Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LIB
1228

et par là-même s’astreindre à une méthode, une discipline inévitables, de même le groupe de production ou le producteur individuel devront s’organiser de telle sorte que la production soit assurée, et demander à ses membres, une fois les principes et les règles de l’organisation adoptés, de les observer. Que l’on veuille ensemencer un champ, construire une maison, extraire du charbon, fondre du minerai, voyager en chemin de fer ou organiser une fête, il faut que chacun de ceux qui ont promis d’assurer un rôle dans l’organisation du travail ou du plaisir, après avoir accepté les nécessités de la situation, choisi suivant ses goûts et ses aptitudes, remplisse la fonction qui lui revient et en ait la responsabilité. Sans cela, il n’y a pas de production intelligente et, partant, pas de satisfaction possible pour les hommes dans la vie aux communes possibilités que nous essayons d’établir.

Lorsque l’anarchisme aura fortement implanté ses principes dans l’esprit et le cœur du peuple, lorsqu’il aura acquis assez de puissance, surtout morale, pour transformer la société, il réalisera l’égalité, non pas devant la loi mais devant la vie, et chaque individu se trouvera placé devant les mêmes possibilités d’existence. Plus de patrons arrogants, de chefs, ni de supérieurs devant lesquels il faut toujours plier pour ne pas perdre son gagne-pain, plus personne pouvant disposer ainsi de la vie ou tout au moins de presque toute la liberté d’autres hommes. Certes, je le répète, nous n’aurons pas, en société, cette liberté illimitée qui d’ailleurs n’existe nulle part dans l’état de nature. L’oiseau qui vole si librement dans les airs à ce qu’il nous semble, est cependant obligé de se lancer à la poursuite de sa nourriture : elle ne lui tombe plus dans le bec pendant qu’il chante sur la branche. Le propagandiste anarchiste qui dit à chaque individu : « Nul ne peut agir à tes lieu et place pour te libérer, c’est toi-même qui dois organiser ton mode de vie », s’inspire bien des principes ci-dessus en montrant à l’être humain qu’il sait faire un effort personnel pour obtenir ce qu’il espère. L’organisation anarchiste de la production n’est que l’application du même principe dans ce domaine.

D’ailleurs, la multiplicité des groupes de production, la facilité de choisir son groupe et d’en changer sans risquer de subir la misère, la facilité de produire isolément pour celui qui le voudra, en permettant à chacun de choisir le genre de discipline qui lui conviendra le mieux, nous donnera le maximum de liberté. Lorsqu’aucun être humain ne sera plus à la merci d’un employeur, d’une administration, d’une clientèle, d’une classe, ni des convenances pour assurer son existence et jouir pleinement de la vie, il goûtera réellement la liberté.

Peut-on, maintenant, parler de liberté lorsque nous n’avons même pas le droit à l’existence, que nos maîtres peuvent nous l’enlever quand cela leur fait plaisir ? La condition de l’homme d’aujourd’hui, du moins de celui qui ne possède pas, n’est guère meilleure que celle de l’esclave d’autrefois, malgré tout ce qu’on chante sur la civilisation et le progrès, et nous pouvons répéter avec le poète ces tristes vers :

        Ne parle pas de liberté :
      La pauvreté, c’est l’esclavage.

Mais le jour où nous aurons réalisé l’égalité économique et sociale, où nous aurons fait disparaître des cerveaux humains la croyance à la supériorité d’individus faits pour commander et gouverner, le jour où les hommes naîtront et vivront réellement dans l’égalité devant le bien-être qui ne sera plus réservé à une partie seulement de l’humanité, nous aurons solutionné la question de la liberté sociale. Cette liberté sera relative, c’est en-

tendu mais assez vaste pour nous suffire. Nous serons libres en ce sens que notre existence, notre condition de vie ne dépendront que de nous, de notre effort, de notre activité. Nous pourrons ce que nous voudrons parce que nous ne voudrons que ce que nous pourrons. Nous n’avons que faire de l’impossible liberté absolue, et s’il est des chasseurs de chimères qui veulent tenter de réaliser pour eux cette absurdité qui nous a valu des siècles d’esclavage et de souffrance, nous leur dirons : Non, restez, comme nous, des hommes, des hommes avec leurs imperfections, leurs faiblesses, leurs erreurs, leurs besoins, mais des hommes semblables en cela à d’autres hommes ; différents seulement, en plus ou en moins, de certaines qualités ou de certains défauts, de certaines capacités, mais ayant tous, vous plus que les autres peut-être, besoin de l’association et de la solidarité humaines. Nous ne voulons plus ni d’inspirés, ni de prophètes, ni d’anges, ni de surhommes, ni de dieux, ni de demi-dieux. Leur règne — si gros de peines pour la majorité des hommes — a assez duré. Ce fut le règne de l’autorité. — E. Cotte.

LIBERTÉ (Liberté de choix). Qu’est-ce que la liberté ? La question n’est pas si facile à résoudre qu’à poser. Le Dictionnaire encyclopédique Larousse fournit de la liberté, entre autres définitions, celle-ci :

« Faculté d’agir qui n’est gênée ni par une autorité arbitraire, ni par des lois tyranniques. »

Il ne s’agit là que de la liberté politique, bien entendu, mais qu’il s’agisse de la liberté politique ou de la liberté morale, toute définition de la liberté est nécessairement négative. On n’est pas libre, en effet, de faire tout ce qu’on veut : même si l’on supposait anéantis ou surmontés tous les obstacles s’opposant à la fantaisie on au caprice, il y a des conditions biologiques dont l’individu ne peut pas s’évader.

Entendue au point de vue individualiste anarchiste, la liberté est un état où un individu ne peut pas être davantage forcé à faire ce qui ne lui plaît pas que contraint à ne pas faire ce qui lui plaît. Autrement dit, pour l’individualiste anarchiste, il y a autorité ou tyrannie chaque fois qu’on est obligé d’accomplir un acte indésiré ou qu’on est empêché d’effectuer une action désirée.

Les individualistes réclamant, revendiquant la pratique de leur conception de la liberté pour tout le monde, il s’ensuit que, pour eux, la liberté de chacun est inévitablement limitée par l’exercice de la liberté d’autrui. C’est le principe de « l’égale liberté » ou de la « réciprocité en matière de liberté ».

De sorte que, toute autorité est arbitraire ou tyrannique qui interdit à l’individu ou à l’association de faire ou ne pas faire, alors même que cette action ou cette inaction n’empièterait pas sur la façon de se comporter d’autrui.

Il n’y a pas de loi ou d’autorité qui ne soit arbitraire ou tyrannique, leur raison d’être étant d’intervenir dans l’action ou l’inaction de l’administré ou du citoyen, même quand ce dernier n’entend en aucune façon forcer autrui à faire ou ne pas faire comme lui.

C’est ainsi que l’État, forme concrète de l’autorité, puisqu’en possession des moyens de sanction, intervient dans la liberté de la presse, la liberté de parole, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté de proposer ou d’expérimenter certains modes de vie, certains systèmes d’éducation — la liberté de critiquer certains préjugés, certaines entités, institutions sociales ou politiques. Il suffit que l’État juge que l’exercice d’une liberté donnée nuit à son existence, à sa morale, à son enseignement pour imposer silence à qui veut s’exprimer ou réaliser au nom de cette liberté.

Ainsi, en France, on ne peut pas, sous peine d’emprisonnement, recommander l’abstention du service mili-