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VAN
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sées, sont démolis pour la seule satisfaction des chiffonniers et des brocanteurs à l’affut de ces déprédations. On projette le bouleversement des jardins des Gobelins, une des plus belles choses du vieux Paris, pour y construire des maisons modernes. Des centaines de monuments et d’œuvres, affirmation intellectuelle et artistique du passé, de l’effort humain pour embellir la vie, sont ainsi détruits, mutilés, par la rapacité affairiste des uns, par la sottise inesthétique des autres, et sans aucun bénéfice véritable pour la collectivité. On entretient la lèpre et on supprime la beauté.

Pour les avantages particuliers d’un prétendu utilitarisme, les plus beaux sites sont dévastés, livrés à des rongeurs cosmopolites qui les souillent de leurs usines, de leurs palaces, de leur publicité.

La petite ville de Cassis, la cité de Calendal est empoisonnée par une usine de ciment construite, malgré les protestations de la population, par une société que soutiennent des politiciens puissants intéressés dans ses affaires. Les « calanques » de Cassis, véritables merveilles naturelles, ont été attaquées par des marchands de pierres. Les jardins Biovès, à Menton, sont menacés de destruction pour faire place à un casino. Dans les vieilles villes où des arbres centenaires mettent encore un peu de fraîcheur et de couleur à côté des bâtisses lépreuses et des trop modernes « buildings », ces arbres sont abattus systématiquement. Marseille est favorisée, depuis dix ans, de cette sorte d’édilité. Sous prétexte de faciliter la circulation, on y met à bas les vieux arbres, mais on les remplace par des bustes de célébrités politiciennes et des tables de cafés !…

Le déboisement intensif, par la hache et par le feu, fait des déserts stériles des montagnes et des plateaux les plus fertiles. Les populations sont obligées de les abandonner pour aller s’entasser dans les villes où elles sont la proie des entreprises industrielles, du chômage, de la maladie. Et les criminels responsables gémissent contre l’abandon de la terre et la dépopulation !…

Enfin, nous ne pouvons en terminer avec le vandalisme sans dire quelques mots de la censure, bien qu’il en ait été déjà parlé dans cet ouvrage. La censure est à la fois du vandalisme et du tripatouillage, son emploi étant d’interdire, de supprimer ou de n’admettre que sur correction. Elle procède avec un véritable machiavélisme et une hypocrisie supérieure. Elle ne fait pas disparaître en détruisant — elle laisse cela aux « barbares », aux temps « d’intolérance », des tribunaux ecclésiastiques et des parlements qui livrèrent au feu tant de livres, et parfois leurs auteurs — ; elle fait disparaître en interdisant et en supprimant. Elle est à l’image des gouvernements libéraux qui remplacent la peine de mort par la prison perpétuelle. Elle ne tripatouille pas, — elle laisse cela aux goujats de l’écritoire ; — elle oblige l’auteur à se tripatouiller lui-même, quand il n’a pas assez de dignité pour l’envoyer se faire f… ! Elle est à la fois odieuse, par sa tyrannie et sa cafardise, et ridicule, par les mobiles rarement avouables qui la guident dans les voies du puffisme souverain contre toute intelligence et toute liberté. Il est des pays, comme l’Angleterre, où elle interdit les pièces de Molière, les tenant pour immorales !… Il est des pays, comme la France, où elle laisse commettre les pires attentats contre les chefs-d’œuvre littéraires par les « pignoufs » du cinéma et du roman populaire, où elle laisse ridiculiser bassement, par des pitres-provocateurs de tréteaux policiers, les sentiments et les opinions les plus dignes, mais où elle défend qu’on brûle autre chose que l’encens de la flagornerie sous le nez des déesses de la République, tout comme au temps des Pompadour, des Thérésa Cabarrus et des Nana.

Le rôle que la censure a exercé de tout temps contre la pensée humaine devrait valoir, à ceux qui s’y emploient, un mépris universel. Le plus cocasse est qu’ils

prétendent être des artistes et des esprits libres ! Ne sont-ils pas particulièrement considérés dans le monde des lettres et des arts où il y a tant de larbins pour si peu d’hommes libres ? La censure représente ce que Baudelaire appelait « l’art et la littérature honnêtes », l’art et la littérature des messieurs « bien pensants » du Cercle de la librairie dont le catalogue annonce Gamiani, édition illustrée par surcroît, mais demeure fermé à tout ouvrage dont les tendances philosophiques et sociales ne sont pas inspirées de ce que feu Barboux, académicien, appelait « les vérités chrétiennes » et de ce que les chroniqueurs nationalistes nomment « l’Ordre » !…

La censure, et ceux qui l’exercent, voici comment Flaubert les a jugés, et il sera inutile d’en dire davantage sur leur compte : « Voilà le sieur Augier employé à la police ! Quelle charmante place pour un poète et quelle noble et intelligente fonction que celle de lire les liore destinés au colportage ! Mais est-ce que ça a quelque chose dans le ventre ces gaillards-là ? C’est plus bourgeois que les marchands de chandelle. Voilà donc toute la Littérature qui passe sous le bon vouloir de ce monsieur ! Mais on a une place, de l’importance, on dine chez le ministre, etc, et puis il faut dire le vrai ; il y a de par le monde une conjuration générale et permanente contre deux choses, à savoir la poésie et la liberté ; les gens de goût se chargent d’exterminer l’une, comme les gens d’ordre de poursuivre l’autre…, Augier, sans doute, croit faire quelque chose de très bien, acte de goût, rendre des services. La censure quelle qu’elle soit me parait une monstruosité, une chose pire que l’homicide ; l’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »


Terminons en disant que le vandalisme est la forme exaspérée et violente de la stupidité nationaliste qui se traduit dans l’impérialisme. De même que l’assassinat est admirable quand il consiste à tuer l’homme de l’autre côté de la frontière, la destruction est louable quand elle sévit contre l’étranger ou contre l’adversaire de parti. Les véritables vandales, ce sont les fanatiques, les intoxiqués de préjugés nationaux et dogmatiques, qui n’admettent qu’une seule patrie et qu’une seule foi, la leur, faisant un instrument homicide de la formule : « Hors de l’Église, pas de salut ! » ; ce sont les iconoclastes qui ne détruisent des idoles méprisables que pour les remplacer par d’autres aussi méprisables, parce qu’elles ne peuvent avoir d’autre emploi que de tenir l’homme dans la servitude ; ce sont tous les tenants de l’autorité qui ne renversent une tyrannie que pour en établir une autre. Nous devons être des Barbares, nous devons être ces barbares qui jetteront à bas toutes les idoles et tous les temples de l’autorité pour dresser sur leurs ruines la Cité des Hommes, la cité où la vie sera libre, bonne et belle pour tous. — Édouard Rothen.


VANITÉ n. f. Ce mot a été formé de vain qui marque l’inutilité, la futilité, la fragilité des choses, ce qui est enflé et vide, ce qui est faux, illusoire, sans fondement réel. La vanité est particulièrement un faux orgueil qui pousse l’individu à briller, à paraître par des moyens inférieurs, par la sottise plus que par l’intelligence, par des excentricités plus que par des œuvres sérieuses, par la malfaisance plus que par un travail utile. La vanité est, comme l’orgueil, un sentiment naturel, mais tandis que l’orgueil exalte l’individu dans la supériorité d’un véritable effort, la vanité le dégrade dans l’infériorité de basses satisfactions. Nous avons vu, au mot Orgueil, ce qui différencie ces deux sentiments, et au mot Paraître les formes et les conséquences de la vanité dans ses manifestations, le plus souvent d’ordre pathologique.