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toujours que le dehors, l’objectif, la matière de ma vie, a moins d’importance que la façon dont je l’accueille : il est peu de circonstances auxquelles je ne puisse donner en moi, si je suis un artiste suffisant, la forme du bonheur. Enfin le premier conseil de toute sagesse me paraît le fameux « Connais-toi toi-même » et la partie intellectuelle de la sagesse n’est qu’une critique de mes pouvoirs et de mes vouloirs.

En métaphysique, ce que j’appelle subjectivisme n’est que le refus de toute autorité pour autrui comme pour moi ou, si l’on préfère, une affirmation de libre-pensée et d’individualisme. Mais, en éthique, aurai-je l’immodestie de croire que mon subjectivisme est un approfondissement de l’individualisme ordinaire ?… — Han Ryner.


SUBORDINATION n. f. (du latin sub, sous, ordo, ordre). Euphémisme destiné à cacher la réalité, le mot subordination est l’équivalent du mot servitude, dans la majorité des cas. Et l’on sait qu’aujourd’hui la servitude est à la mode, même chez nous, où maintes grenouilles radicales et marxistes réclament un pouvoir fort.

Acquisitions tardives de notre espèce, le besoin d’indépendance, le goût de la liberté sont fréquemment tenus en échec par l’instinct servile, hérité de nos aïeux. Pendant d’innombrables siècles, les hommes furent esclaves et de corps et de pensée. Absorbé par le groupe, privé de toute personnalité véritable, l’individu n’a pris que tardivement conscience de sa valeur et de ses droits. Même à notre époque, beaucoup n’arrivent pas à comprendre que la qualité de membre de telle ou telle collectivité, famille ou association, compte bien peu comparée aux mérites intrinsèques et personnels du moi profond. Tout savant ou tout artiste dont la puissance créatrice s’avère exceptionnelle peut, à bon droit, se dire citoyen du monde, et les honneurs qu’on lui accorde ou lui retire ne modifient aucunement ses qualités. Le génie n’a point de patrie, concèdent des penseurs pourtant bien timides. Ce qui est vrai des hommes illustres, l’est aussi des individualités obscures qui, malgré une pression sociale incessante, conservent leur originalité. Un torse splendide garde sa valeur intrinsèque, même s’il est recouvert d’un veston rapiécé, et, pour faire disparaître les tares d’un corps affaibli, il ne suffit pas d’endosser des habits magnifiques ; pareillement, diplômes, titres et décorations n’ajoutent rien aux aptitudes mentales de l’individu ; si éclatants soient-ils, on leur demande vainement de donner de l’esprit aux jeunes aristocrates qui en sont dépourvus. Qu’il habite dans l’Inde, en Autriche ou au Venezuela, qu’on l’honore ou qu’on l’emprisonne, l’homme de bien sème autour de lui espérance et bonheur ; peu lui importe les mœurs, les coutumes et le qu’en-dira-t-on ; de l’opinion des autres il n’a cure, c’est de son propre cœur que jaillissent compassion et générosité. A la nature, non aux accessoires que la collectivité ajoute, chacun doit d’être une personnalité unique, incapable de jamais se reproduire absolument identique. Tant qu’elle ne lèse point les droits légitimes d’autrui, il faut qu’elle puisse développer librement ses virtualités mentales et physiques.

Malheureusement, les chefs, loin de favoriser le goût de l’indépendance, s’appliquent à maintenir celui de la servitude, afin d’asseoir leur domination sur une base indestructible. Église, école, police, administrations diverses, tout le formidable appareil de la machine gouvernementale est orienté dans un sens contraire à celui de la liberté. Aussi l’évolution normale qui conduit à rejeter tradition et conformisme, pour permettre à la personne humaine d’atteindre à son développement complet, se trouve-t-elle entravée fâcheusement. A certaines époques surtout, les partisans d’une autorité tyrannique triomphent avec impudeur. Hélas ! nous vivons une de ces époques-là. La vogue est aux dictatures ; partout l’on prône les gouvernements forts, qui

