évangile ; ses discours sont des méditations théologiques sur le mystère du salut. »