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SOC
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C’est à cause de ces caractéristiques bien tranchées que « l’humanité nouvelle » n’a aucun point de ressemblance, ne peut avoir aucun point de rencontre avec « la vieille humanité », la nôtre. Elle sera polydynamique, polymorphique, multilatérale.

Quand on demande comment, dans « l’humanité future », telle que la veulent les individualistes, l’on solutionnera exactement tel point litigieux, il est clair que le questionné n’en sait rien. Mais ce que l’on peut répondre avec certitude c’est qu’il ne sera jamais résolu par la méthode autoritaire, qu’on n’aura jamais recours à la violence, à la contrainte, à la force, pour régler le différend.


Bon nombre d’individualistes pensent que l’avènement de « l’humanité future », telle que nous l’avons ébauchée, dépend d’une attaque, d’une propagande sérieuse, rationnelle et suivie, contre l’emploi de l’argument d’autorité dans toutes les sphères de l’activité humaine, que ce soit en économie politique ou sociale, dans les mœurs, en art, en science, en littérature. Voici quelques-uns des points d’où, arguant du fait d’être né, d’avoir été jeté dans la société organisée sans qu’il ait été donné à l’unité humaine d’y consentir ou de s’y refuser, sans qu’il lui ait été possible de s’en défendre ou de s’y opposer, ils déduisent que ce fait primordial confère à celui qui en est victime le droit à la vie, sans restrictions ni réserves.

C’est-à-dire le droit à la consommation indépendamment de toute politique économique ; au choix individuel de la façon de produire et du moyen de production ; au choix du mode d’échange de sa production ; au choix des consommateurs qu’il veut faire bénéficier de ses échanges ; à la faculté de s’associer ou non et, s’il refuse de s’associer, au droit au moyen de production lui permettant de consommer suffisamment pour s’entretenir, tout isolé qu’il demeure ; au choix de ses associés et au choix des buts d’association.

C’est-à-dire, le droit à la faculté de se comporter comme il le trouve le plus avantageux, à ses risques et périls, sans autre limite que l’empiètement sur le comportement d’autrui (autrement dit : l’emploi de la violence ou de la contrainte ou de la coercition à l’égard de qui se comporte autrement que vous).

Le droit à la garantie qu’il ne sera pas forcé de faire ce qu’il considère comme lui étant personnellement désagréable ou désavantageux, ni empêché de faire ce qu’il envisage comme lui étant personnellement agréable ou profitable à charge de revanche à l’égard d’autrui ; et, dès lors, que, pour conquérir ce qui lui paraît utile, avantageux ou agréable, il n’aura recours ni à la force physique, ni au dol, ni à la fraude ; le droit qu’il lui sera loisible de circuler partout, de se déplacer dans toutes les directions, de répandre à titre isolé ou collectif les doctrines, les opinions, les propositions, les thèses qu’il se sent poussées à propager, sous réserve de ne point se servir de la violence sous n’importe quelle forme pour en réaliser la pratique ; le droit à l’expérimentation dans tous les domaines et sous toutes les formes, à la publicité des expériences, au recrutement des associés que leur réalisation rend nécessaire, à condition que n’y participent que ceux qui le veulent bien et que puissent cesser d’y prendre part ceux qui ne le veulent plus ; le droit à la consommation et au moyen de production, alors même que l’individu se refuserait à participer au fonctionnement de tout système ou à la mise en pratique de toute méthode ou de toute institution qui lui semblerait désavantageuse, personnellement ou pluralement parlant.

Le droit à la vie, c’est-à-dire le droit de faire son bonheur soi-même comme il se sent poussé à le faire, seul ou en s’associant avec plusieurs de ses semblables vers qui il se sent plus particulièrement attiré, sans

qu’il ait à redouter l’intervention ou l’immixtion de personnalités ou d’organisations extérieuses à son ego ou à l’association dont il fait momentanément partie.

Les individualistes dont il s’agit estiment que la garantie du droit à la vie, envisagée de cette façon, est le minimum de ce que peut revendiquer l’unité humaine lorsqu’elle a compris quel acte d’autorité et d’arbitraire on commet à son égard en l’engendrant. Ils estiment de même que toute propagande faite en faveur de ces revendications favorise l’avènement de la mentalité transformée, fonction de toute humanité nouvelle.

La lutte pour l’abolition du monopole de l’État ou de toute autre forme exécutive le remplaçant, c’est-à-dire contre son intervention à titre centralisateur, administrateur, régulateur, modérateur, organisateur ou autre dans les rapports entre les individus, dans n’importe quelle sphère que ce soit, peut également favoriser, estiment ces individualistes, l’éclosion de la mentalité en question.


Peut-on voir dans le bolchevisme, c’est-à-dire dans la mise en pratique de la doctrine socialiste, telle que l’a accomplie la fraction socialiste qui, en Russie, s’est emparée, par voie révolutionnaire, de l’administration des choses, peut-on voir dans le bolchevisme une annonciation de « l’humanité nouvelle » ? La question est intéressante à solutionner, puisqu’il s’est rencontré des individualistes pour faire montre de sympathie à l’égard du gouvernement qui préside actuellement aux destinées de l’Europe Orientale.

Les faits sont là. Suspension et suppression continues de la liberté de la presse et de la liberté de réunion, poursuites et procès pour délits d’opinion, discipline civile et militaire, réquisitions individuelles et collectives, tribunaux d’exception et condamnations extraordinaires, emprisonnements, déportations, expulsions politiques, demandes d’extradition, organisation policière, répressions sanglantes… force est de reconnaître que le gouvernement de Moscou n’a fait que continuer la tradition des gouvernements qui se sont succédé depuis qu’il existe des gouvernements. Il n’a rien innové.

On peut justifier l’indispensabilité des mesures exceptionnelles par la crainte d’un retour offensif de la réaction, ou barrer la route à l’opportunisme d’une république bourgeoise.

Mais il y a loin de là à la qualification de contre-révolutionnaires que le gouvernement de la république fédérative des Soviets décerne avec tant de générosité à ses critiques.

Terrorisme blanc ou terrorisme rouge, c’est toujours du terrorisme. Dictature du clergé, dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat, c’est toujours de la dictature.

Dictature d’une élite ? Qu’est-ce que l’élite du prolétariat ? Qu’est-ce que l’élite de la bourgeoisie ? Est-ce ce petit nombre de personnes que la culture ou la perfection « morale » distinguent du reste de la classe ou de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent ? Est-ce ce petit nombre de privilégiés auxquels les circonstances ou l’adresse ont permis de se placer à la tête de leur milieu ? Est-ce la réunion des plus éminents d’un groupe ou la troupe coalisée des arrivistes et des faiseurs d’un clan politique ? Leur situation exceptionnelle est-elle acquise grâce à leur valeur personnelle, à leur énergie ou seulement à la faveur de leur éloquence ou encore de leur brutalité ? Il est si difficile parfois de distinguer entre l’ardeur qui émane d’une conviction sincère et le fanatisme que laisse percer le désir d’exercer la domination, ou de faire ses affaires à soi en prétendant faire celles d’autrui et de la collectivité ! L’individualiste se méfie des élites qui se donnent la mission d’élever les masses à un degré supérieur de culture ou de bien-être. Son ins-