nents et manifestes. Elle les pèse au poids des armes. Y a-t-il rien de plus simple et de plus sage à la fois ? Elle tient pour irréfutable le témoignage d’un gardien de la paix, abstraction faite de son humanité et conçu métaphysiquement en tant que numéro matricule et selon les catégories de la police idéale… Quand l’homme qui témoigne est armé d’un sabre, c’est le sabre qu’il faut entendre et non l’homme. L’homme est méprisable et peut avoir tort. Le sabre ne l’est point et il a toujours raison. » La magistrature « a profondément pénétré l’esprit des lois. La société repose sur la force et l’a force doit être respectée comme le fondement auguste des sociétés. La justice est l’administration de la force… Si je jugeais contre la force, s’écrie le président Bourriche, mes jugements ne seraient pas exécutés. Remarquez, Messieurs, que les juges ne sont obéis qu’autant qu’ils ont la force avec eux. Sans les gendarmes, le juge ne serait qu’un pauvre rêveur. Je me nuirais si je donnais tort à un gendarme. D’ailleurs le génie des lois s’y oppose… L’agent 64 est une parcelle du Prince. Le Prince réside dans chacun de ses officiers. Ruiner l’autorisé de l’agent 64, c’est affaiblir l’État… Désarmer les forts et armer les faibles, ce serait changer l’ordre social que j’ai mission de conserver. La justice est la sanction des injustices établies. La vit-on jamais opposée aux conquérants et contraire aux usurpateurs ? Quand s’élève un pouvoir illégitime, elle n’a qu’à le reconnaître pour le rendre légitime. Tout est dans la forme, et il n’y a entre le crime et l’innocence que l’épaisseur d’une feuille de papier timbré ». (Anatole France)…
C’était à Crainquebille, évidemment, à « être le plus fort ». Proclamé « empereur, dictateur, président de la République », le président Bourriche n’eut plus retrouvé le coupable qu’il tenait dans ce délinquant minable et malchanceux… Quelle est, au reste, la tâche d’un magistrat qui sait ce qu’il doit à la société.
« Il en défend les principes avec ordre et régularité. La justice est sociale. Il n’y a que de mauvais esprits pour la vouloir humaine et sensible. On l’administre avec des règles fixes et non avec les frissons de la chair et les clartés de l’intelligence. Surtout, ne lui demandez pas d’être juste ; elle n’a pas besoin de l’être puisqu’elle est la justice, et je vous dirai même que l’idée d’une justice juste n’a pu germer que dans la tête d’un anarchiste. » (A. France) La magistrature est l’instrument d’un organisme de consolidation. Elle n’a pas besoin d’entrailles pour argumenter la « raison » des suprématies. Quelques propos conformistes et deux argousins lui suffisent.
Honnis de tous les âges, les « instruments séculaires des intrigues du pouvoir, de toutes les férocités tournées contre les vaincus, les affamés, les opprimés, les révoltés » ont été cloués au pilori par nos meilleurs écrivains. Les traits acérés et les coups de boutoir des Rabelais, des Pascal, des La Fontaine, des La Bruyère, des Voltaire, des Diderot, des Beaumarchais et des Paul-Louis Courrier, pour retenir, ici, quelques penseurs classiques, ont fait à l’hermine légendaire des déchirures inoubliables, revanche provisoire qu’emporte l’esprit en marche vers la justice. Écoutez Grippeminaud lui-même s’exaltant en ce discours à Panurge, étalant sa haine tournée vers la faiblesse : « Or ça, nos lois sont comme toiles d’araignée, les simples moucherons et petits papillons y sont pris, les gros taons malfaisants les rompent et passent à travers. Semblablement, nous ne cherchons les gros larrons, ils sont de trop dure digestion… » Elle n’a pas beaucoup changé, dites-moi, la magistrature, depuis Rabelais. Et il vaut mieux, si l’on tient aux égards et à la liberté, s’approcher d’elle sous les traits de Rochette ou de M. Klotz qu’en gueux vagabondant ou en voleur bénin… Montaigne, lui, s’é-
Après ces artistes, maîtres de la satire et de l’épigramme ; que la contrainte du siècle et de royales susceptibilités obligent aux pointes protégées et au sarcasme, aux âpres allusions, aux colères concentrées, voici les attaques de front des tribuns de la Révolution, des Danton, des Marat « contre ceux qui font état de juger ». Trompeurs du peuple, comme les prêtres, voici les magistrats les égaux des charlatans, et traités comme eux. Mais comme la religion, enracinée dans la faiblesse de l’esprit, la magistrature, qui a ses racines dans la passivité, résiste à la tempête qui vient de balayer, pour un temps, la royauté… Et les romantiques retrouvent ces fossiles, enchâssés dans leurs formes et traînant leurs simarres et leurs robes rouges à travers les sociétés bouleversées. En dépit de la Charte, Benjamin Constant, le général Foy dénoncent les magistrats « persécuteurs des faibles, créant des délits factices, se faisant les instruments fanatiques du pouvoir », servant les factions, suivant la fortune des ministères. Et ils montrent ‒ nos contemporains peuvent reprendre leurs dénonciations adopter leurs termes : la confrérie a peu varié ‒ ces « juges vendus aux gouvernements par l’ambition par l’intérêt et qui ont licence de perquisitionner, d’arrêter d’emprisonner, d’accuser, de calomnier, de condamner à tort et à travers… sans qu’il soit permis de former contre eux aucun recours ». Après juillet face aux barricades triomphantes, le Roi bourgeois promet leur sacrifice. Papeline, insinuante, faisant la chattemitte, la magistrature circonvient ses victimes d’hier et le Palais prodigue aux nouveaux maîtres ses bons offices : « services aux ministres, services aux riches, services à toutes les puissances en mesure de le gagner ou de l’intimider… » Les systèmes politiques s’échelonnent : monarchies constitutionnelles, pâles Républiques, Empires restaurés, ploutocraties parlementaires, et les robins adaptés résistent aux assauts obstinés du peuple, toujours secouru par les libres esprits…
Cependant l’auréole est tombée. Qui respecte encore cette noblesse agrippée aux vices des régimes ? On n’a plus de considération pour sa personne, on redoute seulement ses arrêts. « On ne croit plus à sa pureté ; elle peut effrayer encore par le déploiement de son attirail, elle ne peut plus en imposer ». La judicature n’est plus qu’une force dangereuse dont on surveille la puissance, vivace et toujours terrible… Magistrats de droit divin ! Séides armés du Code romain ! Leur vêture sacramentelle n’est plus qu’un accoutrement ridicule qui souligne leur discrédit et leur jargon accuse leur caducité !