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de seulement qu’on me dise, quand un jeune homme ou une jeune fille s’abandonnent à une caresse dangereuse, si la société a fait ce qu’elle a pu pour les en détourner. Ses intentions étaient peut-être bonnes, mais quand il a fallu en venir au fait à préciser, une sotte pudeur l’a retenue et elle a laissé ses enfants sans viatique. »

C’est là qu’est tout le mal : une fausse pudeur qu’il ne faut pas confondre avec la vraie pudeur ni la décence, qualité sociale d’ordre esthétique et défensif, que je me garderai bien d’attaquer. Cette fausse pudeur est encore telle à l’heure présente, qu’il faut quelque courage pour placarder sur les murs d’une ville, l’annonce d’une conférence sur les maladies vénériennes. Le médecin qui s’y expose risque un lambeau de sa réputation. N’est-il point des sujets qu’on ne devrait aborder qu’en rougissant ?…

Laissons la rougeur de la honte au front des exploiteurs de la bêtise humaine à qui nous devons exclusivement l’essor toujours croissant de l’endémie vénérienne. Laissons-la aux Tartufes que la contemplation d’un atome de peau humaine fait frétiller et qui ne sauraient s’instruire sur les dangers de la syphilis sans entrer en rut.

L’Antiquité n’a point connu ce désordre moral qu’on appelle la pudibonderie. A juste titre, les antiques, aussi admirateurs que respectueux de la Nature et de la Beauté, ont parlé et écrit sur les choses de l’Amour, sans songer à mal, parce que, s’il est une fonction dont l’homme doive être le serviteur, c’est celle de la reproduction, chargée d’assurer la perpétuité et la défense de l’espèce. Les organes sexuels n’ont aucune raison sérieuse d’être mis à l’écart des autres organes utiles à l’être vivant. L’Antiquité érigea même un culte pour les organes qui symbolisaient la reproduction. Et si elle a quelque peu dégénéré, si elle s’est livrée à la débauche tout comme nous, ce n’est pas à ce culte que ce malheur a été dû.

La décence sexuelle des Anciens n’a pas eu à résister aux exhibitions pornographiques de notre littérature et de notre imagerie, nées de notre immorale pudibonderie. L’idée d’une telle pourriture ne leur serait pas venue à l’esprit, car les choses de la sexualité ne pouvaient être pour eux l’objet d’une curiosité malsaine.

Je n’hésiterai pas à faire l’hommage de notre luxure contemporaine aux inventeurs maudits des parties dites honteuses, par suite des maladies honteuses, dont l’origine n’est pas ailleurs que dans les pratiques de l’Amour sexuel, pratiques que certaines morales religieuses ont réprouvées.

Le jour où naquit le mythe du Péché originel a vu naître les soi-disant hontes de l’Amour sexuel et la notion scandaleuse de l’impureté. La syphilis sociale était au bout. Car si, dans nos mœurs, l’Amour ne saurait être pratiqué honorablement en dehors de certains rites conventionnels et officiels ; si les inconvénients dérivant de cette pratique ne sauraient être avoués qu’en rougissant ou sans se frapper la poitrine, il devait s’ensuivre qu’il était de bon ton de tenir la jeunesse dans l’ignorance crasse des dangers qui la menacent. Cacher, refouler le malheur dont on a été victime par ignorance voulue, c’est aggraver le mal ; c’est en préparer la multiplication, c’est aboutir en fin de compte à une catastrophe sociale à laquelle il n’est que temps de remédier. Un homme averti en vaut deux ; avertissons donc.


