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l’humanité régénérée. » (R. R.). Dans la pensée de Wagner l’ensemble de la Tétralogie devait être un spectacle d’ « après la grande Révolution » ! En faisant comprendre Wagner les symbolistes ont fait comprendre aussi Beethoven, Schuman et Schubert. Par leurs musiciens et leurs œuvres, de Debussy à Stravinski, de l’hiératique Pelléas à la tourbillonnante Pétrouchka, ils ont préparé la compréhension de la pure musique, jaillissement direct de l’âme, de Mozart et de Berlioz.

L’œuvre qu’on peut appeler de vulgarisation supérieure accomplie par le Symbolisme pour la musique fut aussi la sienne pour les autres arts. Le courant symboliste avait fait le succès des grands concerts ; il fit aussi celui des récitations poétiques organisées un peu partout à l’exemple de celles de l’Odéon dont G. Kahn fut le promoteur, et il soutint d’autre part, s’il ne les fit naître, les expositions d’art hors-cadres officiels comme celle des Indépendants, dont on vient de célébrer le cinquantenaire. Il aida à la création de « théâtres d’art », à l’organisation de spectacles de pensée. (Voir Théâtre). Enfin, ses principes philosophiques et sociaux eurent une application militante à l’occasion de l’affaire Dreyfus, dans le mouvement des Universités populaires, dans la compréhension mutuelle de ces « intellectuels » et de ces « manuels » accordés, un moment, pour défendre une vérité et une justice supérieures.

En résumé, nous devons être reconnaissants au Symbolisme et à son école du développement général de la pensée qu’ils ont déterminé beaucoup plus que le Naturalisme, et de leur influence sociale et artistique. S’ils ont trop souvent favorisé les outrances d’un snobisme ridicule et méprisable, ils ont éveillé dans les esprits sérieux et délicats, quelles que fussent leurs origines bourgeoises ou prolétariennes, une préoccupation de recherche intellectuelle, un souci de dignité personnelle, un sentiment de la véritable liberté de l’individu par la conduite de soi-même, et un profond dégoût des formes collectives d’abrutissement. Ils ont semé l’esprit de révolte, ils ont aidé les « hommes de bonne volonté » à sortir des basses-fosses de la sottise générale. S’ils ont constaté avec Ibsen que « l’homme le plus fort est celui qui est le plus seul », et avec Flaubert que « le nombre domine l’esprit » et que « la masse est toujours idiote », ils ont reconnu aussi, avec le même Flaubert, que cette masse « si inepte soit-elle, contient des germes d’une fécondité incalculable », et ils ont cherché à faire produire ces germes. Pour ceux qui les portaient, ils ont dit avec Beethoven : « O homme ! aide-toi toi-même ! » Et avec Tolstoï : « Le salut est en vous ! » Ils n’ont pas fait la Révolution, mais ils ont montré la voie de la seule Révolution qui ne sera pas illusoire, lorsque « l’esprit » ne sera plus dominé par le « nombre », lorsque la masse n’acceptera plus d’être soumise à des dictatures.

C’est dans cette période d’affirmation individualiste révolutionnaire, celle du Symbolisme, que l’anarchisme a été le plus fécond en manifestations diverses. Si cet anarchisme est enlisé aujourd’hui, d’une part dans le marécage du syndicalisme ouvriériste et politicien qui l’a happé, sous prétexte d’action révolutionnaire, pour le vider de ses consciences et de ses énergies, d’autre part dans un individualisme étroit et sordide dont le non conformisme ne vaut pas mieux que le conformisme bourgeois : il a gardé encore quelques belles attitudes du temps où Tailhade proférait :

« O Anarchie, porteuse de flambeaux !
Chasse la nuit ! Écrase la vermine !
Et dresse au ciel, fût-ce avec nos tombeaux,
La claire Tour qui sur les flots domine. »

Les flambeaux ne sont pas tous éteints. Sur les tombeaux des Sacco, des Vanzetti et de mille autres martyrs, sur ceux de nos frères d’Italie, d’Espagne, d’Alle-

magne et du monde entier, tués dans les insurrections de la Liberté, sur les prisons de tous les pays où, plus que jamais, les objecteurs de conscience multiplient ce « grain de blé » du refus d’obéissance au crime de la guerre que des Goutaudier semèrent il y a trente-cinq ans : toujours, la claire Tour domine, celle qui dresse la volonté des hommes vers la Justice, vers la Liberté, vers la Fraternité universelle. — Édouard Rothen.


