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toirement supprimé toute compréhension originelle de la morale. Son impératif catégorique ne repose plus sur rien de sensible et la raison se trouve nettement insuffisante pour justifier quelque morale que ce soit.

Enfin, dernière objection, la plus grave peut-être, c’est que le libre arbitre conduit directement à l’irresponsabilité et à l’immuabilité. Cette conséquence paraît avoir complètement échappé aux Kantiens. En effet dans le déterminisme absolu toute cause est inévitablement créatrice, donc responsable comme auteur immédiat d’un effet mais, comme tout se détermine réciproquement, le jeu des causes et des effets crée des modifications. Au contraire le noumène, la chose en soi, n’étant soumis à aucun déterminisme ne saurait être autrement qu’il est et qu’il se manifeste dans ses commencements absolus. Étant ainsi par son essence et sa nature on ne peut lui reprocher cet état qui ne peut être autre. Il est bien l’auteur du bien ou du mal, en tant que cause première, mais cette cause étant absolue échappe à tout reproche, à toute récompense ou punition, à toute influence ou modification.

Ici encore se manifeste l’impuissance du subjectivisme à résoudre les problèmes de la vie. Tout en somme dans le kantisme repose sur ces deux faits contradictoires : le monde objectif paraît absolument déterminé ; subjectivement l’être paraît indéterminé. Au lieu de chercher ce qui pouvait réellement expliquer la nature de l’être et celle de son subjectivisme (choses facilitées il est vrai aujourd’hui par la biologie) et de conclure ainsi à la création du subjectif par l’objectif, ce qui eût levé toutes les difficultés, Kant a préféré accuser la différence entre ces deux états de choses. Il ne pouvait, sur de telles bases, que conclure à un désaccord et aboutir à l’inexplicable et incompréhensible impératif catégorique. — Ixigrec.


KNOUT n. m. (russe : knut). Bakounine a écrit une grosse brochure intitulée : L’Empire knouto-germanique, charge à fond contre la Russie tzariste. Il y a plus de 50 ans que j’ai lu cet ouvrage, à présent introuvable, mais autant que je puis me le rappeler, l’auteur démontrait que les horreurs qui ont distingué le régime tzariste pendant deux siècles devaient être attribuées au knout, c’est-à-dire au régime de terreur, de militarisme brutal introduit par Pierre Ier, inspiré par les généraux allemands.

Depuis Pierre III, pas une goutte de sang russe n’a coulé dans les veines des potentats russes. Pierre III était un Holstein-Gottorp, sa femme qui l’a assassiné, était une Anhalt-Zerbst, et depuis lors tous les tzars, d’origine allemande, ont épousé des Allemandes, excepté Alexandre III, dont la femme était une Danoise, mais d’une famille d’origine allemande. Ainsi Bakounine avait raison d’appeler son pays : Empire Knouto-Germanique. Mais passons au knout.

Knout en russe signifie fouet. Les jeunes garçons qui, en été, gardaient dans la steppe, la nuit, le taboum (troupeaux de chevaux), se servent d’un knout dont la lanière très épaisse au milieu a plusieurs mètres de long, le manche en étant très court.

Les iamtochiks (postillons) et les paysans conduisant en hiver, toute une file de traîneaux, se servent aussi d’un knout, mais beaucoup moins long.

Sous les derniers Romanovs, les Cosaques étaient pourvus d’un knout, ou plutôt d’un plet, ou d’une nagaïka, sorte de martinet dont les lanières étaient terminées par des balles de plomb. Lors d’une démonstration comme celle qui eut lieu devant la cathédrale de Kazan, à Saint-Pétersbourg, ou simplement lors d’une réunion d’étudiants, les cosaques s’élançaient contre tout ce monde et dispersaient la foule en frappant in-

distinctement les hommes et les jeunes filles, dont beaucoup restaient estropiés pour la vie.

Dans des chasses aux loups j’ai vu des chasseurs montés sur de rapides chevaux suivre les loups qui fuyaient dans la plaine, et les frapper de leur knout ou de leur nagaïka jusqu’à ce que la bête tombât. Le chasseur n’avait plus alors qu’à l’éventrer de son grand couteau de chasse.

Le mot knout qui ne signifiait d’abord que fouet est devenu une arme et surtout un instrument de supplice. C’est dans ce sens qu’il a passé dans la langue française.

Dans mes voyages en Asie russe et dans mes promenades à cheval au Caucase et dans la Grande Russie, j’avais presque toujours à ma ceinture un petit knout formé d’une lanière de cuir non tanné, mais recuit et qui devenait. dur comme du fer.

Je n’ai jamais eu besoin de m’en servir, car la vue seule de cet. instrument faisait partir au galop ma monture.

Le supplice du knout avait été introduit en Russie dans le code d’Alexis Mikaïlovitch, au xviie siècle, sous l’influence des instructeurs germaniques. Knout est un mot scandinave, dont on retrouve la trace dans le mot anglais Knot, nœuds (prononcé actuellement nott). Le nom knut, comme dans Knutt Hansen, c’est notre vieille connaissance Canut, le chef des Normands.

L’écrivain polonais M. Klaczko, qui fut un des écrivains de la Revue des Deux-Mondes a fait dans ses Souvenirs d’un Sibérien, une description du supplice du knout appliqué encore au commencement du xixe siècle. Il parle d’une longue et étroite lanière de cuir recuite dans une espèce d’essence et fortement enduite de limaille métallique qui lui donnait un poids remarquable.

Avant que la lanière durcît, on repliait sur eux-mêmes les bords amincis à dessein. Ils formaient une sorte de rainure s’étendant dans toute la longueur de la courroie, excepté pourtant à l’extrémité laissée souple pour qu’elle pût s’enrouler autour du poignet de l’exécuteur. A l’autre extrémité, était fixé un petit crochet en fer. S’abattant sur le dos nu du patient, le knout tombait de son côté concave sur la peau, que les bords de l’instrument coupaient comme un couteau.

L’exécuteur pour rendre plus épouvantable le supplice tirait la courroie horizontalement, ramenant, au moyen du crochet et par grands lambeaux, les chairs déchiquetées. Les juges pouvaient condamner un homme suspect d’idées révolutionnaires à 102 coups (ukase de Pierre Ier). Mais les victimes étaient presque toujours mortes avant le cinquantième. Chaque coup de knout faisait couler un ruisselet de sang.

Un homme qui avait reçu 15 coups avait la peau totalement enlevée et les chairs étaient aussi profondément incisées qu’elles auraient pu l’être au moyen d’un instrument tranchant.

Le bourreau avait, en outre, le droit de couper le nez de la victime évanouie, de la marquer d’un fer rouge au front et aux joues.

Si toutes ces tortures n’avaient pas fait mourir le malheureux, on le soignait à l’hôpital et on l’expédiait ensuite aux mines de Sibérie.

L’inquisition espagnole n’était pas la seule à mettre en usage des tortures épouvantables.

Voici, d’après un témoin oculaire, L.-A. Sériakov (D. N. Jbankov) Frelesnya Nakazaniya Rossüo (châtiments corporels en Russie), l’effet produit par le knout. Aux premiers coups on entendait un gémissement sourd qui s’éteignait bientôt sous l’effrayante souffrance car on tailladait le dos comme si c’était de la viande de boucherie. Quand la victime ne faisait plus entendre de plainte ni aucun son, qu’elle ne donnait plus signe de