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renvoyons aux articles où ces sujets sont spécialement traités. – L. Barbedette.


TEMPS (MESURE DU). L’idée de temps et celle de sa mesure, sont intimement liées à celles d’espace et de mouvement. Il est impossible de les séparer les unes des autres. C’est, avec de l’espace que nous représentons le temps. Le mouvement (voir ce mot) y introduit l’idée de division, de distinction. C’est lui qui crée, pour notre esprit, la division de l’espace : la notion de plan, de surface ne naissant que si l’étendue est parcourue par un mouvement de la main et des yeux.

Notre existence est une série de contacts avec le monde ambiant. Chacun de ces contacts – perceptions sensorielles, événements auxquels nous sommes mêlés – s’enregistre dans notre mémoire. Les heures, les jours, les années peuvent être considérés comme autant de casiers où nous classons les sensations résultant de ces contacts successifs avec le monde ambiant. Quand, grâce à la mémoire, ces casiers sont remplis et que nous pouvons en parcourir toute la série sans rencontrer d’intervalles, ils forment le temps. Une suite de points de repère, de procédés abréviatifs nous permettent de localiser les événements dans le temps. Pour localiser dans le temps, nous fixons des points de repère à l’espace. Le moment présent étant le point de départ de toute représentation du temps, nous ne pouvons donc concevoir celui-ci que du point de vue actuel duquel nous nous représentons le passé en arrière et l’avenir en avant. Ce point de vue est toujours quelque événement dans l’espace, une scène se passant dans un milieu matériel et étendu. Notre représentation du temps a donc nécessairement une forme spatiale. En croyant juxtaposer des durées, nous juxtaposons en réalité des images spatiales. Le temps est donc comme une quatrième dimension des choses occupant l’étendue. Comme il y a des lignes, des surfaces que nous ne franchissons qu’avec du mouvement, de même il y a une distance particulière – celle par exemple séparant un objet désiré de ce même objet possédé – qui ne se franchit qu’avec un intermédiaire : celui du temps. Notre vie se trouve ainsi subdivisée en parties où nous intercalons les principales scènes de notre existence. Ce classement et la distribution régulière de nos sensations dans l’espace a créé cette apparence que nous appelons : temps.

Mais ce triage, ce classement, ne nous donne aucune idée, aucune perception nette de la durée. Nous apprécions difficilement d’une manière précise l’égalité entre deux durées. Pour nous fixer il nous faut des instruments de mesures. De quelle unité de mesure allons nous nous servir pour mesurer le temps ? Nous ne saurions la trouver en nous-mêmes car l’appréciation de la durée varie non seulement d’homme à homme, mais dépend de la nature des événements que nous subissons. La douleur, l’anxiété, l’attente, allongent cette appréciation. La joie, le plaisir, l’abrègent comme considérablement : les belles heures passent trop vite à notre gré. Le rêve, qui fait défiler eu quelques minutes une suite d’événements demandant des jours pour s’accomplir, la rend plus inexacte encore.

Il nous faut donc choisir, pour mesurer le temps, une grandeur qui soit en dehors de nous. Cette grandeur, à laquelle nous comparerons les grandeurs de même espèce, sera le résultat d’une mesure. Et, pour obtenir cette mesure, qui se traduira par un nombre, nous la baserons sur l’idée suivante, conséquence du principe de raison suffisante : si on répète, dans des conditions strictement semblable, des phénomènes analogues, leurs durées seront les mêmes. Il existe dans la nature maints phénomènes analogues qui se répètent dans des conditions strictement semblables, tel le passage d’un même astre dans le plan du méridien d’un même lieu qui se produit toujours après un temps iden-

tique. En divisant d’une manière régulière le temps qui s’est écoulé entre deux passages successifs du même astre au méridien d’un même endroit, nous obtiendrons une unité de mesure se prêtant au calcul. Chacune de ces divisions nous fournira une grandeur susceptible d’être comparée à des grandeurs de même espèce et nous donnera une unité de mesure pouvant s’appliquer à toute tentative ultérieure de mesure du temps. Nous allons voir que toujours l’on a procédé, plus ou moins empiriquement, de cette façon, au cours des âges.

