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pérégrinations, l’apothéose du couple humain, le bonheur à son zénith. Mais, selon Déjacques, tout homme, comme toute femme, peut avoir de nombreuses amantes et vice-versa, et il n’y a là aucun mal, car chacun obéit à son instinct propre, tous ne possèdent pas le même tempérament et, par suite, ne ressentent pas les mêmes besoins. Un homme peut aimer une femme pour une raison, en aimer une autre pour un autre motif, et vice-versa. Dans une société où règnent une liberté et une tolérance si larges, toutes les formes de jalousie seront inconnues, comme seront inconnues toutes les vilenies qui minent la société actuelle, qui ont réduit l’amour à un bas mercantilisme. On achète et on vend l’amour ; on achète et on vend les baisers, comme on achète et vend les corps, privant l’amour de tout son enchantement et de toute sa beauté, le réduisant à une chose immonde et répugnante.

Toute société comme tout arbre ne peut donner que les fruits que lui permet le terrain où il se nourrit. Une société, aux racines plongeant dans un sol bourbeux, ne peut que fournir des fruits amers et pourris, et ceci vaut pour l’amour comme pour le reste.


Voici, pour terminer ce rapide exposé des solutions apportées par les Utopistes les plus connus au problème sexuel, un résumé de celles proposées par d’autres écrivains ou romanciers qui ont promené leurs lecteurs dans des contrées sorties de leur imagination :


Dans l’Histoire des Sévarambes, de Denis Vairasse d’Allais (1677), utopie qui se déroule dans les terres australes, la monogamie règne en général, mais tempérée par toutes sortes de dispositions favorables à la polygamie et à la polyandrie. Le choix de l’époux est libre, mais le mariage est obligatoire. C’est à la jeune fille à proposer l’union conjugale, mais le jeune homme a le droit de refuser. Si une jeune fille est refusée partout, elle a le droit, à titre de contre-assurance, de réclamer d’être la femme d’un des hauts dignitaires de l’Etat, lesquels sont polygames et selon leur rang peuvent épouser de deux à douze femmes. Enfin, les Sévarambes admettent, après consentement mutuel, l’échange des épouses.

Fourier (1830) réclamait la liberté sexuelle absolue pour les deux sexes, c’est-à-dire la suppression du mariage et son remplacement non seulement par l’union libre, mais par une véritable promiscuité des sexes… Dans la société de l’avenir « Toute femme peut avoir simultanément, si tel est son goût et sans que l’opinion publique y trouve rien à redire : 1 ° un époux ; 2° un géniteur pour avoir des enfants ; 3° un favori pour vivre dans sa compagnie ; 4° et de simples possesseurs ». De ces quatre catégories, les trois premières auront un caractère légal, la quatrième ne sera pas officiellement reconnue.

Cabet (1848) dans son Voyage en Icarie, connaît l’importance de la question. « Les jeunes Icariens, considérant le mariage comme le paradis ou l’enfer de cette vie, n’acceptent un époux que quand ils le connaissent parfaitement et pour le bien connaître, ils se fréquentent pendant six mois au moins, et souvent dès leur enfance et pendant longtemps, puisque la jeune fille ne se marie pas avant dix-huit ans et le jeune homme avant vingt ans », — Cabet admet le divorce, mais il regarde le mariage et la fidélité conjugale comme les bases de l’ordre dans les familles et dans la nation, la République garantissant à tous une excellente éducation, une existence assurée, toute facilité de se marier. Elle flétrit le célibat, et déclare que le concubinage et l’adultère sont des crimes sans excuse.

