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ait été pratiqué dans la colonie grecque de Lipara (en 590 avant l’ère vulgaire) établie dans une île au nord de la Sicile. L’idée, non plus de la communauté des femmes, mais de la promiscuité sexuelle est familière à l’antiquité. Le gouvernement romain a agi avec la dernière rigueur contre les mystères consécutifs aux Bacchanales (186 avant J.-C.). La sévérité du Sénat à leur égard — cette secte comptait 7.000 affiliés rien que pour Rome ; elle avait des ramifications en Étrurie et en Campanie et dans toute l’Italie — montre qu’en dehors du culte de la vie et de la mort, ces sectaires devaient, en se servant de la violence, poursuivre quelque but social, d’autant plus que les Bacchanales furent rétablies plus tard.

Écrivant de nombreux siècles après Platon, Thomas More (1420–1481) se montre un adversaire absolu de la bigamie, l’organisation de son Ile d’Utopie étant basée sur la famille, négation absolue de toute communauté des femmes. Dans l’Ile d’Utopie, l’adultère est tenu en même horreur que nous tenons la lèpre, par exemple, et si on en découvre un cas, les fauteurs sont condamnés à la plus cruelle des servitudes ; dans La Cité du Soleil de Campanella, de même date que L’Utopie, de Thomas More, la thèse de Platon est reprise et adoptée en partie, l’amour y est beaucoup plus libre et on ne condamne plus que les vices et leurs anormalités. Par exemple, dans la « Cité du Soleil », ceux qui sont privés de la responsabilité et de l’Honneur de la fécondation, les femmes stériles et hystériques ont toute liberté de chercher satisfaction de leurs sens ; les femmes, une fois devenues stériles, se transforment automatiquement en femmes mises à la disposition « de tous » ; seulement, elles ne sont attribuées qu’à des mâles trop ardents, aux moments et aux occasions qui leur plaisent le mieux.

Campanella qui pour le reste, est plus utopiste et autoritaire que Thomas More, se montre en matière sexuelle, beaucoup moins intransigeant que lui et beaucoup plus compréhensif de certaines anomalies de l’être humain ; il cherche beaucoup plus à les prévenir qu’à les réprimer : il concède donc une ample liberté en matière sexuelle. Selon les lois en vigueur dans « la Cité du Soleil » un homme devrait commencer à avoir des relations avec les femmes à l’âge de 21 ans. Mais « cette date est retardée pour les tempéraments lymphatiques et il est permis à certains individus d’entretenir, avant cet âge, des relations sexuelles avec des femmes, mais, uniquement avec celles qui sont enceintes ou stériles, afin d’éviter qu’ils se livrent à la pratique des « vices anti-naturels ». Ce qui dénote chez Campanella une profonde connaissance de l’homme. Sa conception des relations sexuelles est bien en avance des coutumes de son époque et même de la nôtre. La question de la procréation tient une grande place dans « La Cité du Soleil » ; on s’en occupe jusqu’en ses détails les plus intimes, avec un soin extrêmement rigoureux. Plus que dans les autres utopies, on fait attention aux différences inévitables de tempérament des uns et des autres ; on admet les exceptions aux règles communes, concédant plus de liberté aux plus impétueux. « Les vieilles et les matrones pourvoiront aux satisfactions des besoins de ceux qui sont les plus ardents et les plus inclinés aux plaisirs de l’amour. Elles reçoivent les confidences secrètes des jeunes gens dont elles ont déjà eu l’occasion de connaître, durant les jeux olympiques, l’impétuosité de tempérament. Nonobstant ceci, est toujours nécessaire l’avis du magistrat préposé au soin de la génération. »

Pour un autre utopiste, Morelly, la monogamie est de rigueur dans sa cité idéale, régie par Le Code de la Nature (1755), tous étant dans l’obligation de se marier.

