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plus fameux des thaumaturges hérétiques fut le diacre Pâris qui devait, après sa mort, causer tant de tracas aux pouvoirs publics. Ce pieux personnage n’avait pu être ordonné prêtre, parce qu’il refusait obstinément d’accepter la bulle Unigenitus. Il s’était retiré dans une petite maison du faubourg Saint-Marceau à Paris, et l’austérité de sa vie ainsi que son inépuisable charité lui valurent une réputation de sainteté que le clergé catholique ne parvint pas à ternir. Pâris mourut en 1727 et fut enterré dans le cimetière Saint-Médard. Bientôt l’on apprit que des guérisons s’opéraient sur son tombeau ; une foule de malades et de dévots vinrent implorer le nouveau saint ; et les miracles se multiplièrent d’une façon surprenante. Épouvanté de voir que le ciel se prononçait en faveur des jansénistes, le clergé obtint la fermeture du cimetière Saint-Médard, sous le ministère du cardinal Fleury. Les autorités ecclésiastiques n’admettent, en effet, jamais d’autres prodiges que ceux qui cadrent avec leurs desseins ou peuvent servir leurs intérêts. Les historiens catholiques insistent de préférence sur le caractère extravagant des scènes qui se déroulèrent. Un tremblement convulsif saisissait les assistants les plus impressionnables et gagnait, par contagion, l’ensemble des personnes présentes ; des cris aigus étaient poussés par ceux que visitait l’esprit divin. Mais des guérisons merveilleuses s’opéraient indéniablement. Charcot rapporte le cas de Mlle Coirin, atteinte depuis quinze ans d’un cancer du côté gauche, et qui fut guérie en août 1731. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, démontrant que, malgré ses dires, l’Église catholique n’a point le monopole des prodiges divins.

Aux XIX- siècle et XXe siècle, la source des miracles ne s’est point tarie. Les catholiques continuent d’avoir des thaumaturges et des centres thérapeutiques renommés, mais ils sont dépassés par des hérétiques, par des non-chrétiens et quelquefois, chose horrible à dire ! par de notoires matérialistes. Dieu, ayant sans doute perdu la tête, néglige de plus en plus ses adorateurs et favorise des athées !

En 1846, un berger et une bergère virent la Vierge sur la montagne de La Salette, dans l’Isère. S’il faut en croire un jugement rendu le 25 février 1855 par le tribunal de Grenoble, il s’agirait seulement d’une pieuse supercherie de Mlle de la Merlière, une dévote fanatique. Mais, comme l’autorité épiscopale s’était prononcée dès 1847 en faveur de la réalité de l’apparition et que le pape confirma cette approbation, les catholiques ont continué d’aller en pèlerinage à La Salette ; et de nombreux miracles se sont produits sur cette sainte montagne. En 1858, c’est à Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées, que la Mère de Dieu se montra plusieurs fois à une petite fille inculte et d’esprit arriéré, Bernadette Soubirous. Une source miraculeuse opéra des guérisons qui valurent à Lourdes une renommée extraordinaire, et en firent le principal centre de la thérapeutique sacerdotale. Nulle part on n’a su exploiter la crédulité humaine d’une façon plus savante et plus méthodique. Tout est disposé pour provoquer le délire mystique, pour engendrer une formidable émotion chez les assistants. Des masses vibrantes et suggestionnées chantent, vocifèrent, implorent ; un immense frisson traverse la foule des pèlerins qui s’agenouillent les bras en croix, se prosternent, pleurent, gesticulent comme des déments. De vrais malades quelquefois, souvent des hystériques ou des simulateurs hurlent avec force qu’ils sont guéris. Alors ce sont des cris d’enthousiasme, d’ardentes invocations, des appels passionnés que dirige un prêtre à la voix tonitruante. Aidée par des médecins ignares ou peu consciencieux, la presse dévote transforme ensuite ces faits parfaitement naturels en miracles de premier ordre. Et, dans la caisse des Pères de la Grotte, ces commerçants d’une adresse sans égale, s’entassent, à un rythme accéléré, les pièces et les billets. Pour le

