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longue (dolique), la course en armes et la course aux flambeaux (lampadédromies). Dans le pugilat, les adversaires se portaient de terribles coups avec leurs poings garnis de plomb. Le pancrace qui combinait la lutte et la boxe était plus sauvage encore puisque tous les moyens étaient permis pour terrasser l’adversaire. Les fêtes se continuaient à l’hippodrome par des courses de chevaux et de chars, parfois par des chasses, des combats d’animaux féroces, des naumachies ; elles se terminaient au stade par le pentathle (saut, lancement du disque, du javelot, course et lutte) et par la course en armes (bouclier et casque). La course était un exercice très en honneur ; on organisa partout des courses de jeunes gens, mais il y eut aussi des courses de jeunes filles à Cyrène et à Sparte. Des coureurs, en se relayant, remplirent l’office de courriers, et l’on connaît l’exploit de celui qui expira après avoir annoncé à Athènes la victoire de Marathon. Aux Jeux Olympiques, le vainqueur recevait simplement une couronne d’olivier sauvage et c’était un honneur très grand pour lui d’avoir triomphé. Mais à la fin du Vème siècle, les jeux se commercialisèrent : le métier nourrit son homme. On vit Pindare chanter les exploits du stade. Le vainqueur obtint de nombreux privilèges dont les plus substantiels furent les exemptions d’impôts et la nourriture au prytanée. Il reçut en récompense des sommes d’argent, des couronnes, des objets précieux et des statues (Discobole, Diadumène, Apoxyomène, etc…) À Rome, les athlètes apparurent un siècle avant notre ère. Plus tard, les jeux dégénérèrent en luttes de factions, le peuple prenant parti pour l’une ou pour l’autre de ces factions reconnaissables suivant la couleur des casaques des cochers, Mais ce n’était plus de la gymnastique, ni de l’éducation physique, c’était presque le… sport dans ce qu’il a de plus mauvais. On vit ainsi, à Byzance, tout le peuple divisé en bleus et en verts. Chaque corporation avait ses chefs élus (démarques) avec ses milices. Leur rivalité déborda l’enceinte du cirque, envahit la ville et s’étendit à tout l’empire. La vie publique fut profondément troublée par ces luttes aux VI- siècle et VIIe siècle.

Avec le christianisme, le corps humain devint l’enveloppe méprisable. Il disparut sous les draperies. « … On vit alors se déchaîner cette rage bien connue des fanatiques contre la chair, considérée comme le principal obstacle à toute impulsion intellectuelle et morale. La terre devint une vallée de larmes ; la nature fut l’objet de la malédiction divine, le corps parut méprisable, et l’on s’ingénia à l’outrager et le martyriser. L’apôtre Paul, le vrai fondateur de la nouvelle religion avait dit : « Ceux que le Christ a conquis, ont crucifié leur chair avec leurs passions et leurs désirs. »

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« Au Moyen Âge, durant cette époque grossière d’arbitraire féodal et de fanatisme théocratique, de soi-disant serviteurs de Dieu avaient poussé les choses à ce point qu’on en vint à mépriser la matière et que des hommes clouèrent au pilori leur propre corps, ce noble ouvrage de la nature. Les uns se crucifiaient, d’autres se torturaient ; des troupes de flagellants parcouraient le pays en tous sens, exposant aux regards leurs corps qu’ils avaient eux-mêmes lacérés ; on cherchait à détruire la force et la santé par les moyens les plus raffinés, afin de laisser à l’esprit, indépendant de la matière et surnaturel, la prépondérance sur son misérable substratum. » (Louis Büchner, Force et Matière, Ch. V.)

