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briser toute tentative de retour offensif à laquelle, ne disposant plus des mêmes avantages, les contre-révolutionnaires se livreraient.

Les Anarchistes seront là pour s’opposer à la résurrection et même à la survivance, sous quelque forme que ce soit, des « Autorités que la Révolution aura anéanties ». Ils élèveront une digue infranchissable aux agissements intéressés des aspirants dictateurs. Sans perdre un jour, ils s’attelleront au travail de reconstruction nécessaire ; ils appelleront les travailleurs des champs et des villes à la constitution immédiate de leur organisation communale, régionale, nationale et internationale ; ils s’appuieront sur les syndicats pour assurer la production, sur les coopératives pour assurer la répartition entre tous des produits obtenus par l’effort de tous. Et la population tout entière étant appelée, dans ces conditions, à bénéficier des conquêtes de la Révolution, s’attachera tout de suite et si ardemment à la défense de ces conquêtes dont elle aura perçu d’une façon pratique et tangible les incomparables bienfaits, qu’elle saura sauvegarder ces conquêtes et, promptement, les mettre définitivement à l’abri de toute agression.

« Faisons nos affaires nous-mêmes ; ne confions à personne le soin de les faire pour nous », tel sera le mot d’ordre que les Anarchistes propageront et, donnant l’exemple, ils entraîneront avec eux les masses et couperont court à tout essai de gouvernement provisoire ou d’État prolétarien à qui incomberait la tâche d’assurer, en période transitoire, la défense des conquêtes révolutionnaires et l’édification de la nouvelle société.


Quatrième et dernière observation. — Tout est soumis aux lois inflexibles de l’évolution : les régimes et les civilisations, comme les organismes vivants. Ceux-ci traversent trois phases : la naissance, le développement et la disparition, ou, si l’on préfère : la jeunesse, la maturité et la vieillesse. Quand un organisme vivant atteint le seuil de la vieillesse, il entre dans cette phase qu’on peut qualifier de période transitoire, puisque c’est au cours de celle-ci que, devenu vieux, l’organisme s’achemine, plus ou moins lentement mais d’une façon certaine, vers sa disparition-transformation.

La civilisation actuelle, c’est-à-dire le régime capitaliste et l’État qui a pour fonction de le protéger, de le maintenir (car, sans le Gendarme qui le défend, le Capitalisme serait sans force), la Civilisation actuelle, dis-je, a atteint son apogée ; on peut même affirmer qu’elle l’a dépassée ; elle est entrée dans le stade de la vieillesse, du déclin, de la décrépitude qui précède la mort et, par une pente fatale, l’y conduit inéluctablement.

Ce stade, c’est celui durant lequel, le Capitalisme et l’État (deux associés, deux complices) perdent, de jour en jour, la puissance et l’énergie acquises pendant la jeunesse et conservées durant la maturité. Cette période est ouverte ; c’est la véritable période transitoire. Nous y sommes en plein. Combien de temps durera celle-ci ? Seul, l’avenir peut nous le dire. Mais nous avons la certitude que le milieu social engendré par l’État et le Capital porte au flanc, dès aujourd’hui, une blessure qui ne se fermera plus. Cette blessure est mortelle. Médecins et chirurgiens pourront prolonger plus ou moins l’existence du régime vieilli et infecté, mais celui-ci est incurable et lorsque la Révolution enfoncera le fer dans la plaie, le Capitalisme et l’État succomberont. La véritable révolution marquera la fin de la période transitoire et non le moment ou celle-ci s’ouvrira. — Sébastien Faure.


