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LOI
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identiquement leur conscience spécifique. Tout le fatras fantasmagorique des lois, imaginé par le mysticisme et l’esprit de conquête, mais commandé et fixé par le besoin de coordination, se désagrège sous l’influence de la raison. Seules les nécessités matérielles proportionnées au nombre et au désir de consommation des groupements humains exigeront des contrats en rapport avec les difficultés de coordination et de production.

3° L’infaillibilité des lois, créées par des hommes faillibles, ne se soutient plus actuellement puisqu’elles sont sans cesse remaniées par chaque parti au pouvoir, mais ce caractère sacré se justifiait aisément lorsque la loi civile et la loi religieuse ne faisaient qu’un, comme cela existe encore chez quelques peuples fanatiques. Le sorcier primitif et redouté, entouré d’une crainte superstitieuse, était le dispensateur de calamités que l’on évitait par une obéissance rémunératrice et généreuse. L’infaillibilité de l’église catholique et de son chef est universelle et cette sorcellerie savante émet encore la prétention de représenter la divinité et de nous courber sous son joug despotique. Si ces vieilleries périmées ne justifient plus leur infaillibilité, les lois humaines modernes, équilibrant les intérêts opposés des partis et des individus, ne justifient pas davantage la leur ; mais leur création par des hommes semblables aux autres et leur caractère quasi-sacré vient, d’une part, de l’esprit encore mystique et fétichiste des hommes, et de l’autre, de l’inévitable difficulté de coordination inhérente à tout groupement humain, en l’absence des directives de sagesse et de raison, et que l’on peut formuler ainsi :

Tout groupement humain doit coordonner ses efforts par une discipline volontaire ou involontaire. Si la discipline est volontaire, c’est sagesse et raison. Si la discipline est involontaire, c’est tyrannie et violence. L’une conduit au contrat volontaire ; l’autre à la loi imposée.

Comme les humains ont encore une mentalité de bête conquérante et mystique, ils ont recours à la violence. La loi n’est donc plus le produit infaillible d’hommes faillibles, elle est le triomphe d’un intérêt sur un autre intérêt, d’une nécessité sur une autre ou d’un esprit de conquête sur un autre esprit de conquête, quand ce n’est pas sur d’équitables esprits. Ce triomphe ne peut s’assurer que par l’application intransigeante de la loi et c’est le moindre mal que peuvent obtenir des hommes déraisonnables. Parfois des hommes de bon sens en bonifient l’esprit, sinon la lettre ; parfois d’autres personnages en aggravent la malfaisance dans les deux sens, mais de toutes façons, elle est la manifestation d’une nécessité sociale, parfois momentanée, intransigeante elle-même en ses exigences et qui fait que volontairement ou involontairement les actes sociaux doivent se coordonner et les désirs conquérants se limiter et s’équilibrer sous peine de désagrégation des milieux sociaux.

4° Tout ce qui précède explique aisément l’obéissance de l’homme ; mais si, autrefois, les attributs du sorcier ou du chef en faisaient des personnages sacrés, les chefs actuels ne représentent plus qu’un élément indifférent, bien que très désavantageux, de coordination et une sorte de canalisation et de spéculation de l’esprit de conquête des individus en leur propre faveur. La fable de l’huître et des plaideurs est admirablement vraie et repose sur une base psychologique très profonde. Deux intérêts opposés, deux concepts conquérants ne peuvent qu’entrer en lutte, se détruire réciproquement ou se soumettre à un arbitrage plus ou moins onéreux. Peu de groupements et d’individualités même échappent à cette belliqueuse ou humiliante détermination. Si les hommes ont préféré l’arbitrage de la loi plutôt que la lutte ouverte et permanente, c’est parce que, en réalité, cela correspondait mieux à leur nature artificieuse, prudente et spéculative et à l’intérêt général mieux satisfait par la ruse que par la violence perpé

tuelle. Mais il y a autre chose de plus profond dans l’objectivation d’un concept général tel que celui du droit ; il y a une abstraction tendant à exprimer une sorte de rapport universel entre individualités, à exclure des réactions humaines les points divergents pour ne laisser subsister que ce qui constitue le lien spécifique et fraternel commun à tous les humains. Cette tendance à formuler ainsi ces concepts généraux est une conquête de l’esprit positif, substituant progressivement au pouvoir personnel et arbitraire des conquérants et des sorciers de tout acabit, une sorte de directive sociale impersonnelle imposée uniquement par les nécessités déterminant tous les êtres vivants.

Ainsi la coordination humaine présente une curieuse constance dans son évolution. Alors que l’indifférence individuelle des premiers hommes rendait cette coordination facile dans le clan primitif par la solidarité des besoins et des croyances l’intelligence, se libérant de cette étroite servitude et tendant à détruire toute coordination par son individualisation excessive, retrouve précisément dans la raison, basée sur l’instinct social héréditaire, une cause plus efficace de cohésion et d’homogénéité humaine par l’universalisation de ses concepts et l’impersonnalisation de ses directives sociales.

Mais ce n’est que par l’éducation de leur volonté et de leur raison que les hommes se débarrasseront de l’humiliant, du dégradant et malfaisant arbitrage légal et du fétichisme judiciaire. Ils reconnaîtront alors l’utilité d’une discipline volontaire pour la limitation de leur esprit de conquête et l’élaboration et l’observation des contrats assurant un minimum de conservation au milieu social, lequel mieux coordonné, permettrait, contrairement à l’affirmation des esprits encore embrumés de mystique, un bien meilleur développement de l’unité individuelle. — Ixigrec.

LOI. a) Lois naturelles (leur portée, leur contingence).— C’est parce que les phénomènes se répètent, nous donnent l’impression de similitudes, de concordances, que nous nous mouvons avec sécurité dans le monde qui nous environne. « Nous sentons qu’il y a un rapport entre l’expérience actuelle et certaines expériences antérieures ». Par là nous est rendue possible la prévision, base de toute organisation de la vie.

Nous pourrions nous borner à dresser un répertoire des faits passés et des particularités corrélatives que nous aurions relevées parmi eux, catalogues et recettes qui inspireraient notre comportement. Mais quelle cervelle humaine saurait retenir la multitude des faits, quelle bibliothèque serait capable d’en conserver la trace, si l’homme ne s’ingéniait à soulager la mémoire en reliant les faits les uns aux autres par quelque lien logique ? Ce qui importe à tout instant « c’est de trouver en soi l’indication de tous les phénomènes extérieurs possibles en se reportant au minimum de données observées » (Le Dantec).

Le procédé d’inventaire qui se borne à noter les phénomènes sans les interpréter, sans les codifier par une synthèse, constitue l’empirisme. Nul n’a jamais pu le pratiquer dans toute sa rigueur ; la faveur qu’ils lui accordent n’a jamais servi qu’à dissimuler l’étroitesse de vues de ceux qui s’en réclament.

L’homme de science, au lieu de se borner à dresser un répertoire de faits, emploie sa raison à les expliquer, à les encadrer dans un groupe plus vaste duquel il les rapproche, à discerner, sous leur complexité naturelle, des composants plus simples laissant apparaître des similitudes, entre lesquelles on pourra établir des relations et dont il sera facile de suivre les variations dans l’espace et dans le temps.

Le savant exprime le résultat de son travail dans une formule ou loi qui résume ce qu’il y a d’essentiel dans