remplacent la raison par la trique et réduisent le citoyen vulgaire à n’être qu’un numéro. Sous prétexte de restaurer la puissance de l’État, qu’ils estiment amoindrie, partis rétrogrades et partis avancés songent pareillement, mais pour des fins contraires, à priver l’individu du peu d’indépendance que lui concède encore la loi. Et l’idéal qu’on nous propose à grand renfort de réclame, c’est celui de la caserne, du pensionnat ou du couvent. Tous se lèveront au même instant, porteront les mêmes habits, travailleront à des besognes équivalentes un nombre d’heures égal, mangeront au même moment une soupe et un fricot identiques ; couchés à la même heure, ils devront tous dormir ou du moins s’ennuyer au lit jusqu’à telle minute fixée d’avance ; distractions ou promenades n’échapperont pas davantage à une étouffante réglementation. Décrétées par des chefs qui penseront pour le troupeau, ces mesures seront appliquées sous la rude mais juste surveillance de contrôleurs incorruptibles.

Maintes causes expliquent cette poussée vers la servitude à laquelle trop de peuples n’ont pas su résister. Elle provient d’abord de la désastreuse influence exercée par de nombreux journaux. S’élever jusqu’à la dictature fut toujours la suprême hantise des politiciens mégalomanes et des grands ambitieux. En outre Lénine, Mussolini, Hitler ont montré qu’à notre époque les espoirs les plus incroyables étaient permis à l’homme qui exploite adroitement une situation révolutionnaire. Même dans des pays où la démocratie est installée depuis longtemps, ils sont moins rares qu’on ne le suppose, les apprentis dictateurs. Mais très peu l’avouent ; pour mieux piper la confiance des masses, ils se disent habituellement grands amis des prolétaires. Toutefois, ils alimentent, d’une façon occulte, des campagnes de presse pour la restauration d’un pouvoir fort. Un chœur savamment orchestré de journaux, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, proclame que la cause de nos maux réside dans l’affaiblissement du principe d’autorité. Et chaque jour, avec des variantes opportunes dans l’accompagnement, il entonne la même antienne, sous n’importe quel prétexte. C’est la condition imposée par l’invisible chef de jazz aux exécutants qui veulent avoir part aux libéralités des fins de mois. Par tous les moyens, au prix des plus honteux mensonges, il faut persuader au peuple que la situation deviendrait rapidement merveilleuse s’il avait à sa tête un maître omnipotent. Lorsque le candidat dictateur est l’homme lige des manitous de la banque, du commerce et de l’industrie, ses largesses royales engendrent à son égard un enthousiasme qui, finalement, tient du délire. Comme il dispose de ressources illimitées, la foule des gens à vendre se presse à ses guichets ; sans peine il se ménage des complicités, même parmi ceux qui se disent ses adversaires. De simples mégalomanes, Coty le parfumeur par exemple, trouvent des valets de plume assez vils pour chanter leurs louanges sur un mode dithyrambique capable d’égayer tout lecteur qui a conservé son bon sens.

En aidant à la diffusion de doctrines qui ne parlent que d’obéissance et confèrent à qui commande la dignité de demi-dieu, l’Université a contribué, elle aussi, à faire naître le mouvement réactionnaire actuel. Un Durkheim, dont l’influence fut si néfaste, prônait la soumission aux autorités sociales, même si elles détenaient le premier rang par brigue et par corruption. Sous prétexte d’ordre et de discipline, il sacrifiait l’individu à l’État. Avec des théories pareilles, on ne forme pas des hommes, on fabrique des pantins ; mais la tâche devient si facile, et pour les gouvernants et pour les chefs de parti, qu’ils cherchent tous en pratique à inculquer ces idées néfastes dans le cerveau de leurs ressortissants. Après les étudiants de Sorbonne et des Facultés provinciales, les élèves des lycées et des écoles normales, puis ceux de nos plus pauvres écoles primaires