Dans sa Terre libre (1894), Hertzka écrit ceci : « Le lien du mariage repose légalement sur le consentement libre et exclusif des deux époux, puisqu’à Terre libre, on ne peut être forcé à rien de ce qui ne rentre pas

dans la sphère des droits d’un autre. Et comme ici, aucun droit, sur la personne de l’homme n’est retenu en aucune circonstance, le mariage vaut comme un contrat libre, qui ne peut être formé que par le consentement des deux parties, mais qui peut aussi être brisé par la volonté d’une seule. Cette règle ne souffre même pas d’exception quand il y a des enfants : ceux-ci appartiennent toujours à la mère, consentît-elle à un autre arrangement. »

Les deux extraits suivants nous feront comprendre le point de vue où se plaçait Paul Adam, quand il écrivait les Lettres de Malaisie (1898) : « Ici, une femme ne refuse pas plus à l’homme sa chair que chez vous elle ne refuse de rendre un salut. C’est une politesse que nous octroyons bien gracieusement et sans y attacher d’autre importance… On se reproduit quand on en a l’envie et avec qui vous le propose, comme on mange en face du passant, au réfectoire du train, ou l’on se promène dans la voiture d’un mécanicien quelconque… Le communisme des sensations érotiques détruit le désir de propriété sur l’amant ou sur l’amante. »

Dans Au pays de l’Harmonie (1906), Georges Delbruck adopte le système du reproducteur imposé. Les habitants de ce pays — les Déoniens — se dénomment « dieux » et « déesses » en l’honneur du fondateur de leur nation, dont ils sont tous les descendants. Chez eux : « On peut aimer sans procréer, de même qu’on peut procréer sans aimer. L’amour est un état d’âme, la procréation est un devoir d’État… Nous n’imposons jamais de volontés et le refus d’une jeune femme serait respecté, mais les déesses sont trop patriotes pour songer un seul instant à discuter le choix de la Faculté, sachant que ce choix a été longuement et soigneusement étudié. D’ailleurs la procréation d’une déesse avec un dieu n’implique ni liaison, ni chaîne. La population ne doit pas dépasser un nombre donné d’habitants toujours le même et les soins quotidiens de toilette rendent les déesses infécondables. Pour devenir mères, il faut qu’elles y renoncent. »

Dans les Pacifiques (1914), Han Ryner fait parler ainsi un sage du nom de Makima : « L’amour n’est pas un pays plat et uniforme. Beaucoup s’attachent au premier corps vers qui les entraîna un pressentiment joyeux et qui leur fit connaître la volupté. Les causes de discordes qui déchirent vos ménages n’existent point ici. Mais combien d’hommes et combien de femmes aiment le changement ! Combien croient toujours voir un bonheur plus grand à côté de l’endroit où ils sont ! Plusieurs Atlantes… rafraîchissent presque toutes leurs soifs au même ruisseau. D’autres agitent une grande part de leur vie à voler dans toutes les directions, se posent sur toutes les branches, goûtent de tous les fruits, boivent à toutes les eaux, dorment roulés dans tous les gazons. L’amour aussi connaît des sédentaires et des voyageurs. »

Masson, dans son Utopie des Iles Bienheureuses (1921) fait renseigner comme suit un voyageur :

« Nos jeunes filles veulent être mères dès que leurs organes sont achevés pour l’être. Leurs enfants leur appartiennent. Elles les nourrissent de leur lait : ou bien, selon leur gré, leurs enfants leur sont enlevés, et nourris du lait d’autres femme qui s’offrent à le faire. Quant aux jalousies… notre humanité n’est exempte d’aucun des maux vraiment humains. Mais ils sont ici des accidents dont le nombre ou la gravité diminue chaque jour. Deux jeunes hommes s’éprennent-ils de la même jeune fille, ou deux jeunes filles ont-elles un même amoureux ! C’est fort simple ! La jeune fille se donne aux deux garçons si cela lui plaît ; ou leur plaît ; les deux jeunes filles au garçon s’il leur plaît et s’il lui plaît. »

Wells, dans M. Barnstaple chez les Hommes-dieux (1926), résout ainsi la question : « En Utopie on ne contraignait pas les hommes et les femmes à vivre en couples indissolubles. La plupart des Utopiens y au-