Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LAP
1191

Bochisme. — Idée ou coutume boche ou allemande.

L’Académie acceptera-t-elle un jour comme appartenant à la langue française de pareilles définitions ? En attendant, ceux qui tiennent boutique à l’enseigne de Larousse ont une singulière façon de continuer son œuvre et de posséder cette « entière indépendance d’esprit et de jugement », ce « quelque chose de l’esprit libre et audacieux des grands encyclopédistes du xviiie siècle » qu’ils lui ont reconnus dans le Nouveau Larousse Illustré.

Ainsi se précipite, en même temps que l’abaissement de l’esprit français, « cette constante dégradation de la langue française dont nous sommes les témoins impuissants » (R. de Gourmont). Doit-on s’étonner que le français perde de plus en plus son influence internationale ? L’anglais le remplace comme langue diplomatique. En Allemagne, en Autriche, en Russie, il n’est plus la langue de la culture intellectuelle, la belle langue qui répandit le goût français fait de clarté, d’ordre, de mesure, mais fut surtout le langage universel de la liberté. L’impérialisme capitaliste achève l’étranglement de la liberté ; le « langage poilu », le jargon des profiteurs de guerre et l’imbécillité nationaliste sont en train de porter en terre la langue française. Ce n’est pas ce qu’avaient rêvé ceux qui se sont fait tuer pour le Droit et la Liberté, et ceux qui sont morts pour la défense de Racine. — Édouard Rothen.


LAPALISSADE n. f. (de La Palice ou La Palisse, n. p.) Vérité d’une évidence niaise dont s’adornent les écrits des auteurs médiocres, la conversation des pédants échauffés et des bavards dans l’embarras. Le journalisme en abuse comme aussi les orateurs vulgaires. C’est un remplissage sans valeur et souvent de sottise éclatante, qui s’apparente à la chanson fameuse à laquelle La Palice a prêté son nom et qui se répand sur cinquante et un couplets. À l’origine, après la mort du capitaine « devant Pavie », la dite chanson tenait vraisemblablement tout entière dans le couplet connu :

Monsieur d’La Palice est mort,
    Mort devant Pavie ;
Un quart d’heure avant sa mort,
Il était encore en vie.

L’auteur de cette oraison y témoignait sans doute de plus de naïveté que de malice, mais l’ébauche se prêtait à des développements drolatiques et chaque âge y ajouta, semble-t-il, quelque richesse. Le corps de la chanson, rajeunie et étendue, se composait, en effet, au xviiie siècle, avec La Monnoye, d’une douzaine de couplets. Mais sur le thème offert, les générations suivantes ont brodé et les chercheurs ont ainsi rassemblé plus de cinquante couplets. En voici, à titre de curiosité, quelques passages caractéristiques :

Il ne mettait son chapeau
Qu’il ne se couvrit la tête…
Sitôt qu’il fut son mari
Elle devint sont épouse…

Il n’eût pas eu son pareil
S’il eût été seul au monde…

Tout homme qui l’entendit
N’avait pas perdu l’ouïe…

Sitôt qu’il eut les yeux clos
À l’instant il n’y vit goutte…

Il mourut le vendredi,
Le dernier jour de son âge
S’il fût, mort le samedi,
Il eût vécu davantange…

C’est là, évidemment, une « littérature » de tout repos. Mais elle a le mérite d’être inoffensive… Et bien des délayages, en définitive, ne l’emportent sur elle que par la prétention, l’aigreur ou la perfide méchanceté…


LAPIDAIRE (latin lapis, pierre). Au sens primitif, l’adjectif lapidaire s’appliquait à ce qui concernait la taille des pierres :c’est à l’art du lapidaire que le diamant doit son éclat. Par style lapidaire, on entendait celui des inscriptions gravées sur la pierre ou le marbre. On peut trouver dans les inscriptions de précieuses indications pour l’histoire ; et des catalogues ou corpus ont été constitués pour réunir les plus importantes, dont l’authenticité n’apparaît pas douteuse, soit grecques, soit romaines, et de bien d’autres pays, et de toutes époques. Le livre étant moins répandu autrefois, c’est à l’aide des monuments surtout que l’on conservait le souvenir des événements fameux. Il va sans dire que la vérité, la flatterie et le mensonge inspirèrent nombre de ces inscriptions ; une critique très sévère est indispensable pour arriver à se rendre compte de leur sincérité. Certains érudits s’y emploient de leur mieux sans parvenir toujours à des résultats satisfaisants.

Comme les inscriptions sur marbre ou pierre étaient généralement brèves, concises, visant à dire beaucoup de choses en peu de mots, on a fini par appeler lapidaire tout style qui présentait des qualités du même genre. La langue latine, pour l’antiquité, l’anglais, parmi les langues modernes, sont particulièrement propres au style lapidaire. Les phrases frappées en médaille, nourries d’idées mais économes de mots, qui rendent un son plein, telles les pensées d’Epictète ou de Pascal, les vers de Lafontaine, par exemple, donnent une idée du style lapidaire. En général, les écrivains pêchent par l’excès contraire ; ils « allongent la sauce », délayent sans mesure, et leurs phrases étirées sont, aussi creuses que des bulles de savon. Mais les lecteurs stupides estimeront toujours plus un gros livre qu’un petit, car ils jugent d’après le format et l’apparence, plus que d’après le contenu. D’où le souci, chez les auteurs (plus souvent, de nos jours surtout, préoccupés de succès que de perfection), de s’attacher surtout à la quantité et d’entasser pages sur pages, ou tout au moins de se faire imprimer en lettres assez grosses pour qu’une courte nouvelle arrive au format et au volume d’un fort roman.


LAPIDATION (voir supplices, tortures).


LARRON n. m. (latin latero, compagnon, de latus, côté. C’était, jadis le soldat qui marche à côté du chef. Comme il arriva souvent que les soldats pillaient, détroussaient les passants, ceux qui les imitaient furent appelés laterones ; de latero on a fait latro, voleur, larron). Larron est une forme adoucie de voleur, comme larcin est un édulcoré de vol. Leur différence tient surtout, dans le langage courant, à des rapports de proportion. On appelle larron le voleur qui prend à la dérobée, furtivement. Et ce que l’on dit du vo1, en général, s’applique dans ce cas particulier. Cette épithète conviendrait aux commerçants, aux industriels, aux financiers, dont les vols quotidiens et méthodiques sont admis par le code, mais n’en restent moins patents. Ces vautours, d’une rapacité incroyable retiendront sur le salaire de l’ouvrier, majoreront les prix de leurs marchandises, émettront des actions sur des mines imaginaires pour faire passer subrepticement dans leurs coffres-forts l’argent gagné par le populaire. Mais quelle indignation secoue ces modèles de vertu dès qu’un pauvre diable s’avise de dérober quelques sous dans le tronc de Saint-Antoine-de-Padoue, ou quelques pommes chez le châtelain de l’endroit. « Que fait donc la police, pourquoi les tribunaux, vite la prison, à défaut du bagne ! », s’exclament ces prétendus disciples de Jésus. Ils oublient que d’après l’Évangile ce dernier fut crucifié entre deux larrons, et qu’à l’un