Ses lois conjugales prescrivent qu’arrivés à l’âge de s’unir, les habitants de la cité seront mariés et que personne ne sera exclu de cette loi à moins que la nature ou la santé ne s’y oppose. Le célibat ne sera

permis qu’aux personnes ayant dépassé la quarantaine, car après cet âge la progéniture est de mauvaise qualité. L’idée n’est pas nouvelle. Elle se trouvait déjà chez Platon. Dans sa République, l’avortement est prescrit aux femmes concevant après quarante ans, les enfants venus alors au monde ne promettant pas d’être d’une santé très vigoureuse. Cette préoccupation particulière pour la question de la génération, pour que les mères donnent naissance à des enfants beaux et forts est très compréhensible chez les utopistes ; ils désirent avoir dans leurs cités imaginaires, des citoyens de bonne qualité, sains, robustes, intelligents, tout à fait différents de la population qui les entoure. Comme la majorité des utopistes sont des autoritaires, ils s’en remettent aux lois, pour que tout soit fait selon les règles prescrites, lesquelles règles, selon eux, doivent garantir les bons résultats espérés.

Mais de tous les utopistes dont il a été parlé jusqu’ici, c’est toujours et encore Campanella qui s’arrête davantage sur la question et l’étudie le plus amplement. On sent en lui le poète et le fils du pays du soleil.

On peut lui opposer William Godwin (1756–1836), esprit froid et raisonneur, qui a de l’amour une conception austère, privée de toutes les fantaisies dont les poètes ont accoutumé de couronner leurs hypothèses. Dans la cité idéale rêvée par Godwin, l’amour est et devrait être privé de tout sentimentalisme inutile. Comme pour les autres questions, la raison doit y jouer le premier rôle. Son rite ne se célèbre pas parmi les chants et les fleurs, comme le voulait Campanella, mais bien selon une formule raisonnée et positive. Ce n’est pas la participation à des funérailles, certes, mais à un culte austère. La loi régissant cet amour sera la liberté la plus grande, sans souffrances, sans unions forcées, sans cohabitation fixe. L’amie doit savoir respecter le silence de celui avec qui elle cohabite… Deux personnes, dans un même logement., pour toujours, voilà une idée qui épouvante Godwin et le remplit d’horreur. D’ailleurs, dans sa cité, il n’y a ni serrures, ni cadenas et, cependant les domiciles sont inviolables.

Dans ses conceptions sociales, telles qu’elles sont développées en sa Justice Politique (The Enquiry concerning Political Justice and its influence upon general virtu and happiness, Londres, 1793), Godwin se montre un adversaire résolu du communisme casernier et centralisateur conçu à la façon de Thomas More, de Campanella, de Morelly et de maints autres. Il combat la tyrannie, trace les plans d’une société nouvelle, économiquement régie avec plus de justice que l’actuelle, mais c’est surtout et avant tout pour obtenir plus de liberté qu’il descend dans l’arène. En amour, il est pour la pluralité. Selon lui, dans le milieu qu’il anticipe, l’amour dans les relations entre hommes et femmes, fera place à l’amitié ; les hommes aimeront les femmes pour leurs vertus et les qualités de leur intelligence. Aucune espèce de jalousie ne pourra naître entre les différents « amis » d’une femme, les relations sexuelles étant considérées comme dépourvues d’importance. Cette conception fut très rudement combattue par les nombreux critiques de ses idées et de sa conception sociale de la vie, mais spécialement par Malthus dans son fameux Traité de la Population, où il faisait remarquer que l’amour étant conçu et pratiqué de cette manière, la terre serait promptement peuplée dans des proportions telles que sa population deviendrait rapidement supérieure à ses moyens d’existence. Godwin répondit à ces critiques par un livre : Réponse aux théories de Malthus sur la population, très mal accueilli par certains clans réactionnaires, précisément à cause de la critique approfondie qu’il y faisait des théories malthusiennes. Ces discussions n’ont d’ailleurs rien à voir avec le sujet traité ici. Godwin prétendait que la perversion extrême des mœurs qui se remarque dans les