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attention, peine et joie, une gerbe de fleurs au cours de la promenade et maintenant la jette, à la fin de la journée, au moment du retour. L’enfant a eu le plaisir de répondre à un désir et un besoin, et le jeu lui a procuré toutes les excitations réellement efficaces ; son mobile n’était pas de posséder des fleurs, mais de les cueillir, de les grouper et de créer du beau !… Mais le bouquet est devenu pesant et n’intervient plus dans aucun jeu ; il est une gêne, et c’est pourquoi il est abandonné. Et la mère est dans l’erreur quand elle gourmande.

« L’adulte ne raisonne pas toujours ; il se trompe souvent. Exemple : Un bambin frappe sur la table parce que le bruit l’intéresse ; le père lui crie brusquement : « Assez ! » Le petit recommence encore une ou deux fois le mouvement condamné et puis s’arrête, tandis qu’une réprimande sérieuse l’atteint… d’ailleurs injustement. Chacun des stades du jeu constitue, en effet, un excitant qui éveille le réflexe fatal, et quand l’ordre de finir fut formulé, une excitation avait déjà surgi et la riposte devait nécessairement survenir. Les jeux des adultes, eux aussi, se terminent progressivement, ce qui prouve que leurs phases successives, régulièrement enchaînées, s’éveillent l’une l’autre, se commandent et s’ordonnent.

« Malheureusement ce principe fondamental est fréquemment oublié en éducation. Lorsque la voix impérative du maître se fait entendre l’enfant ne peut inhiber aussitôt son expansion physique et son entrain intellectuel ; il continue quelque temps encore ses réactions, non par désobéissance, mais par fatalité organique. Que de fois pourtant n’est-il pas puni alors ! La punition est injuste et énervante ; elle démontre que celui qui l’inflige ignore une loi importante de la vie psychique dont la signification est essentielle à d’autres points de vue encore. » (La science de l’éducation).

Reconnaître l’utilité du jeu, profiter du jeu pour étudier l’enfant, ne pas intervenir d’une façon nuisible pendant ou à l’issue des jeux, ne suffisent pas. Il est des moments où les enfants ne savent pas à quoi jouer, le désir de jeu est bien là mais il y a manque d’intérêt envers les jeux habituels. C’est alors que, le plus souvent, les petits imaginent de faire quelque sottise. Le bon éducateur doit, en ces moments de satiété, proposer des jeux, non pas les imposer, car les jeux que l’on impose ne sont plus de véritables jeux mais des exercices ennuyeux pour l’enfant. Le jeu est un exercice de la liberté et de l’initiative et l’éducateur doit faire preuve d’habileté dans les propositions qu’il peut faire aux enfants. « Il y aurait, dit G. Lambert, toute une éducation de l’éducateur à faire, pour qu’il discerne et choisisse ce qui peut plaire aux enfants, s’il intervient, comme il le doit, dans l’occupation de leurs loisirs. Ce sera son art de savoir choisir… et aussi, nous le répétons, de savoir donner aux enfants l’impression qu’ils ont choisi eux-mêmes. Respecter les aspirations, ne rien imposer, mais suggérer… tout le rôle de l’éducateur, en cela comme pour le reste, tient en ces mots. »

Stimuler au jeu ce n’est pas seulement faire connaître certains jeux ou même jouer avec les enfants, c’est encore fournir à ceux-ci les moyens de jouer. Les familles aisées ou riches peuvent malheureusement seules réserver une chambre de jeu à leurs enfants, où ceux-ci s’amuseront dans la plus entière liberté. Presque tous les parents, par contre, peuvent donner quelques jouets à leurs enfants. Évidemment tous ne peuvent pas acheter des jouets chers, perfectionnés, par exemple des poupées qui marchent, parlent, ferment les yeux, etc. Heureusement, il ne faut pas trop le regretter, de tels jouets ne sont pas ceux qui intéressent le plus les enfants et qui contribuent le plus utilement à leur développement. Une belle poupée articulée dira tout au plus quelques mots, toujours les mêmes. Faite d’un torchon et informe la poupée d’une pauvre fillette tient au con-

