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nition légale qui ne permette plus, dans l’avenir, de mettre ces sortes de discussions sous le coup des lois de droit commun. Elle se proposait aussi de répandre, par tous les moyens, dans le peuple « la connaissance de la loi de population, de ses conséquences, de ses effets sur la conduite de l’homme et sur la morale ». Deux ans plus tard paraissait son organe The Malthusian, devenu aujourd’hui The New Generation. Depuis 1921 une autre société, non spéciflquement malthusienne, revendiquant la base eugénique, s’est fondée sous l’action de la doctoresse Marie Stopes. Sans s’appuyer sur la doctrine de Malthus, elle n’en aboutit pas moins par certains côtés à la limitation des naissances. Son eugénisme ne peut se passer de l’anticonception. Elle a un organe intitulé Birth Control News.

Les Hollandais et les Allemands suivirent l’effort anglais respectivement en 1879 et 1892, les premiers avec énergie et un réel esprit pratique, les seconds sans élan et tout à fait théoriquement.

C’est seulement en 1895 que le mouvement néo-malthusien s’avéra publiquement en France sous l’impulsion de Paul Robin qui avait été, en Angleterre, un des premiers adhérents et militants de la Ligue fondée par le Dr  Ch.-R. Drysdale. Paul Robin avait préludé à cette action publique par des tentatives auprès de ses amis de l’Internationale afin d’incorporer la propagande néo-malthusienne au mouvement socialiste, par une adresse au Congrès ouvrier de Marseille (1879), par des tracts répandus parmi ses amis, ses élèves, ses correspondants, par une conférence aux socialistes et étudiants de Bruxelles (1890), par l’installation, la même année, à Paris, d’une modeste clinique de pratique anticonceptionnelle.

Il ne rencontra auprès des leaders sociaux qu’il fréquentait qu’indifférence, hostilité et sarcasmes. « Tu entraves la Révolution » lui disait Kropotkine. « Tu ridiculises l’émancipation du travail » lui écrivait James Guillaume. Et Elisée Reclus refusait d’insérer ses articles néo-malthusiens sous prétexte que c’était là une question privée et que, du point de vue général, la limitation des naissances n’était qu’une « grande mystification ». Rien de plus curieux que l’attitude timorés de Benoît Malon par exemple, ou méprisante de Lafargue, ou sarcastique de Sembat, etc., etc.

En dépit de ces difficultés, il entreprit, après sa révocation comme directeur de Cempuis, en 1895, une série de conférences sur la question de population et la question sexuelle. Il agita les mêmes problèmes dans les congrès socialistes, féministes, de libre-pensée, et dans les sociétés savantes, notamment à la Société d’anthropologie.

Voici un extrait du sommaire de ses conférences :

« Pour arriver au bonheur de tous, il faut :

1° Une bonne organisation de la société humaine. Celle-ci n’a pu être réalisée par les individus, en très grande majorité presque sauvage, des temps passés et présents, Elle le sera par les générations prochaines ayant reçu :

2° Une bonne éducation. De celle-ci, seuls auront tiré tout le profit possible, pour eux et leurs semblables, ceux qui seront de :

3° Bonne naissance.

Des expériences sociologiques impossibles aujourd’hui dans notre état d’intérêts antagonistes, de concurrence acharnée, de luttes, de divisions, de haines, seront faciles à des gens de bonne volonté, ayant tous la même culture, basée sur le réel, vivant dans l’abondance, dans un milieu d’intérêts concordants. — Bonne éducation, c’est-à-dire exclusivement fondée sur les réalités scientifiques, sur l’observation, l’expérience, la liberté, l’affection, tout à fait dégagées des résidus métaphysiques. — Bonne naissance, de parents de bonnes qualités, s’étant choisis en parfaite liberté et n’ayant enfanté qu’avec volonté bien réfléchie.

Le problème du bonheur humain a donc trois parties à résoudre dans cet ordre et dans cet ordre seul :

Bonne naissance ; 2° Bonne éducation ; 3° Bonne organisation sociale.

Les efforts pour résoudre une partie du problème sont en grande partie perdus tant que ces précédentes sont mal résolues.

C’est aux mères de résoudre la première. Toutes savent que c’est un grand malheur, une grande faute, de mettre au monde des enfants qui ont des chances d’être mal doués, ou de ne pouvoir, dans les conditions actuelles, recevoir la satisfaction entière de leurs besoins matériels et moraux.

Cette vérité est la plus importante de toutes.

Les femmes doivent savoir que la science leur fournit les moyens efficaces et non douloureux de ne mettre des enfants au monde que quand elles le veulent, et elles ne le voudront certainement alors que dans des conditions telles que leurs enfants aient toutes les chances d’être sains, vigoureux, intelligents et bons. Que toutes l’apprennent, les inférieures aussi bien que les supérieures, De la sagesse, de la prudence, de la volonté raisonnée de celles-ci, de l’heureuse abstention de celles-là, dépend d’abord leur propre satisfaction, puis la première, la plus importante condition du bonheur de l’humanité.

En un mot, la maternité doit être absolument libre.

Que le nombre des hommes diminue provisoirement ou définitivement, peu importe. Mais que la quantité de tous marche résolument vers l’idéale perfection.

En août 1896, Paul Robin fonda une Ligue de la Régénération humaine, dont voici l’exposé des motifs :

« Négligeant toute condition imposée aux satisfactions sexuelles par les lois et les coutumes des divers pays nous posons en principe :

Que l’utilité de la création d’un nouvel humain est une question très complexe, contenant des considérations de temps, de lieux, de personnes, d’institutions publiques ;

Qu’autant il est désirable, aux points de vue familial et social, d’avoir un nombre suffisant d’adultes sains de corps, forts, intelligents, adroits, bons, autant il l’est peu de faire naître un grand nombre d’enfants dégénérés, destinés la plupart à mourir prématurément, tous à souffrir beaucoup eux-mêmes, à imposer des souffrances à leur entourage familial, à leur groupe social, à peser lourdement sur les ressources toujours insuffisantes des assistances publiques et de la charité privée, aux dépens d’enfants de meilleure qualité.

Nous considérons comme une grande faute familiale et sociale de mettre au monde des enfants dont la subsistance et l’éducation ne sont pas suffisamment assurées dans le milieu où ils naissent actuellement.

Nous ne contestons pas que certaines réformes et améliorations permettront à la terre de nourrir plus tard un grand nombre d’habitants ; mais nous affirmons qu’il est indispensable, avant de vouloir augmenter le nombre des naissances, d’attendre que ces réformes aient été exécutées et aient produit leur effet, et que, du reste, la préoccupation de la qualité devra toujours précéder celle de la quantité.

La Ligue se propose :

1° De répandre les notions exactes des sciences physiologiques et sociales, permettant aux parents d’apprécier les cas où ils devront se montrer prudents quant au nombre de leurs enfants et assurant, sous ce rapport, leur liberté et surtout celle de la femme ;

2° De lutter contre toute fâcheuse interprétation légale ou administrative de la propagande humanitaire de la Ligue ;

3° Enfin et en général, de faire tout ce qui est nécessaire pour que tous les humains connaissent bien les lois tendancielles de l’accroissement de la population, leurs conséquences pratiques, et les moyens de lutte