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colie, mais son emploi doit être très surveillé, car la « faim » de l’héroïne est plus impérieuse que celle de la morphine et de l’opium, surtout la sensation de « paradis » disparaissant très rapidement à l’usage.

Les autres succédanés de l’opium n’ont rien d’intéressant au point de vue « stupéfiant ».

Nous allons donc étudier le grand poison à la mode, la « coco », la « neige », qui fait tant de ravages dans un monde spécial de viveurs ou de faibles qui se laissent prendre à ses appâts.

Cocaïne. — Nous savons tous que c’est l’alcaloïde, principe actif, que contiennent les feuilles de l’Érythroxyloncoca. Les Incas, de temps immémorial chiquaient ces feuilles, remède souverain contre la faim, la soif, la fatigue.

La cocaïne fut isolée en 1859 par Niemann. Elle est employée sous la forme de chlorhydrate, sel qui se présente sous la forme de paillettes blanches, brillantes, ce qui lui a acquis très rapidement chez les cocaïnomanes la dénomination de « neige ».

On l’utilisa d’abord en chirurgie, sa propriété anesthésique étant remarquable. Reclus en formula les lois. En art dentaire, et en petite chirurgie, il rendit de grands services grâce à l’absence de toute douleur qu’on obtenait pendant les opérations.

Ce n’est que depuis quelques années qu’on s’aperçut que, prise en inhalation nasale, il se produisait des phénomènes d’euphorie, d’ivresse spéciale, et d’excitation agréable.

Et comme malheureusement, là comme partout, et encore plus que partout, l’habitude naît de la première réalisation, l’intoxication progressive abolit toute volonté de réagir, et la cocaïnomanie est installée.

La cocaïne, plus que tout autre stupéfiant, a gagné un certain public, grâce à sa facilité d’absorption. La « prise » est simple et facile. Pas de solution ou d’ampoule, ni de seringue comme pour la morphine. Pas de mise en scène ni de matériel comme pour la fumerie d’opium. « Point de cachoterie gênante et humiliante : une boîte, une poudre blanche qui n’a pas d’odeur, qui ne tache pas, un geste rapide et discret, bref tous les avantages d’une habitude élégante et de bon ton. » (Dupré et Logre).

Les effets psychologiques de la cocaïne sont variables selon les individus. Ils ne sont pas les mêmes, non plus, selon que le terrain est neuf ou déjà imprégné.

L’initiation se fait, soit par curiosité, soit par l’entraînement d’un camarade, car il est à noter que les toxicomanes cherchent toujours à enrôler le plus possible d’adeptes.

Après la prise de cocaïne, le sujet ressent d’abord une anesthésie complète de la muqueuse nasale ; puis il éprouve sur la face, autour du nez et de la bouche une impression de froid et quelques phénomènes désagréables tels que nausées, défaillances, palpitations, changement de la voix, trismus et prognathisme du maxillaire inférieur. Chez ceux qui sont un peu entraînés, cette phase n’existe pas, et la cocaïne provoque d’emblée son euphorie spéciale : contentement profond, sentiment de force et d’intelligence, oubli des chagrins, qui n’apparaissent plus à la conscience rassérénée, que comme des contingences négligeables. C’est une ivresse forte et joyeuse. Dans son visage épanoui, l’œil vif et humide, troué par une large mydriase offre un éclat singulier, mais combien de temps cela dure-t-il ?

Fugace, ce rêve s’estompe dans un lointain, laissant un désir de recommencement inextinguible. Alors arrive un sentiment pénible de lassitude et de tristesse avec anxiété et énervement. Le malade n’est plus qu’une loque incapable du moindre effort. Et pour échapper à cette dépression angoissante, pénible comme un supplice, il ne voit plus qu’un moyen : recourir à une nouvelle dose de cocaïne. Les prises succèdent aux prises jusqu’à ce que l’on sente physiquement que l’on a son

plein. Ce seuil, après quelques entraînements, peut atteindre facilement deux grammes et chez les grands cocaïnomanes, dix et vingt grammes.

Alors pendant quelques instants, c’est un vrai coma, avec cœur battant la chamade par son arythmie. C’est la période vraiment stupéfiante et tellement redoutée, que beaucoup préfèrent continuer leurs doses jusqu’au jour pour que les occupations de la vie courante les arrachent à leur cauchemar.

En effet, après ce cycle de perte absolue de toute conscience, celle-ci revient peu à peu, et c’est alors l’insomnie avec tout son bagage d’excitation cérébrale. Il y en a pour, à peu près, cinq heures. Après, la vie reprend, et quand le toxique est digéré et en partie éliminé, c’est une impression d’apaisement, avec une vitalité plutôt exacerbée. La faim, même boulimique, revient, car sous l’influence de la cocaïne, il y a presque impossibilité de manger ou de boire. Nulles aussi les fonctions urinaires et génésiques.

Ce n’est que lorsque l’organisme s’est libéré du poison par des mictions copieuses, que ces deux fonctions reprennent leur activité avec même un peu d’exagération.

Nous pouvons donc dire, d’après l’étude de ces phénomènes, qu’il y a une grande différence entre l’intoxication de la cocaïne et celle de l’opium. Dans la cocaïne, la phase d’excitation, toujours consécutive à l’état primitif et essentiel de stupéfaction, est plus développée que dans celle de l’opium. L’opiomane est en général muet, le cocaïnomane parle énormément et avec jugement et facilité.

Mais, en résumé, cocaïne comme opium suppriment les malaises de la fatigue plutôt qu’ils ne donnent de la force.

L’illusion ne se prolonge pas et l’oubli momentané de la fatigue sera compensé par une dépression plus grande du système nerveux, réclamant fatalement une nouvelle dose de poison, et amenant l’accoutumance.

Hachisch. — Nous ne devrions pas, en vérité, parler du hachisch dans cette étude, car, nous l’avons dit au début, quoique considéré comme stupéfiant, ce n’est en réalité qu’un excitant, comme l’alcool et le café.

Extrait du chanvre, (cannibis indica), il est en grand honneur chez les populations arabes, au même titre que l’opium en Chine et Indo-Chine. La préparation la plus connue est le Dawamesk qui renferme en plus de l’extrait gras du chanvre, du sucre, des aromates : musc, cantharide, noix vomique, etc…

Il était très snob de manger le hachisch au temps des romantiques, comme il le fut plus tard pour l’éther, comme il l’est aujourd’hui pour la cocaïne, et de tout temps pour l’opium.

Théophile Gautier, Baudelaire, Moreau de Tours, Charles Richet même, notre grand maître de la physiologie, nous ont laissé des observations extrêmement fouillées sur l’ivresse hachischienne.

L’euphorie du mangeur de hachisch est causée par l’illusion d’une activité débordante. On trouve une grande analogie avec l’alcool dans cette superexcitation. Les impressions qui viennent du dehors déclenchent des actes. Une musique, même banale, provoquera des exubérances de cris, de rires ou de larmes. Nous avons vu tout le contraire chez l’opiomane ou le cocaïnomane, la passivité étant leur état habituel, et le moindre bruit pendant l’état de stupéfaction, devenant une vraie souffrance.

La plus belle observation que nous ayons de l’ivresse hachischienne est celle que Théophile Gautier publia dans un journal (La Presse) et que Moreau de Tours a reproduite dans son livre « Du Hachisch et de l’aliénation mentale ». Nous y renvoyons le lecteur.

Alcool. — C’est franchement un excitant, et l’action stupéfiante n’arrive que comme réaction intense. Alors,