traire les conversations les plus variées ; sa propriétaire, qui sera sa maman, sa grande sœur, une amie, etc., etc., au gré de sa fantaisie, lui prête toutes les répliques qu’elle peut imaginer. Le meilleur jouet n’est ni le plus cher, ni le plus partait ; c’est celui qui stimule le mieux, celui qui laisse le plus de place à l’imagination et à l’initiative de l’enfant. « Une vieille charrette, dit Marcelle Tinayre, est tour à tour locomotive, automobile et chariot. La poupée change de sexe, d’âge, de caractère et de costume, au gré de la petite maman. Du sable, des cailloux, des débris de bois, sont de précieux trésors. L’univers tient dans un carré de jardin, l’océan dans une rigole, la forêt dans un rameau. Le jouet toujours nouveau, toujours divers, que l’enfant peut manier, transformer, perfectionner à sa guise, le jouet le moins coûteux, le plus simple, est presque toujours le plus aimé. »

L’intérêt pour les diverses sortes de jouets suit l’évolution du jeu chez l’enfant : d’abord jeux improvisés, jeux bruyants (le hochet, par exemple, dont l’origine est fort lointaine et que l’on fabriquait au Moyen-Âge, avec des dents de loup ou du corail pour chasser les mauvais esprits) ; plus tard, l’intérêt pour les jouets varie suivant les sexes : les fillettes préfèrent des poupées, des ménages ; les garçons des jouets qui permettent de faire du bruit ou qui exigent une certaine activité motrice ; ce n’est que tardivement que les jouets intellectuels sont préférés.

Il est un jouet que nous avons omis de signaler dans les pages qui précèdent et qui a pourtant une importance éducatrice trop négligée : le collectionnisme. Tout jeune, mais surtout entre 8 à 10 ans, l’enfant bourre ses poches d’objets les plus hétéroclites : galets, coquillages, morceaux de verre, ficelles, etc. Généralement les mamans se désolent, défendent, punissent, jettent au loin ou détruisent tous ces trésors enfantins. Évidemment, les mamans ont alors souvent à se plaindre des poches percées, mais le collectionnisme enfantin sert inconsciemment à l’enfant qui acquiert ainsi une foule de notions : le petit observe, compare, classe les objets. L’art de l’éducation ne consiste pas à ordonner, défendre et punir, mais à tirer parti des activités et des intérêts de l’enfant en les guidant vers la voie la plus utile à son développement ; il consiste aussi à stimuler au besoin ces activités et à fournir des aliments choisis aux intérêts utiles. Mieux vaut fournir au petit collectionneur une vieille boîte qui lui permettra de ménager ses poches tout en donnant satisfaction à son intérêt.

Cet intérêt utile disparaît bien souvent parce que la famille met perpétuellement obstacle à sa satisfaction et que l’école actuelle n’en sait pas tirer parti. L’école fournit à l’enfant des classifications d’adultes toutes faites, qui ne parlent ni à l’esprit ni au cœur des petits et qui, de plus, ne l’exercent ni à observer ni à réfléchir. Mieux vaudrait, pour la formation de l’enfant, que celui-ci se soit exercé à classer les objets qu’il a collectionné et qui l’intéressent, que d’apprendre des classifications zoologiques ou botaniques qui n’ont d’utilité que pour les savants en leur permettant d’alléger le travail de leur mémoire et de résumer, commodément, des connaissances qu’ils ont dû acquérir, en partie du moins, à la suite de travaux personnels, d’observations personnelles.

Il est juste cependant de reconnaître que le jeu est de plus en plus employé à l’école comme moyen éducatif. Ceci est surtout vrai des classes pour tout petits, classes enfantines et écoles maternelles, dont les maîtresses font de plus en plus usage des jeux éducatifs.

Tout d’abord Hard, puis Seguin créèrent de tels jeux pour les anormaux mentaux. Plus tard, Frœbel imagina des jeux, que nous trouvons aujourd’hui trop abstraits, pour les tout petits. Les jeux de Frœbel, qui