Mais d’abord, établissons que la vérole est bien un grandissime fléau social. Que de gens, même instruits, y voient encore un petit malheur individuel, alors qu’elle nous déborde, particulièrement depuis la guerre, dont une des principales insanités a été d’aggraver la plupart des endémies, morales autant que physiques. Nous buvons comme des pourceaux depuis la guerre ; nous fumons comme des locomotives depuis la guerre, his-

toire d’enrichir le capital ; mais la guerre par elle-même a été pourvoyeuse de syphilitiques autant que de victimes de la sauvagerie humaine. Le directeur du service de santé de l’armée du Rhin écrit : « Du fait de la guerre, les maladies vénériennes se sont terriblement multipliées. Le danger qui menace notre jeunesse est plus grand qu’autrefois. Le seul moyen de lutter est d’instruire les jeunes gens. »

En 1922, le Dr Helme, un publiciste averti, écrivait : « Les ravages de l’avarie sont tels, qu’elle coûte chaque année au pays des centaines de millions. Maladie du cerveau et de la moelle, tabées, paralysie générale, fausses couches, enfants mal venus, enfants morts nés, demi-fous, stérilité des ménages : on ne se doute pas des maux qu’entraîne la redoutable infection. »

En 1914, le Dr Terraza écrivait : « La syphilis frappe aujourd’hui un cinquième de notre population et elle tue dans d’effrayantes proportions ceux qui en sont atteints. Comme un héritage, la syphilis se transmet à l’enfant ; elle décime notre race dès le berceau. C’est elle qui est la grande pourvoyeuse de petits dégénérés. »

D’après le Dr Leredde, spécialiste réputé, la syphilis tue chaque année, en France, 40.000 enfants avant leur naissance et 40.000 autres entre un jour et 5 ans.

Le Dr Mourier, directeur de l’Assistance publique, a constaté qu’en dix ans la syphilis nous a coûté un million cinq cent mille vies humaines, autant que la guerre ! Syphilis et guerre, deux abattoirs humains.

La mortalité annuelle par les maladies infectieuses dessine une courbe au sommet de laquelle trône l’avarie avec 140.000 morts, et autant par tuberculose (seul le joyeux alcool rivalise avec elle) ; puis, très loin, par derrière, on trouve la diphtérie avec 2.500 morts, la typhoïde avec 2.100 morts, la coqueluche avec 1.500 morts, la rougeole avec 1.300 morts, la scarlatine avec 600 morts. On ne meurt pas, on se tue. Si les animaux savaient parler, comme ils nous diraient qu’ils sont plus sages que l’homme !

J’indiquerai, maintenant, deux causes essentielles des dangers de la syphilis : 1° son épouvantable contagiosité ; 2° son hypocrisie.

La syphilis est presque tout de suite une maladie chronique aux manifestations les plus variées, les plus inattendues et dont le plus grand nombre, à l’âge de la plus entreprenante virilité, sont porteuses des germes de la contagion. Le syphilitique traîne sa hideuse maladie contagieuse pendant de longs mois, de longues années, sans qu’apparemment sa santé générale en souffre. C’est un promeneur de microbes dont personne ne se méfie, pas même lui ; il n’abandonne pas ses occupations professionnelles ; les plus intimes font crédit et confiance à la graine qu’il sème à tous les coins. On ne se lasse point de se soigner d’une typhoïde : il faut que, rapidement, on en guérisse ou que l’on en meure. Mais de la vérole, c’est différent. On en mourra peut-être dans 15 ou 20 ans ; mais aujourd’hui le mal est tellement sournois que l’on oublie bien vite les prescriptions du médecin.

Partout la contagion nous guette. Quand, au retour de sa campagne d’Italie, au XVIe siècle, Charles VIII rapporta, comme rançon de sa victoire, la syphilis en France, cachée sous la livrée de ses soldats, ce fut comme une explosion de syphilis collective. On en connut de véritables épidémies. On en constate encore de nos jours quand un revenant du service militaire, où il a appris à tuer, réapparaît au village, porteur de la vérole, syphilise les fillettes, lesquelles syphilisent leur fiancé, leurs parents, leur époux, leurs enfants. Tout cela fait du bel ouvrage, tout comme les gaz asphyxiants.

Mais on a connu des épidémies bien plus stupéfiantes. A Brive, en 1874, on connut cent contaminations,