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son effort « dans la découverte de l’efficience », avant de recourir à la finalité. C’est pour compléter et justifier le déterminisme, non pour le détruire, que le philosophe Lachelier veut lui surajouter une finalité interne. Comme Kant, Hamelin situe la finalité hors de l’ordre temporel ; elle est une essence, un concept « qui est pur objet sans savoir encore se poser comme tel ». Goblot a le mérite de bannir toute interprétation métaphysique et de ne voir dans la finalité qu’une causalité orientée vers certains avantages. Chez l’homme c’est la causalité de l’idée ou du désir, chez l’être dépourvu d’intelligence c’est la causalité du besoin.

Avec Bergson, nous revenons aux vieilles duperies néo-vitalistes et même néo-animistes, puisque ce romancier de l’invisible identifie le principe de la vie au principe de la pensée. « Tout se passe, écrit-il, comme si un large courant de conscience avait pénétré dans la matière, chargé, comme toute conscience, d’une multiplicité énorme de virtualités qui s’entre pénétraient. Il a entraîné la matière à l’organisation, mais son mouvement en a été à la fois infiniment ralenti et infiniment divisé. D’une part, en effet, la conscience a dû s’assoupir, comme la chrysalide dans l’enveloppe où elle se prépare des ailes, et, d’autre part, les tendances multiples qu’elle renfermait se sont réparties entre des séries divergentes d’organismes, qui d’ailleurs extériorisaient ces tendances en mouvement plutôt qu’ils ne les intériorisaient en représentations. Au cours de cette évolution, tandis que les uns s’endormaient de plus en plus profondément, les autres se réveillaient de plus en plus complètement, et la torpeur des uns servait l’activité des autres. Mais le réveil pouvait se faire de deux manières différentes. La vie, c’est-à-dire la conscience lancée à travers la matière, fixait son attention sur son propre mouvement ou sur la matière qu’elle traversait. Elle s’orientait ainsi soit dans le sens de l’intuition, soit dans celui de l’intelligence. » On peut difficilement trouver une page dont la grandiloquence soit plus creuse ! Bergson prétend dépasser à la fois le mécanisme et le finalisme ; en réalité, il se borne à donner au problème de la vie une solution purement verbale. L’élan vital (c’est dans l’invention de cette mystérieuse et poétique expression que réside sa principale originalité) suffit, croit-il, à tout expliquer ; il réalise une abstraction et s’imagine avoir fait une découverte géniale.

Pour n’avoir pas à répondre aux innombrables objections que soulève sa théorie, notre philosophe déclare que l’intelligence humaine est « caractérisée par une incompréhension naturelle de la vie ». D’ailleurs la matière n’est qu’un « geste créateur qui se défait », en un sens donc quelque chose de négatif. « La vie est un mouvement, la matérialité est le mouvement inverse ». Merveilleuse jonglerie des mots qui permet à Bergson d’avoir un air profond, tout en parlant pour ne rien dire. Alors qu’il est esclave du plus grossier anthropomorphisme, qu’il ne peut déchirer le voile d’illusions subjectives qui lui cache le réel, notre phraseur s’imagine atteindre l’absolu. Il a su décrire dans un langage subtil des états d’âme fort difficiles à saisir, c’est un mérite du point de vue littéraire et psychologique, ce n’est pas suffisant pour qu’on prenne au sérieux ses fantaisies métaphysiques.

Seule, l’interprétation physico-chimique de la vie nous fait pénétrer dans le secret du monde organique ; seules les théories mécanistes se sont révélées fécondes du point de vue pratique. Certes notre ignorance est encore profonde concernant maints phénomènes biologiques de première importance, mais les plus beaux espoirs nous sont permis, si nous sommes persévérants. Par contre, ni le verbiage animiste ou vitaliste, ni celui de Bergson n’ont abouti à des découvertes notables. — L. Barbedette.


