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tions répandues par les prêtres. Confucius disait : « Comment prétendre savoir quelque chose du ciel puisqu’il est déjà si difficile de nous faire une idée nette de ce qui se passe sur la terre ? » Encore plus près, la révolution qui a produit le bouddhisme aux Indes a correspondu à celle qui, en Occident, a amené le christianisme. Confucius et Socrate, Bouddha et Jésus ont ainsi marqué, aux confins oriental et occidental du monde l’identité de la pensée aryenne dans ses évolutions. Les lois de Confucius, les enseignements de Socrate, les édits et sermons bouddhistes gravés sur les tables du roi Prayadesi, montrent que les hommes n’ont pas attendu le christianisme pour découvrir « la plus belle des morales ».

Même parallélisme entre les polythéismes brahmanique, égyptien, grec et nordique, ensuite, entre les monothéismes persan, hébraïque, chrétien et musulman. La chronologie biblique et celle des rois égyptiens ont été inspirées de celle de la mythologie brahmanique qui remonte à cinq mille ans. On l’observe par leur concordance. L’origine chaldéenne des légendes bibliques et du culte hébreu est visible même dans le nom de Yaveh donné à Dieu. Abraham, « père de la race », est le roi chaldéen Orkham dont Ovide a parlé dans ses Métamorphoses. Les récits fantastiquement exagérés de l’Exode et des prétendues guerres du petit peuple palestinien, que l’antiquité n’avait pas connu avant le christianisme, ne sont que les échos maladroitement adaptés des légendes recueillies par ses ancêtres, les nomades arabes qui s’étaient fixés dans « la cavité du Jourdain ». Le mythe grec des Argonautes donne une idée autrement vaste du monde que la Genèse. Alors que les Hébreux, rédacteurs du récit du déluge, n’avaient jamais vu la grande mer et ignoraient la construction des navires, comme le démontre leur description de l’arche, les Argonautes avaient parcouru en tous sens la Méditerranée, ils étaient allés jusqu’aux colonnes d’Hercule (Gibraltar), avaient parcouru la mer Adriatique et le Pont Euxin (Mer Noire) au-delà de l’Hellespont. Ce n’est que sous le règne de Josias, au vie siècle avant J.-C. que 1es Hébreux prétendirent être « le peuple de Dieu », imaginèrent le personnage de Moïse et les fallacieuses histoires du Pentateuque complètement inconnu jusque-là et qu’ils mêlèrent aux vieux livres juifs pour en faire la Bible. Le judaïsme suivait ainsi l’exemple du brahmanisme en fabriquant l’histoire et les dogmes pour mettre les traditions de la foi à la place de la vérité et la religion au-dessus de la morale. C’est l’œuvre d’imposture qui devait être continuée au nom du christianisme et dont le principe est ainsi formulé dans le Zend-Avesta, la bible persane : « Le bien et le mal ne sont pas dans la conscience, ils sont dans l’obéissance ou la révolte à la parole du prêtre. » A l’encontre de ces insanités souveraines, on trouve dans les mêmes livres la voix de la véritable humanité. Les prêtres n’ont pu enlever à la Bible la beauté païenne, toute imprégnée de la vie et de la poésie orientale, du Cantique des Cantiques, ni déchirer les pages de Job, « premier cri de la douleur humaine dans la poésie, première apparition du doute, première atteinte portée au fatalisme, au servile optimisme oriental, première réclamation connue contre le malheur des honnêtes gens, le triomphe des mauvais et le gouvernement du monde » (Ph. Chasles). Ils n’ont pas davantage étouffé les imprécations des prophètes « dont la puissance d’expression est commune à tous ceux qui cherchent le vrai et qui font partie du trésor littéraire de l’humanité » (E. Reclus).

Mais c’est dans l’immense étendue de la littérature hindoue qu’on peut le mieux suivre une évolution qui a été celle de la pensée chez tous les peuples appelés « civilisés ». L’Occident a commencé à connaître l’Inde à l’époque où les Grecs d’Alexandre traversèrent l’Indus.

