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riste et les ouvrages du Dr  Bircher-Benver, de Zürich, etc… ainsi que tous les ouvrages conseillés aux articles Nourriture, Santé


VÉNALITÉ La vénalité est la qualité de ce qui est vénal, c’est-il-dire de ce qui se vend ou peut se vendre. Les deux mots ont pris de plus en plus un caractère d’immoralité quand il y a eu lieu de les appliquer à des personnes, à des sentiments, à des objets qui, généralement, ne se vendent pas et reçoivent une flétrissure quand on les paie. L’amour vénal devient la prostitution, les amitiés, les affections vénales inspirées du seul intérêt sont de la fourberie, une plume vénale est celle de l’homme qui met son talent d’écrivain au service de n’importe qui. Des fonctions sociales qui devraient être remplies gratuitement, ou du moins affranchies des marchandages de l’offre et de la demande et conserver le caractère d’un sacerdoce, telles celles de magistrat, de médecin, d’avocat, de professeur, d’écrivain, d’artiste, sont trop souvent rendues suspectes, immorales, dangereuses par la vénalité de ceux qui les exercent.

L’homme vénal est celui qui, vendant son travail et ses services, fait en même temps trafic de sa conscience, résigne sa personnalité. C’est l’homme qui change d’opinion suivant ses intérêts et tire profit de ses palinodies, On a dit de l’homme qui ne varie pas dans ses opinions qu’il est un imbécile. On peut dire plus justement que celui qui varie est dans la plupart des cas un homme vénal.

Dans les temps de mœurs corrompues, comme on en voit tant dans l’histoire, les hommes sont à vendre « comme cochons en foire ». Napoléon, que la moralité n’embarrassa jamais, professait que tous les hommes étaient à vendre du moment qu’on y mettait le prix, et il fut un des plus grands corrupteurs de conscience que l’on vit jamais. Par sa propre vénalité et celle de son entourage, il conduisit la Révolution à l’abîme. Par ses titres, ses dotations, sa Légion d’honneur qu’il découpa dans le bonnet rouge le jour où il le remplaça sur sa tête par une couronne de dictateur, il sut faire fondre les dernières résistances, faire des hommes vénaux de tant d’incorruptibles Catons, de farouches Brutus, qui n’avaient été au fond que des démagogues.

La cupidité, la vanité, la lâcheté, le défaut de caractère, l’absence de scrupules, font l’homme vénal. Il ne faut pas confondre avec lui le mercenaire. Dans l’état social tel qu’il est constitué, avec son système d’exploitation, il est peu d’hommes qui ne soient obligés, pour vivre, de vendre leurs services. Ils sont des mercenaires ; ils échangent le travail de leurs bras ou de leur cerveau contre un salaire. Mais cette tractation est le résultat d’une nécessité impérieuse, celle de manger ; elle n’engage, en principe, le travailleur que pour les services convenus, elle le laisse libre de penser et d’agir comme il lui convient en dehors de sa profession, elle ne l’atteint pas dans l’intégrité de sa personne morale, Le métier fait de l’homme un mercenaire ; il ne le corrompt que s’il veut se laisser corrompre, s’il est un homme vénal. On peut vider des pots de chambre, trafiquer de son bas ventre, fabriquer des balais ou de la lingerie en prison, et n’être qu’un mercenaire, rester un être libre. On peut être un patron, une « épouse fidèle », un gouvernant ou un magistrat qui envoie les gens en prison, et être un individu vénal. Dans toutes les situations sociales, en haut comme en bas, la vénalité est la forme la plus basse de la corruption et de la prostitution, la plus incompatible avec la dignité humaine et la liberté morale.

