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une même personne dans un même local ; c’est ce qui a été décidé à propos des assassinats de Pranzini.

Toutefois, une loi spéciale, du 20 prairial an IV, a décidé que si plusieurs personnes appelées à se succéder réciproquement sont condamnées à mort et exécutées, le plus jeune est présumé avoir survécu, lorsque le moment exact de leur décès respectif ne peut être fixé. Ce texte, qui est toujours en vigueur, mais dont la jurisprudence n’a jamais eu à faire l’application, établit une présomption légale dans une hypothèse où les événements ayant occasionné le décès n’est pas unique. La loi de prairial diffère encore du Code civil, en ce qu’elle établit une présomption invariable, quel que soit l’âge respectif des défunts.

En ce qui concerne le prolongement de l’existence, au sens propre, après la mort, la survie n’existe pas… ou si peu. L’expérience en fut faite il y a une cinquantaine d’années sur des condamnés à mort à qui, avant la décapitation, on avait demandé d’ouvrir et de fermer régulièrement les paupières après la décollation. Les décapités se livrèrent à cette expérience, ouvrirent et fermèrent leurs paupières deux ou trois fois et ce fut tout. La survie avait à peine duré quelques secondes.

Philosophiquement, la survie existe et se perpétue.

Toutes les religions se perpétuent et continuent à exister grâce à ce moyen. La chrétienté a connu son succès et se continue par la survie de son Christ qu’elle fait succomber et ressusciter si miraculeusement.

Les penseurs et les savants se survivent par les travaux accomplis leur vie durant et qu’ils ont laissés après leur mort, à l’humanité tout entière, et, pour que le nom de la plupart de ceux-ci ne soit pas ignoré par les générations qui se succèdent, on les statufie et on donne leurs noms à des places ou à des voies publiques. C’est de cette façon seule que la survie peut être considérée au figuré.

Il est incontestable que les philosophes et les savants de l’antiquité et les hommes remarquables de tous temps : de Démosthène à Caton, de Phidéas à Pline, de Vercingétorix à Napoléon, d’Ambroise Paré à Pasteur, etc., se sont survécu par la trace qu’ils ont laissée dans leur existence, sur leur passage dans la vie et dans les souvenirs qu’ils ont imprimés.

Et que la modestie de notre ami Sébastien Faure m’excuse de le citer en exemple : pionnier et vulgarisateur de l’anarchie, il se survivra par l’exemple de son existence apostolique et par le monument impérissable qu’il laissera aux générations futures : L’Encyclopédie Anarchiste. — Pierre Comont.


SUSPECT. Adjectif employé pour qualifier tout ce qui est ou mérite d’être l’objet de quelque soupçon évidemment défavorable : un homme suspect ; un document suspect ; une intervention suspecte. On dit également d’une chose qu’elle est suspecte, lorsqu’on la soupçonne d’être fausse, de ne pas exister, ou encore d’une chose dont les qualités sont plus ou moins douteuses : une boisson suspecte.

Ce vocable fut employé comme substantif une fois dans l’histoire. Il s’agissait de la Loi des suspects, loi que promulgua la Convention, le 17 septembre 1793. En vertu de cette loi, tous les suspects, c’est-à-dire tous ceux qui ne manifestaient pas assez ouvertement, ou avec un enthousiasme jugé suffisant, leur attachement à la Révolution, pouvaient être arrêtés. Les comités révolutionnaires chargés d’arrêter les suspects étaient soumis à un Comité de Sûreté générale à qui ils envoyaient « leurs motifs », ainsi que tous les papiers et documents saisis. Les suspects étaient enfermés dans les prisons nationales et devaient supporter tous les frais de leur détention. Le 9 thermidor, la liberté était rendue à tous les suspects et, abolis, le 4 octobre 1795, la loi ainsi que les divers décrets qui s’y rapportaient.

Les « suspects » n’ont point disparu de notre planète.

