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en particulier des ouvriers. Il n’en est pas moins vrai que l’activité plus proprement cérébrale — activité caractérisée par l’attention — qu’elle soit celle du travailleur intellectuel (instituteur, secrétaire, comptable, correcteur, etc.), de l’ouvrier dont le métier exige une constante précision (typographe, horloger, graveur, etc.) ou de l’intellectuel imaginatif (artiste, écrivain, compositeur), aboutit à des résultats identiques. Le labeur cérébral violent, intensif, presque toujours accompagné d’ailleurs de contention (application exagérée et sans relâchement) provoque un état congestif au cours duquel les combustions s’exagèrent et avec elles la somme des résidus nocifs. Le même processus, mais au ralenti — ainsi que cela nous est apparu dans le surmenage musculaire chronique — se produit lorsque, sans être précipité, impérieux, l’effort de l’attention se prolonge au delà des limites raisonnables. Moins perceptible ici aussi, le surmenage n’en étend pas moins traîtreusement ses ravages. Après les insuffisances et les inaptitudes qui accompagnent, comme nous l’avons vu, toute fatigue nerveuse quelle que soit son origine — fatigue plus grave encore ici puisqu’elle frappe le cerveau, pivot même du labeur — surviennent non seulement les accidents, les altérations qui affectent la fonction cérébrale (anémie localisée, ébranlement mental, folie même), mais aussi les crises qui intéressent l’organisme tout entier (épuisement nerveux, neurasthénie, etc.) dans sa vitalité et auxquels se surajoutent les troubles dus au mauvais fonctionnement des divers organes, également perturbés.

Il a souvent été question, et parfois officiellement, du surmenage scolaire. Nous savons combien l’enfant est astreint prématurément au travail intellectuel. Et que l’abstraction y parait dès les premiers pas qui ne devrait venir qu’en couronnement. Nous savons aussi que, davantage encore dans un enseignement surtout mnémotechnique et livresque et qui vise à l’engrangement des connaissances plus qu’à la compréhension et au jugement, on demande aux cerveaux enfantin un effort hors de proportion avec leur résistance, et que, circonstance aggravante, à l’âge où tout est mouvement, spontanéité, changement, l’étude précoce s’accompagne d’assiduité et d’immobilité. Nous comprenons que de telles méthodes sont préjudiciables aux petits et que le surmenage, qu’elles appellent, favorisent ou « justifient », constitue un frein redoutable pour le développement d’un être en plein essor…

Nous ne quitterons pas l’examen des fatigues nerveuses sans dire un mot de celle qui, sans être à proprement parler causée par le travail, apparaît néanmoins avec le caractère d’un véritable surmenage : nous voulons dire la fatigue émotionnelle. ( « Avec l’expérience, m’écrit Pierrot, je vois que ce qui « démolit » le plus un homme, ce sont les émotions ». Par émotions, il faut entendre non seulement les chocs affectifs et nerveux (fortes contrariétés, chagrins, pertes douloureuses), mais aussi les préoccupations morales, les soucis (nés de l’insécurité permanente, par exemple : privations, lendemains précaires, aléas d’affaires, marche d’entreprises, etc.), les angoisses répétées, les secousses de toute nature qui, dans la vie moderne, ébranlent de plus en plus la machine humaine et accélèrent son dérèglement et son usure… « Une émotion vive retentit fortement sur l’organisme ; elle entraîne des troubles circulatoires très nets (vasodilatation, palpitations, syncopes) ; des troubles de digestion (inappétence, indigestion et vomissement, diarrhée), des troubles menstruels, etc… Ces troubles laissent à leur suite une fatigue générale… L’émotion peut être si forte qu’elle se traduise non par une excitation mais par une dépression immédiate. La frayeur, par exemple, « coupe bras et jambes ». Les émotions douloureuses sont d’ailleurs dépressives au maximum » (M. Pierrot).

Ce qui est vrai des fatigues musculaires, cérébrales,

nerveuses l’est aussi de la fatigue émotionnelle. « Une dépression morale passagère a, d’ordinaire, peu d’effets sur la santé. Cependant les tares constituent toujours une prédisposition et une aggravation : ainsi l’émotion peut amener une syncope mortelle pour un cardiaque ; un choc nerveux peut entraîner une perturbation grave de l’organisme (hystérie, diabète) chez certains individus, etc. Mais, sauf ces accidents, il faut la répétition d’excitations déprimantes pour arriver au surmenage nerveux par l’incapacité de réagir. Les déceptions (ambition, jeu, etc.), les soucis (pertes d’argent, préoccupations d’avenir, réprimandes, etc.), les malheurs de tous genres peuvent aboutir plus ou moins vite à cet état. La misère (chômage, salaires dérisoires, charges familiales) est une cause très importante de dépression morale, avec découragement, allant d’un côté jusqu’à la répugnance à l’attention et, de l’autre, jusqu’à l’incapacité d’une révolte salutaire. Dans le surmenage nerveux émotionnel, le symptôme prédominant est l’ennui (fatigue morale) qui diminue l’entrain au travail manuel et mental, affaiblit la force musculaire et l’attention cérébrale. » (M. P.). Et, ici encore, les traces du surmenage persistent longtemps après la disparition de la cause. Le surmené moral demeure souvent en état d’infériorité permanente.

Tout travail pénible, exagéré, appelle une réparation rapide des forces. L’intéressé la demande à une ration alimentaire supérieure quand ce n’est pas, « solution » pire, à l’alcool. Et la surabondance de matière nutritive, faisant irruption dans un organisme déjà perturbé par la fatigue, aggrave encore les insuffisances fonctionnelles engendrées par le surmenage… C’est une erreur commune à ceux qui travaillent fort de s’imaginer qu’absorber beaucoup suffit à contrecarrer les effets de la fatigue. Pléthore et pénurie de nourriture sont toutes deux préjudiciables au corps humain surmené. L’équilibre rompu par le travail désordonné ne peut renaître si ne cesse l’excès et n’intervient le repos…

Si les matériaux d’apport et de réserve trouvent un emploi plus fréquent, plus massif lorsque l’effort est plus vigoureux, le travail plus assidu, les déchets correspondants atteignent aussi, dans ce cas, un débit d’autant plus considérable et accéléré qu’un effort d’amplitude inusitée, ici prolongé, ailleurs renouvelé, contrarie le rythme d’absorption, d’assimilation et de rejet et voilà les résidus s’attardant, séjournant anormalement dans l’organisme où ils vicient les humeurs (et, par voie de conséquence, les colonies cellulaires) par leur acidité caustique et désagrégeante… Le travail musculaire ou intellectuel devenu abusif, accablant, aboutit inéluctablement à cet état de sursaturation résiduelle aux conséquences redoutables.

La diététique a fixé dans une mesure relative et surtout expérimentale la ration alimentaire quotidienne exigée par la satisfaction des besoins primordiaux de l’individu actif ou sédentaire. Elle a établi que nos dépenses permanentes justifient des apports d’une importance déterminée en matériaux plastiques, thermo-dynamogènes, minéralisants, vivifiants. Et l’observation a démontré que ces apports doivent être strictement limités, selon l’âge, l’effort, le tempérament aux matériaux nécessaires à l’entretien général, aux réparations du corps humain.

Nos organes digestifs sont, eux aussi, constitués en vue d’un travail donné. Sans doute les bornes en sont-elles suffisamment extensibles pour se prêter à quelques exigences exceptionnelles résultant d’adaptations préalables. Mais le cadre de ces dernières ne peut indéfiniment s’étendre. Lorsque nous l’oublions, notre estomac, notre foie sont les premières victimes de cet autre sur-