VIOLENCE C’est la qualité de ce qui est impétueux, emporté, irascible, quand il s’agit du caractère d’une personne ; c’est l’état de ce qui est d’une intensité anormale, lorsqu’il s’agit d’une chose. On dit également : « la violence de la tempête » ; « la violence des passions ».

Faire violence à quelqu’un, c’est le contraindre par la menace, ou par des mauvais traitements, soit à se soumettre à nos exigences, soit à se livrer à des actes en désaccord avec sa conscience, ou ses désirs personnels. Dans le langage sociologique, la violence c’est, par opposition à l’action légale et au prosélytisme pacifique, le recours à la force contre le droit commun, quel qu’en soit le motif. On dira, par exemple : « La crainte d’une révolution sociale prochaine a suscité la violence fasciste. »

Nous voyons par là que violence et autorité sont des mots apparentés par leur signification. La seule différence est en ceci : que la violence est toujours belliqueuse, brutale dans ses moyens, et qu’elle a pour objectif d’imposer sa loi, dans tous les cas, tandis que l’autorité peut être purement morale, et s’exercer sans contrainte sur les esprits, par le prestige du savoir ou l’évidence de la démonstration. On dira, par exemple : « Le nom de ce grand chirurgien fait autorité, et suffit à dissiper la méfiance. » Cependant, ce n’est guère que dans le domaine intellectuel et celui de la moralité que l’autorité s’exerce de cette manière. Au sein de la mêlée sociale, il en va tout autrement, et l’autorité, quand elle exige de milliers, et même de millions de citoyens, l’obéissance, est appelée inévitablement à user de sanctions diverses contre les récalcitrants, donc à s’appuyer, en dernier ressort, sur la violence. Il est, en conséquence, loisible de prétendre que l’autorité, dans le sens législatif du mot, représente la consécration de la violence triomphante, chaque fois que celle-ci, parvenue à ses fins, se pare de prétentions à la légitimité. On lit souvent, dans les textes, des phrases de ce genre : « La violence des factieux s’oppose à l’autorité du pouvoir constitué. » Mais c’est des deux côtés qu’il y a violence, et celle qui s’exerce au nom de l’État n’est pas forcément celle qui offre les garanties les meilleures.

Si un amant jaloux frappe une jeune fille, pour l’obliger à se donner à lui, ceci est qualifié de violence criminelle, parce que cet abus de pouvoir est illégal. Cependant, si le père de la jeune fille la fait emprisonner jusqu’à sa majorité dans une maison de correction, pour avoir voulu suivre celui qu’elle aime, il est dit que cet acte est légitime, parce qu’il relève de l’autorité paternelle et se trouve en conformité des dispositions légales en vigueur. À la vérité, il y a eu, dans les deux circonstances, contrainte par la force, et ce n’est pas le caractère licite de l’un, ou illicite de l’autre, qui est de nature à conférer à l’un quelconque de ces deux méfaits une apparence de justification.

Dans leur haine de l’organisation sociale actuelle, beaucoup de révolutionnaires ont été amenés, non à une interprétation rationaliste des faits sociaux, mais à un ensemble de conceptions paradoxales antibourgeoises, comme s’il n’y avait qu’à penser et agir exactement à l’opposé des classes dirigeantes pour approcher, en toutes choses, de la formule exacte. D’où, une tendance marquée à ne voir des abominations que dans la violence codifiée des institutions officielles, et à ne découvrir jamais ce que comporte d’aussi odieux et tyrannique la violence hors-la-loi, celle d’en bas, comme si les humains des classes exploitées, et ceux des tribus sauvages n’étaient, et ne pouvaient être capables, que de belles actions et de nobles sentiments. C’est une illusion dangereuse. Chez les primitifs enfants de la nature qui ne possèdent aucun écrit législatif, chez les illégaux qui vivent en marge de la société, chez nombre de travailleurs, il est des coutumes qui ont force de