Il n’est même pas exagéré de dire que, à la faveur du régime capitaliste dont la grande vertu est de corrompre les individus et d’adultérer les consciences, à la faveur aussi de l’après-guerre qui a rendu les « situations » de plus en plus difficiles, le genre n’a fait que se développer !

Les suspects ? Mais ils sont légion ceux qui véritablement le sont, en tous cas devraient l’être.

Suspect, l’homme d’État (qu’il soit blanc, noir, brun, rouge ou tricolore, peu importe) qui, à toute occasion, proteste solennellement et avec des gestes calculés, de la pureté et de la sincérité de ses intentions qui le portent à tout sacrifier, même son propre bien-être, à la grandeur et à la prospérité du pays dont il a la délicate et noble tâche, l’insigne honneur de diriger les destinées… alors qu’il est tout simplement, ou le pantin dont on tire adroitement les ficelles, ou, le plus souvent, si pas toujours, le valet, d’ailleurs grassement rémunéré, des oligarchies financières ou industrielles qui, en fait, sont les véritables maîtres des États.

Suspect, le prêtre — le prêtre de toutes les Religions — qui, pour justifier sa raison d’être, c’est-à-dire son parasitisme, et perpétuer le maintien des privilèges dont il vit et s’engraisse, va partout clamant, et la légitimité des biens honnêtement acquis (s’abstenant bien de préciser la limite des richesses honnêtes !), et la sainteté de la résignation, ce qui permet à tous les exploiteurs de ne rien restituer de leurs exactions, tout en confirmant les exploités dans cette idée qu’ils feraient œuvre sacrilège en songeant à la reprise des biens dont on les a dépossédés !

Suspect, le franc-maçon, le rationaliste, le libre-penseur, en un mot le citoyen affranchi qui pousse l’inconséquence, l’impudeur, l’inconscience jusqu’à livrer ce qu’il a de plus cher : ses enfants, aux abrutisseurs des religions, soucieux qu’il est, paraît-il, de ne point déplaire à Madame son épouse qui se souvient, en certaines circonstances de sa vie, d’avoir jadis été plus ou moins pratiquante, épouse dont il sait pourtant bien, en d’autres occasions, transgresser les lois !

Suspect, le gouvernement dit prolétarien, qui entretient de cordiales relations avec les États fascistes, mais qui, traîtreusement, abandonne ses « frères en communisme » aux pires violences des tortionnaires hitlériens ou mussoliniens !

Suspect, le politicien — ce caméléon de toujours et de partout — qui, partisan farouche, quoique en principe seulement, d’une transformation sociale, de la destruction de l’ordre établi, de la libération de l’individu, toutes choses qui ne se conçoivent même pas sans le préalable accomplissement d’une révolution totale et profonde, rêve, en même temps, « d’aller porter la lutte de classes… dans les ministères bourgeois » où, — ses emportements factices subitement évanouis — il n’aura cure que de collaborer fraternellement avec les défenseurs du Régime tant exécré… en principe !

Suspects également, et au degré le plus élevé, le catholique libéral, le prêtre moderniste, le démocrate-chrétien, le socialiste-chrétien, le syndicaliste-chrétien, tous vocables jurant d’être accouplés, qui n’expriment que des antinomies, des incompatibilités, tout homme avisé sachant pertinemment que voila bien longtemps que le Christianisme, en général, et l’Église catholique, en particulier, ont impitoyablement condamné Libéralisme, Modernisme, Démocratie, Socialisme, Syndicalisme, qu’ils considèrent comme de « funestes erreurs », des « pestes mortelles » !

Et enfin, suspect le « militant », le « propagandiste » qui apporte, dans « ses fonctions », dans ce qu’il ose appeler « son apostolat », un zèle par trop ardent. Qui ne saurait souffrir qu’une action soit engagée sans lui, qui est de tous les groupements, de toutes les associations et généralement aux postes de commande, qui se dépense sans compter, qui crie très fort et estime