Mesurer le temps c’était, jadis, dans les ténèbres d’un immense passé, un besoin primordial. Dans le courant d’une vie brutale, dominée par l’instinct de nutrition, par la lutte contre le climat, les animaux, les choses hostiles, les descendants de l’Homo-Sapiens tournèrent leurs regards vers l’immense voûte étoilée. L’observation du Soleil dans sa course diurne, de la Lune en sa course nocturne, du mouvement apparent des étoiles, autant de points de repère qui permirent aux anciens vivant dans les plaines lumineuses de l’Orient de jeter les bases d’un calendrier primordial.

La succession du jour et de la nuit a fourni la première mesure du temps et, très tôt, le temps compris entre deux levers consécutifs du Soleil, fut pris comme unité. Les 29 jours et demi d’une lunaison devinrent des mois, bientôt divisés en jours et durant une longue période le temps fut ainsi divisé par jours et par mois avant d’être divisé en années. Le jour fut divisé en deux parties, par le milieu du jour qui fut, plus tard, remplacée par le midi. Alors, naquirent les heures, filles de la durée. Le mot heure n’eut pas toujours le sens précis que nous lui attribuons ; il se rapporta primitivement à des phases successives de temps. On distingua d’abord l’aurore, le milieu du jour, le crépuscule. Puis vinrent cinq périodes : l’aurore du milieu de la nuit au lever du soleil ; le temps du sacrifice, jusque vers midi ; la pleine lumière, jusqu’au déclin du soleil ; le lever des astres, jusqu’à l’apparition des étoiles et la récitation des prières, jusqu’à minuit. Ailleurs, on connut six parties de jour valant à peu près deux de nos heures actuelles, et trois parties de nuit. Les Romains eurent des divisions très complexes. Au début de notre ère, ils comptaient 12 heures de jour avec 4 parties de 3 heures qui se retrouvent encore dans les calendriers ecclésiastiques. Ils avaient quatre veilles de nuit, de longueur variable avec les saisons et, correspondant au temps de garde des sentinelles. Les Indous divisèrent le jour en 60 parties. Aujourd’hui, les modernes ont divisé le jour en 24 heures, l’heure en 60 minutes valant chacune 60 secondes qui furent divisés en 60 tierces, lesquelles valent chacune 60 quartes.

Primitivement, les sonneries des cloches réglèrent les étapes du jour et de la nuit, elles annonçaient à la foule, du haut des monuments publics, les heures mesurées aux instruments rudimentaires : astrolabes ou autres tubes de visée. Bientôt, conserver l’heure devint un besoin ; les instruments apparaissent. Ce sont d’abord des vases percés de trous, s’emplissant avec lenteur de l’eau dans laquelle ils flottent, des cierges gradués, des sabliers, des gnomons et autres cadrans solaires, des disques, des anneaux astronomiques, etc., etc… Douze siècles avant notre ère, les Chinois avaient conçu la gnomonique. A Athènes, le premier cadran solaire fut placé vers l’an 434 avant. J.-C. ; à Rome, vers l’an 280 avant l’ère chrétienne. Entre temps, l’usage des clepsydres, originaires des plaines de Chaldée, s’implante ; elles apparaissent en Égypte, où Ctésibius en fait des horloges à eau à rouages capables de marcher un an. Platon les introduisit en Grèce et Scipion Nasica à Rome. Avec César, elles envahissent l’Occident. La plus ancienne horloge de la Gaule est celle de la cathédrale de Lyon, au Ve siècle. Le moyen âge les perfectionna avec art. Aux horloges à eau, succédèrent les horloges à poids, dont l’origine remonte au XIIe siècle.