pape et pour les moines, Lourdes est une source inépuisable de revenus. Ni au point de vue des écus, ni au point de vue des miracles, Paray-le-Monial, Pont-main, Pellevoisin, etc., n’obtiennent un rendement comparable. Fatima, au Portugal (où la Vierge se montra en 1917 et annonça la fin de la guerre pour le 13 octobre de la même année : légère erreur comme on le voit !) attire de nombreux malades et possède même un bureau des constatations qui, comme celui de Lourdes, entérine les miracles et les arrange à sa façon. Les apparitions d’Ezquioza, en Espagne, et celles de Beauraing, en Belgique, ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières années ; on ne sait encore à quels résultats pratiques elles aboutiront.

Au XIXe siècle, le catholicisme n’a pas manqué non plus de saints thaumaturges. Le plus célèbre fut le curé d’Ars qui était quotidiennement en rapport avec les habitants des cieux, en particulier avec sainte Philomène qui se montrait souvent à lui et guérissait les malades par son entremise. Pourtant un religieux, le Père Delahaye, démontra plus tard, d’une façon irréfutable, que cette sainte n’a jamais existé ! Quant au démon, il jouait, assure-t-on, mille niches au curé d’Ars, surtout pendant la nuit. Sainte Thérèse de Lisieux, aujourd’hui si populaire, n’opéra aucun miracle durant sa vie ; c’est seulement après sa mort que de pieux charlatans firent, à son sujet, un battage aussi ignoble que fructueux. Un jeune cancre, qui mourut à douze ans, le 24 janvier 1925, et dont la mère fut une grande amie du nonce Ceretti, Guy de Fontgalland, commence, lui aussi, à opérer des prodiges. C’est une savante publicité qui a permis d’obtenir ce résultat, car ceux qui l’ont connu parlent sans bienveillance de sa dissipation en classe et de son indécrottable paresse : ils s’indignent en voyant qu’on veut faire un saint de ce garçonnet ridicule.

Narguant les catholiques, une secte protestante, la Christian Science, opère des miracles bien supérieurs à ceux que les papistes enregistrent à Lourdes. Elle fut fondée à Boston, vers 1880, par Mary Eddy, une femme adroite mais dépourvue de scrupules qui se moqua de ses contemporains avec audace et sang-froid. Thaumaturges et prophètes abondent dans les pays anglo-saxons, où l’on continue de prendre au sérieux les histoires rocambolesques racontées dans la Bible. Parmi les faiseurs de miracles des États-Unis, citons Dowie qui fonda une religion nouvelle vers 1894. Son temple était tapissé de béquilles, de bandages herniaires et d’autres « trophées de la Cure divine » par la seule imposition des mains, il accomplit des guérisons innombrables. La fille d’un banquier fut instantanément guérie d’une déviation de l’épine dorsale, des rachitiques, des incurables de toutes sortes retrouvèrent la santé ; mais il ne put sauver sa propre fille. Ce commerce lui permit du moins d’encaisser des millions de dollars. Schlatter, un autre thaumaturge fameux, fut plus désintéressé ; il disparut brusquement le 13 novembre 1895, avertissant ses admirateurs que son Père Céleste le rappelait à lui. Cancer, phtisie, tumeur, surdité, cécité, paralysie, rien ne résistait à l’influence de son action curative ; pour être guéri, il suffisait de toucher un de ses gants. Aussi apportait-on d’énormes monceaux de gants autour de sa demeure ; Schlatter les touchait pour en faire des agents du miracle. Les mormons, ces prosélytes de la polygamie, prétendent eux aussi que leurs saints accomplissent de fréquents et merveilleux prodiges. On voit combien est encore enfantine la mentalité de certains anglo-saxons.

Spirites, occultistes, théosophes ont leurs guérisseurs ; quelques-uns éclipsent même, et de beaucoup, les faiseurs de miracles approuvés par les autorités ecclésiastiques. Pour ne parler que des disparus, rappelons le souvenir du père Antoine et celui du zouave Jacob. À Jemmapes-sur-Meuse, où habitait le père Antoine, se