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niques que variées. Ces bohémiens étaient partis de l’Inde où ils avaient existé dès la plus lointaine antiquité. Ils étaient les colporteurs du merveilleux, jongleurs, musiciens, danseurs, acrobates, charmeurs et dresseurs d’animaux, sorciers, thaumaturges, diseurs de bonne aventure, guérisseurs, etc… Leurs traditions, transmises en Chaldée, en Égypte, dans tout l’Orient, étaient passées en Grèce, puis à Rome où ils avaient été les circulatores auxquels s’étaient mêlés les prêtres mendiants. En France, ils furent les premiers comédiens, les chanteurs des temps carolingiens d’où sortirent les écoles de ménestrandies, des trouvères et des troubadours. Quand le théâtre se fut formé, ils demeurèrent l’attraction des foires.


Les Bohémiens proprement dits, originaires de la Bohème, appelés de nos jours romanichels et qui continuent les traditions les plus périmées de la sorcellerie populaire, se répandirent en Occident dans le premier tiers du XVe siècle. Ils vinrent à Paris pour la première fois en 1427, et la population, fort curieuse de les voir, se porta en foule à La Chapelle où, disait la chronique du Bourgeois de Paris, « par entreject d’habileté, ils faisaient vider les bourses aux gens et les mettaient en leurs bourses. » Il en demeura un grand nombre dans la ville où ils ajoutèrent leur pittoresque à celui de la Cour des Miracles. Ils attiraient les curieux, surtout par les danses de leurs femmes et, sous Louis XIII, ce fut une des formes du snobisme des gens de cour d’aller voir danser, sur les places publiques, les bohémiennes dont Gombaud disait :

« C’est la belle vagabonde
Qui n’est ni blanche, ni blonde,
Qui nous va tous consumer,
Qui ne vit que de rapine,
Qui n’use pour nous charmer
Que du fard de Proserpine. »

Victor Hugo a fait de la bohémienne Esméralda, dans Notre Dame de Paris, une de ses plus intéressantes héroïnes.

Le centre permanent des attractions foraines à Paris fut, au XVII- siècle et XVIIIe siècle, sur le Pont-Neuf. Mais elles se répandirent partout dans les foires, notamment à Paris dans celles de Saint-Germain et de Saint-Laurent puis, à partir de 1764, celle de Saint-Ovide. Les spectacles forains étaient alors plus variés et plus brillants qu’aujourd’hui. Ils réunissaient le cirque à peu près tel qu’on l’entend actuellement, et le théâtre qui devait en sortir pour aller vers de plus hautes destinées. Le cirque y trouva ses écuyers, ses gymnasiarques, ses acrobates, ses clowns, ses prestidigitateurs, ses animaux savants. Le théâtre y puisa une extraordinaire variété dans les différents genres dramatiques et y fut représenté par des acteurs remarquables. Ces spectacles comportaient aussi des exercices dits athlétiques, la lutte en particulier, qui font partie, aujourd’hui, des exhibitions sportives. Tout cela était dominé par la parade faite à grand bruit sur le devant de la baraque par toute la troupe étincelante sous ses oripeaux et la lumière de ses lampes fumineuses. Cette parade était l’amusement gratuit de ceux qui ne pouvaient se payer le spectacle de l’intérieur. Il y avait aussi, pour l’ébahissement des badauds et la fortune des coupeurs de bourses qui exploraient leurs poches pendant qu’ils avaient le nez en l’air, les charlatans vendeurs de drogues miraculeuses qui menaient grand tapage de boniments et de grosse caisse et dont les magnifiques équipages attiraient particulièrement le public. Ils étaient à la fois médecins, apothicaires, arracheurs de dents et amuseurs. Ces guérisseurs, dignes des farces de Molière, ont disparu aujourd’hui, remplacés par les chimistes qui fabriquent, dans des officines,

sous les auspices de tous les saints du paradis, des pilules et des emplâtres dont ils font attester la merveille dans les journaux. Les charlatans de jadis avaient au moins l’avantage sur ceux d’aujourd’hui d’amuser les gens qu’ils ne guérissaient pas. Un autre spectacle de la foire était celui des ménageries, dont nous parlerons plus loin.