Il ne semble pas que dans l’antiquité les dignités de l’État et de la judicature aient été vénales, a remarqué Rollin. La vénalité des charges, des offices, des dignités, est une invention des temps modernes ; elle est née de la prépondérance de l’argent dans toutes les formes de la vie sociale. Voltaire a dit que « l’opprobre

de la vénalité avait souillé la France ». Il a souillé le monde entier livré à l’argent. Cette vénalité a été un des moyens d’établissement et de conservation de la royauté absolue. Elle a commencé sous Louis XII qui vendit des offices de finance pour se procurer de l’argent. Sous François Ier, le chancelier Duprat rendit vénales les charges de judicature. Ainsi fut établi le brigandage des financiers, des magistrats et de leur suite de commis et de robins. Ayant acheté leurs charges et offices, ils cherchèrent à leur faire produire le plus possible en accablant le malheureux peuple de procès, de condamnations, d’amendes, de saisies, d’expropriations, de prises de corps par les procédés qui rendirent si tristement célèbres les Laubardemont et les Fouquet, les chicanous et les maltotiers, hume-veines et rafle-pécune, pillards de toutes les catégories, prébendiers de procédure et de fiscalité.

Dès le règne de François Ier, les méfaits de la magistrature vénale furent dénoncés, notamment par Montaigne. Ils provoquèrent tant de protestations qu’une réforme sérieuse dut être apportée pour que des fonctions demandant, malgré tout, une certaine compétence et des garanties sérieuses d’intégrité, ne fussent pas livrées, comme tant d’emplois ecclésiastiques, à des hommes indignes, pourvu qu’ils pussent les payer !

Mais la réputation d’honneur et de probité des familles chez qui les charges de magistrats devinrent héréditaires, fut faite surtout de la corruption supérieure à la leur de la monarchie. La vénalité de ces charges parut être alors un moindre mal, même aux yeux d’un Montesquieu ; au pays des aveugles, les borgnes étaient rois. Des scandales nombreux, comme ceux dénoncés dans un pamphlet de Beaumarchais, à la veille de la Révolution, montraient combien la justice était tributaire des épices.

La monarchie absolue ne vécut que de la vénalité des charges de l’État et de celle des individus qui soutenaient cette monarchie. L’argent que lui rapportait la vénalité des charges lui permettait d’entretenir celle d’une noblesse qui vivait d’elle comme des poux dans une crinière. Le Tiers État établit sa puissance politique en achetant les charges de la magistrature dans lesquelles il se fit craindre de la noblesse en la dépouillant chaque fois qu’il en eut l’occasion. Dès le XVIe siècle, Claude de Seyssel constatait ceci : « On voit tous les jours les officiers et les ministres de la justice acquérir les héritages et seigneuries des barons et nobles hommes et iceux hommes venir à telle pauvreté qu’ils ne peuvent entretenir l’état de noblesse ». Cela n’empêchait pas que le Tiers État. parlait à genoux devant la noblesse dans les assemblées des États Généraux. Il vengeait sa dignité ainsi offensée sur le peuple, « taillable et corvéable à merci », qu’il traitait comme la noblesse le traitait. La noblesse, devenue pauvre, forma la classe odieusement vénale des courtisans entretenus parmi la valetaille de cour et avides de tous les emplois, même celui de porte-coton qu’elle remplissait avec une vanité toute aristocratique. Torcher le derrière du roi n’était pas un privilège ordinaire. Henri IV réduisit l’opposition protestante en achetant les consciences de ses chefs, Louis XIII, Richelieu et Mazarin en finirent de la même façon avec les dernières résistances féodales. Les seigneurs courtisans furent d’insatiables sangsues qui s’engraissèrent de faveurs et de pensions de toutes sortes.

Sous Louis XIV, où l’on eut plus que jamais besoin d’argent. pour faire la guerre et entretenir une royauté solaire, non seulement toutes les charges devinrent vénales, mais on en créa de nouvelles aussi inutiles qu’invraisemblables. On établit des offices de crieurs héréditaires d’enterrements, de vendeurs d’huîtres et jusqu’à des contrôleurs de perruques !… On vendit aussi les charges militaires. Avec l’argent qu’ils tiraient des faveurs royales et du maquereautage qu’ils