TRAVAIL n. m. On nous vante sur tous les tons la nécessité du travail. Nul ne doit s’y soustraire. On va même jusqu’à dire : « Le travail, c’est la liberté. » Ceci est vrai en théorie, mais en pratique, c’est bien

différent. Le travail est une exploitation de l’homme par l’homme. L’ouvrier n’est qu’un manœuvre, au lieu d’être un créateur. Le capitalisme en a fait une machine dont il se sert pour satisfaire des fantaisies. La ploutocratie des grands trusts voit dans l’ouvrier le rendement seul. L’exploité est une éponge que l’exploiteur presse jusqu’à la dernière goutte. Il faut qu’il meure à la tâche. L’ouvrier est un matricule, comme le soldat. Il lui est défendu d’avoir une originalité. Il n’a qu’à exécuter les ordres, même s’ils sont inintelligents, qu’on lui donne. Si son bon sens lui démontre qu’en obéissant il ne fera que du mauvais travail, il n’a qu’à s’exécuter, sans mot dire. La société qui prétend avoir tant fait pour les travailleurs, en réalité Il tout fait contre eux. Elle en a fait des brutes. Pardon, elle a fait le métro… « le métro a été fait pour l’ouvrier. » Il est des âmes simples qui le croient. Le plus clair de cette sollicitude toute maternelle, c’est l’alcoolisme et la prostitution. Ce que la société a fait pour le travailleur, cela se lit dans les livres.

Le travail a cependant sa beauté. Mais ce n’est pas ce que l’on nous offre de nos jours, sous le nom de travail, qui est beau. C’est, au contraire, la forme la plus basse de la laideur. La tâche, c’est l’attache. Le machinisme a fait plus de mal que de bien. Le machinisme retire d’une main ce qu’il donne de l’autre à l’ouvrier : celui-ci n’a retiré du machinisme aucun profit. Sa tâche n’en a pas été facilitée. La société n’a pris du machinisme que ses mauvais côtés. C’est un nouvel esclavage.

Il y a des métiers idiots, qui ne riment à rien. Quant aux métiers intelligents, j’en vois bien peu dans notre société. Les gens qui vivent du travail des autres ne comprendront jamais l’abnégation et le sacrifice qui résident dans certains travaux, les plus humbles, et l’héroïsme du travailleur leur échappera toujours. Il est certain que le travail n’est pas souvent une sinécure, qu’il y a de durs travaux, et dangereux, que l’on ne peut enlever au travail sa part de risque, de danger et de fatigue. Mais combien noble, et joyeux, serait le travail, même pénible, dans une société qui ne serait pas la chose des paresseux et des parasites ! Songez que cette beauté latente qui réside dans les travaux des hommes, si on la faisait éclore, au lieu de l’étouffer, le monde en serait renouvelé. Tout travail, si humble qu’il soit, a sa beauté. Le travail doit être une joie, comme le voulaient Ruskin et William Morris. Alors, il sera vraiment la liberté. Il réalisera la liberté même de l’esprit et du corps. Une humanité de travailleurs heureux de remplir leur tâche avec amour, et de créer de l’harmonie sous toutes ses formes, serait une humanité libre. Au lieu d’aller à leur travail avec dégoût, comme si on les menait au supplice, les hommes puiseraient dans leur besogne une énergie toujours nouvelle. Au lieu de s’abrutir, ils vivraient. Il est des travaux sans beauté, dont le monde pourrait se passer : ils reflètent nos occupations terre-à-terre et notre politique ; leur suppression ce serait la plus utile des révolutions. Une joie et une libération, tel devrait être le travail, qui est une géhenne, un enfer, dans notre société à l’envers, peuplée d’êtres inutiles. Il faut des patrons pour faire vivre les ouvriers, affirme-t-on dans les sphères bien pensantes. Dans un monde meilleur, il n’y aurait ni patrons ni ouvriers : il n’y aurait que des hommes librement associés dans leurs travaux, contribuant, par la diversité de leurs besognes, à la richesse matérielle et morale de l’humanité. Ce n’est, hélas ! « qu’un rêve ». Tout le monde doit travailler, certes, non pas comme le prêchent les ouvriéristes, aussi autoritaires que les capitalistes, et qui sont les pires tyrans (malheur à ceux qui sont sous leurs ordres s’ils ont la chance de devenir patrons, ce qui est souvent leur unique ambition dans la vie) — pour eux, il n’y a d’intéressants que les terrassiers et les cordonniers —