Les attractions foraines, de plus en plus dépouillées de leur intérêt spectaculeux, se meurent dans leur pauvreté primitive avec leur matériel usé, leurs phénomènes préhistoriques et efflanqués. Aussi, leur clientèle se fait-elle de plus en plus rare. Elles persistent inutilement, sans gloire et sans profit, à exhiber en images les pauvres séductions d’une Cythère qui cavalcadait vers 1830, à montrer des avaleurs de sabres, des briseurs de chaînes, des hommes sauvages mangeurs de verre pilé et buveurs de pétrole enflammé, des fakirs s’enfonçant des clous dans la tête, des femmes torpille, des veaux à deux têtes et des pieuvres géantes ; tout cela a perdu son dernier attrait depuis que le cinéma et les sports ont conquis les populations les plus éloignées de la civilisation. Bientôt, le dernier Peau Rouge n’aura plus d’autre ressource que de dévorer le dernier mouton à cinq pattes, et la dernière femme à barbe que de se faire « star » de cinéma.


Le cirque. — Le sens de ce mot était plus étendu dans l’antiquité qu’aujourd’hui, surtout chez les Romains où le cirque l’emportait sur le théâtre. Chez les Grecs, il était le stade et l’hippodrome où se célébraient les jeux, particulièrement à Olympie, d’où le nom des jeux olympiques.

Chez les Romains, le cirque fut à la fois le circus, cirque proprement dit, et l’amphithéâtre. On a distingué entre le cirque, construction réservée aux courses de chevaux et de chars avec sa spina qui divisait la piste en deux parties, et l’amphithéâtre dont l’arène était spécialement aménagée pour les jeux particuliers aux Romains et qui étaient surtout le spectacle des combats de gladiateurs et d’animaux, les chasses et les exploits des bestiaires, les naumachies (simulacres de batailles navales), etc… Mais les spectacles de l’un et de l’autre se confondaient sous la dénomination générale de circenses (jeux du cirque). Jusqu’à la conquête romaine, la Grèce ne connut pas l’amphithéâtre et ses spectacles sanglants. C’est un roi de Syrie, nommé Épiphan, qui fit venir de Rome les premiers gladiateurs qu’on vit en Grèce. Adrien chercha vainement à acclimater à Athènes leurs combats. Par contre, ils jouissaient, à Rome, d’une faveur inimaginable et ils y furent la manifestation la plus caractéristique de cette grossièreté et de cette cruauté que Sénèque reprocha si souvent aux Romains à qui il disait : « Circi nobis magno consensu vitia commendant. » (Les cirques sont unanimes à nous recommander les crimes.)

Cette faveur se manifesta surtout durant la décadence impériale, époque où la démagogie des tyrans appuyait son pouvoir sur une populace déchue de tout ce qui avait fait les qualités du peuple romain. La formule panem et circenses, donne la mesure de la moralité de ces spectacles qui eurent vite fait de reléguer dans les gymnases les jeux olympiques harmonieusement composés de force, d’adresse, d’intelligence et de beauté, tels que les avaient conçus et que les pratiquaient les Athéniens. Des mœurs romaines, ils n’offraient que la vue d’une pompeuse et sauvage barbarie à laquelle présidaient des fous mégalomanes, prétoriens et dictateurs. Rome avait, à elle seule, une douzaine de cirques ou d’amphithéâtres.

Les spectacles étaient d’abord les courses de chars où, le plus souvent, hommes et chevaux s’écrasaient dans une mêlée sanglante. L’engouement était tel pour cette hippomanie, comme l’appelait Lucien en la rail-