Le Moyen Âge fut une époque de crasse intellectuelle et physique. Nous sortons à peine de cette époque à ce sujet. Si quelque actrice, pour exciter le bourgeois, peut s’exhiber aujourd’hui toute nue sur la scène, les nudistes intégraux sont obligés de rechercher des endroits isolés pour livrer leur corps à la caresse bienfaisante de l’air et du soleil. Il n’y a pas encore si longtemps, dans les peintures et les sculptures, la feuille de vigne

émasculait l’individu. La race des cuistres qui insultaient ainsi à la beauté humaine n’est point disparue ; l’attentat à la pudeur est toujours inscrit dans l’arsenal de nos lois. Cependant, la réprobation qui frappait le corps d’anathème s’est estompée au fur et à mesure que s’écroulaient les dogmes. Mais aussi une réaction suscitée par le capitalisme dans un but de défense (abrutissement des esprits et préparation à la guerre) a poussé les foules à pratiquer ou à admirer le sport tel que nous le connaissons aujourd’hui. Actuellement, nous pouvons classer les individus en trois catégories :

1° Les pratiquants du sport rationnel ;

2° Les professionnels du sport ;

3° Les foules passionnées pour les exploits athlétiques accomplis par les professionnels.

Les pratiquants du sport rationnel, relativement peu nombreux, sont gens de saine raison qui, d’une façon souvent discrète, s’exercent à vivre harmonieusement. Amoureux d’hygiène, d’air pur, de soleil ; amis des divertissements profitables à leur santé, ils cherchent avant tout à atteindre ce sommet où ils peuvent se considérer comme des « êtres complets » et ils tâchent de s’y maintenir. Ce sont, souvent, des contempteurs de notre infecte « civilisation » qui a créé ces monstruosités : les villes modernes avec leurs bagnes d’usines et de bureaux, avec leurs taudis, foyers de misère et de tuberculose. Aux moments de loisirs, ils fuient la ville qui tue, pour la campagne, pour la mer, pour la montagne, qui vivifient. Et là, sans désir d’exhibition malsaine, tout naturellement comme font les bêtes dites sauvages livrées à elles-mêmes dans la nature, ils s’ébattent pour le plus grand plaisir de leurs sens, pour le plus grand profit de leurs muscles. C’est comme s’ils remontaient le cours des siècles… Et, se débarrassant de toutes les entraves imposées par le milieu « civilisé » (faux-col, chaussures, chemise même) ils redeviennent l’animal primitif qui court, saute, grimpe, joue, nage librement comme aux époques où la « morale » n’existait pas ! Le mouvement nudiste est une des plus belles résurrections des époques antiques où les hommes étaient fiers de la beauté de leurs formes. Mais dans le canotage, dans la pêche, dans la chasse, et aussi dans les sports d’application comme le hockey, le tennis, le basket-ball, quelle belle gymnastique des muscles pour la coordination des mouvements, quel développement des réflexes mentaux qui accoutument à prendre de rapides décisions, quel profit pour le corps et pour l’esprit ! Ici, le sport est ce qu’il y a de plus pur, de plus socialement désintéressé, de plus profitable individuellement. Le sport est la vie intense et belle.

Avec les professionnels du sport, nous passons dans le mercantilisme du siècle. Avec les passionnés — physiquement inertes — qui se repaissent des gestes de ces professionnels, nous touchons à la question sociale. Mais ici, il faut prendre la chose de plus loin. L’homme garde en lui-même un vieux fonds d’ancestrale brutalité. Lorsqu’il n’a pas été longuement habitué à réfléchir, à raisonner, à faire la critique scientifique des faits dont il est témoin, il s’abandonne à ses impulsions premières, et l’on aperçoit très vite alors, sous le léger vernis des convenances, l’être primitif avide de sensations violentes, de spectacles où la force domine, et même où le sang coule. Le panem et circenses n’est pas seulement la formule de mépris de Juvénal pour les Romains de la décadence, il exprime le besoin profond des hommes encore voisins de l’animalité. Il faut des tempéraments artistes pour goûter pleinement les plaisirs de l’esprit. Aujourd’hui, comme autrefois, Aristophane, Molière, Hugo, ont moins d’admirateurs que tel boxeur réputé ; et le nom du savant qui aura fait de merveilleuses découvertes restera ignoré des foules tandis que la biographie d’un quelconque saltimbanque des sports sera connue des bambins de l’école ! Or, tout