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industrie conquière sa pleine liberté de mouvements (laisser faire, laisser passer).

Le capitalisme est caractérisé par la prédominance d’un mode de production, dit capitaliste, lequel exige, pour des rendements de plus en plus massifs, la réunion de capitaux considérables (matières premières, machines, argent liquide).

Le mode de production capitaliste exige autre chose aussi : l’existence d’un prolétariat nombreux, dénué d’instruments de production et réduit, pour ne pas périr, à vendre aux capitalistes sa « force de travail ».

L’essor du capitalisme eut pour conséquence l’affaiblissement rapide et le recul de la petite entreprise indépendante qui, de règle, est devenue l’exception. Ce phénomène, très apparent dans l’industrie, l’est moins dans l’agriculture, surtout en France où la petite exploitation, fortement protégée par l’État, a, jusqu’ici, résisté : mais, si elle subsiste, elle dépend de plus en plus du marché et des capitalistes qui y font la loi. Toute l’histoire de l’artisanerie et de la paysannerie, depuis cent ans, est celle de leur prolétarisation. « L’évolution économique de la société bourgeoise conduit, avec la nécessité des lois de la nature, à la ruine de la petite exploitation, fondée sur l’appropriation privée, par le travailleur, de ses moyens de production. Elle sépare le travailleur de ses moyens de production et le transforme en un prolétaire ne possédant rien. [Elle transforme, en d’autres termes, le travailleur propriétaire en travailleur salarié.] Les moyens de production deviennent le monopole d’un nombre relativement restreint de capitalistes et de grands propriétaires fonciers » (Ancien programme de la social-démocratie allemande, dit d’Erfurt, 1891).

Le résultat de cet écrasement de la propriété individuelle par la propriété capitaliste et de la petite exploitation par la grande a été un accroissement gigantesque de la productivité du travail. Mais les avantages de cet accroissement ont été accaparés par les détenteurs privés des moyens de production, capitalistes et grands propriétaires. Les prolétaires, ce matériel humain de l’industrie moderne, en ont été exclus, et non seulement les prolétaires, mais encore la classe moyenne ou petite bourgeoisie (artisans, paysans propriétaires, intellectuels), dont la situation est devenue, depuis la guerre, presque aussi incertaine que celle des prolétaires proprement dit, là où cette classe n’a pas été entièrement paupérisée.

L’évolution du régime capitaliste en a modifié profondément la structure, sinon l’essence. La concurrence entre capitalistes a amené une concentration de plus en plus dense des moyens de production dans les mains d’une oligarchie de plus en plus restreinte et omnipotente. Au capitalisme de concurrence, a succédé le capitalisme de monopole, qui n’a gardé de l’ancien que l’appétit du profit. Le libre échange a fait place au nationalisme économique. Le néo-capitalisme tend de plus en plus vers un régime d’autarcie (marché intérieur fermé), complété, à l’extérieur, par la pratique systématisée du dumping. Le néo-capitalisme, cessant d’être libéral et pacifique, est devenu résolument interventionniste à son profit. Capitalistes et financiers ont trouvé dans l’État, asservi par eux, un exécuteur docile. Protectionnisme, militarisme, impérialisme, colonialisme sont les traits dominants de l’évolution du capitalisme, parti de la liberté pour arriver au monopole.

Le néo-capitalisme a tenté d’organiser l’économie sous l’hégémonie des banques représentant le capital financier. Elle n’a réussi qu’à multiplier le désordre du monde. Tant qu’elle n’aura pour base que la propriété privée et pour régulateur que le profit, l’économie dirigée sera une utopie. La production restera livrée à son anarchie traditionnelle, dont la manifestation la plus topique est dans les crises.

Les crises économiques sont inhérentes à la nature

du régime capitaliste, incapable d’ajuster sa production aux besoins des consommateurs solvables (les consommateurs insolvables n’existant pas pour lui). Avec l’industrialisation croissante du monde, qui amène la saturation des marchés et le rétrécissement des débouchés lointains, les crises deviennent « toujours plus étendues et plus dévastatrices » (programme d’Erfurt) et leurs retours périodiques entraînent, pour les États, des dérèglements financiers, monétaires, politiques et sociaux qui menacent la vieille société de subversion totale.

Le mode de production capitaliste est devenu anti-économique. Mais que dire de ses conséquences anti-humaines ? Il représente de plus en plus, non seulement pour les prolétaires qu’il exploite, mais pour la très grande majorité des hommes, un avilissement certain de leurs conditions d’existence. En même temps, s’élargit l’abîme qui sépare les classes, et s’aggravent les antagonismes qui mettent aux prises, en une véritable guerre civile (la lutte des classes) bourgeois, petits bourgeois et prolétaires.

L’inhumanité profonde du capitalisme se révèle surtout dans les crises. Alors les usines se ferment, les faillites se multiplient, les ouvriers sont jetés sur le pavé. A l’heure actuelle, dans le monde, trente millions d’ouvriers, d’employés, d’intellectuels sont ainsi la proie du chômage. Que vaut une société qui, suffisamment outillée pour satisfaire à tous les besoins, n’arrive pas à écouler sa production surabondante ? Que vaut une société qui n’arrive pas à assurer du travail à ceux qui n’ont, pour vivre, que leur force de travail ?

Le capitalisme, qui aggrave les antagonismes entre les classes, les exaspère entre nations. Dans son besoin d’expansion, il est essentiellement impérialiste. Ce qu’il lui faut, ce sont des débouchés, dût-il se les faire ouvrir à coups de canon. La préparation de la guerre est pour lui une nécessité primordiale : les guerres modernes sont des règlements de compte à main armée entre capitalismes rivaux aspirant à la suprématie commerciale.

Les guerres, Jaurès l’a dit, sont la honte et la condamnation du régime. Les guerres et les crises : les guerres sur le terrain de la politique, les crises sur celui de l’économie. Elles accusent jusqu’au paroxysme l’impuissance de la vieille société à discipliner ses forces productives surexcitées par l’appât du profit, en même temps qu’à assurer aux peuples le bien-être et la liberté dans le travail et dans la paix. Abaissement du niveau d’existence des masses, écroulement des classes moyennes, aggravation des inégalités sociales, exaspération des antagonismes de classes et des concurrences nationales, ces conséquences sont là sous nos yeux. Dernière conséquence : la bourgeoisie, sentant son règne menacé, recourt, pour se sauver, aux méthodes dictatoriales. Avec l’ancien capitalisme libéral s’en va la démocratie ; avec le capitalisme nouveau, à tendances protectionnistes et impérialistes, s’installe le fascisme, foulant aux pieds le suffrage universel et livrant le pouvoir à des bandits armés.

Guerres, crises, fascismes ne font qu’attester l’agonie convulsive de la société capitaliste et la nécessité du communisme libérateur.


Qu’est-ce que le Communisme ? — C’est la « mise en commun », la reprise par la société, la « socialisation » des moyens de production et d’échange : sol et sous-sol, matières premières, usines, banques, moyens de transport. C’est la production capitaliste, par et pour les particuliers, transformée en production sociale, par et pour la société : celle-là ne travaillait qu’en vue du marché, c’est-à-dire de la seule consommation solvable, détentrice de moyens de paiement ; celle-ci travaillera pour satisfaire des besoins ; celle-là n’avait pour fin