SYMBOLISME (fétichisme ou fantaisisme) SEXUEL. — SYMBOLISME SEXUEL — La fin du siècle dernier et le début du XXe siècle ont vu se transformer la mentalité des savants et celle du public éclairé en ce qui concerne ce qu’on appelle « les anomalies sexuelles ». Jadis accusés d’être des possédés, des suppôts de l’enfer, les « anormaux sexuels » ont vu des psychiatres, des sexologues, des spécialistes éminents s’intéresser à leur cas et examiner sans parti pris les causes profondes de leurs anomalies, anormalités ou fantaisies. Mettant à part l’inversion sexuelle (ou homosexualité) et l’onanisme (ou autoérotisme) — voir ces mots à leur ordre respectif —, on désigne sous le nom général de symbolisme ou fétichisme sexuel ou érotique tout objet ou acte destiné à procurer à l’individu l’émotion, l’excitation ou la jouissance sexuelle par des représentations évocatrices et provocatrices de l’instinct érotique.

Les psychiatres divisent le symbolisme ou fétichisme sexuel ou érotique en : normal ou acceptable et anormal ou morbide, selon que l’émotion sexuelle érotique est produite par une personne — et dans ce cas les objets lui appartenant ne sont qu’un accessoire — ou qu’elle est amenée par un objet, la personne ne devenant qu’un accessoire. Cette différenciation ne porte que sur des objets et non sur des actes ; mais lesdits psychiatres sont bien obligés de l’établir, sinon il leur faudrait attribuer, comme le remarque A. Moll, dans son ouvrage sur l’inversion sexuelle, une perversion sexuelle accidentelle ou chronique à presque tous les hommes.

Dans ses études de Psychologie expérimentale, A. Binet explique que l’amour normal apparaît comme le résultat d’un fétichisme compliqué — « polythéiste » — « non pas d’une excitation unique, mais d’une myriade d’excitations, c’est une symphonie. Où commence la pathologie ? — c’est au moment où l’amour d’un détail quelconque devient prépondérant au point d’effacer tous les autres. »

Tout cela ne paraît pas absolument clair. Nous trouvons autour de nous une foule de gens réputés normaux qui préfèrent que leurs partenaires soient blonds plutôt que bruns, maigres plutôt que gras et vice-versa, et à qui il serait impossible d’expliquer pourquoi, et c’est ce trait dominant qui décide de leur choix amoureux ou érotique.

À la vérité, l’on est tous plus ou moins fétichistes. Comme l’a écrit le Dr Émile Laurent (Fétichistes et Érotomanes, 1905) dans la femme aimée, « certains détails ont particulièrement le don de nous plaire : une fine oreille rosée, un pied menu, une taille souple et légère, de longs cheveux noirs, des seins fermes et rebondis, une croupe opulente, des yeux de pervenche, une peau satinée, des dents blanches sous des lèvres purpurines. »

« On aime toujours pour un détail, pour une nuance, écrivait le littérateur belge G. Rodenbach ; c’est un point de repère qu’on se crée dans le désarroi, dans l’infini de l’amour. Les plus grandes passions tiennent à de si petites causes ! Pourquoi aime-t-on ? À cause d’une couleur de cheveux, d’une intonation de la voix, d’un grain de beauté qui trouble et en suggère d’autres, d’une expression des yeux, d’un dessin des mains, d’une certaine palpitation du nez qui frémit comme s’il était toujours devant la mer. » Faut-il conclure de cela que le délicat écrivain que fut Rodenbach était un fétichiste « morbide » ? Nous verrons par la suite que sont légion