On fait remonter à 3.700 ans, approximativement, la descente des Aryens dans l’Inde. Le Vendidad, chapitre de l’Avesta iranien, a raconté leur établissement dans ce pays. Accueillis avec un respect mystérieux, ils apportèrent la plupart des idées qui firent le Rig-Veda, le premier et le plus ancien des livres religieux, puis l’Avesta persan. Ces livres établissaient, depuis les fleuves de l’Inde jusqu’à la mer Caspienne, une unité de langage que les migrations répandirent avec les chanteurs errants et les poètes voyageurs. Leurs récits primitifs disaient les charmes de la nature, la joie des hommes et des animaux. Ils étaient profondément imprégnés d’un naturisme que les prêtres n’avaient pas encore édulcoré pour en faire des prières et des incantations. On retrouve ce naturisme dans Sakountala du poète Calidasa, qui est le poème merveilleux du mariage célébré selon la nature, sans prêtres ni magistrats, dans le Ramayana, qui se récitait dès le viiie siècle avant J.-C. et chantait la Montagne Mérou avec ses quatre animaux mythiques : lion, cheval, vache, éléphant, symbolisant les quatre fleuves coulant vers les quatre points cardinaux. De ces symboles, les brahmanes devaient faire les archétypes des quatre castes. La transformation religieuse se fit peu à peu avec celle des mœurs, quand les aryens pasteurs devinrent conquérants. Elle a été décrite dans les autres Védas puis dans le Mahabharata et les lois de Manou, après que les prêtres et les guerriers eurent fait triompher le brahmanisme contre la religion naturelle d’abord, contre le bouddhisme ensuite. L’Atharva-Véda a été l’expression définitive du brahmanisme triomphant. L’Inde du Nord a encore dans ses Védas une littérature ancienne où sont recueillis les chants des immigrants iraniens. Celle du Sud, chez les descendants des Dravidiens du Maisur et du Coromandel, a une littérature très riche en chansons, contes, proverbes.

Le bouddhisme inspira une belle époque d’art et de littérature. Il portait en lui les éléments d’une révolution plus profonde et qui posaient plus nettement la question sociale que le christianisme. La langue sanscrite était au moment de sa plus éclatante floraison lorsque le grammairien Pànini lui avait donné des règles littéraires au ive siècle avant J.-C. Le Mahabharata, immense épopée de plus de 200.000 vers, recueillit tous les récits épiques et fut l’Iliade de l’Inde. On y trouve, avec la force et la fraîcheur de la sagesse et de la poésie primitives, la douceur infinie de la poésie bouddhique en même temps que la fureur et la duplicité des dieux. « Les mondes se heurtent et une fleur sourit à l’enfant qui passe. Les Titans dévorent l’univers, et une femme armée d’une paille les extermine de sa main. » (Ph. Chasles). « Yudichtira force les dieux à admettre son chien dans le séjour des bienheureux… Dans sa merveilleuse puissance de bonté libératrice, il arriva à faire descendre les dieux du ciel pour illuminer les ténèbres de l’enfer et changer en jouissances les supplices des méchants. » (E. Reclus). On voit que les « charitables » chrétiens qui « se réjouissent de voir les souffrances des damnés » (Thomas d’Aquin), ont encore fort à apprendre du bouddhisme dans les voies de la charité.

Il y a identité entre la légende grecque de la Guerre de Troie et celle, hindoue, de l’histoire d’Hastinapura contée dans le Mahabharata. On n’est pas certain qu’il n’y en ait pas entre le Krichna brahmanique, antérieur à Bouddha, et le Christ. Les drames de Bavhabouti, de Boudraka, de Calidasa correspondent de leur côté à ceux d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide et en ont la grandeur. Manou, le penseur, l’homme libre qui se renouvelle dans des incarnations successives, se retrouve dans Parsifal, l’innocent, le pur des légendes de Graal. Les chansons de geste et les romans fabuleux du moyen-âge remontent au Mahabharata en passant par