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la chaleur, il faut maintenir chaude l’extrémité de la plume ou de la tige dont on se sert. Ce n’est pas à un refroidissement de la peau, mais à une hyperesthésie des nerfs du froid qu’est due l’action des crayons de menthol. Le sens thermique ne nous renseigne, en définitive, que sur les variations de température des objets extérieurs, considérées dans leur rapport avec celle de notre propre corps. On attribue à un mélange d’excitations thermiques et tactiles la sensation d’humidité.

Au sens de l’équilibre, ou sens statique, nous devons les sensations de mouvement rectiligne ou curviligne, de verticalité, d’inclinaison, de vertige, d’étourdissement. Il nous renseigne, en effet, sur la position de la tête au cours des divers mouvements accomplis et, par là même, d’une façon indirecte, sur l’attitude générale du corps. Les canaux semi-circulaires de l’oreille interne constituent les organes spéciaux du sens statique, ainsi que de multiples expériences l’ont démontré ; au nombre de trois chez l’homme, ils semblent correspondre aux trois dimensions de l’espace. Déjà, Flourens constatait « que la section des canaux semi-circulaires provoque chez les animaux des mouvements dont la direction correspond au plan du canal opéré. » La grenouille, dont on a sectionné les canaux horizontaux, ne nage plus en ligne droite, mais en cercle ; elle se balance autour de son axe longitudinal. Si l’on coupe ses canaux verticaux, elle saute en ligne droite au contraire. Des expériences analogues, faites sur des lapins et des pigeons, aboutissent à des résultats identiques. De plus, on observe que les animaux qui, comme les lamproies et les souris japonaises, ne possèdent qu’une ou deux paires de canaux semi-circulaires donnent, par leurs mouvements, l’impression de ne connaître qu’une ou deux dimensions de l’espace. Les souris japonaises, par exemple, tournent fréquemment sur elles-mêmes durant des heures entières ; elles n’avancent que par trajets circulaires et en diagonale. Chez l’homme, les lésions des organes du sens statique provoquent le manque d’équilibre et le vertige. « Si l’on tourne, les yeux fermés, plusieurs fois de suite sur le talon et si l’on s’arrête subitement, remarque Ebbinghaus, on a l’impression sensible, la plus vive, de tourner dans le sens contraire au précédent ; c’est une sensation des canaux semi-circulaires. Elle provient de ce qu’un anneau de liquide dans le canal horizontal, qui au début de la rotation du corps était resté un peu collé aux parois de celui-ci, tourne encore un moment lorsqu’on s’arrête brusquement et produit, sur les organes terminaux d’un nerf qui pénètrent dans ce liquide, une excitation contraire à la précédente. »

Certains animaux possèdent des sens dont nous comprenons très mal la nature : sens électrique, sens hygrométrique, sens de l’orientation, etc… On a beaucoup écrit, sans parvenir à formuler une explication satisfaisante, sur la faculté que possède le pigeon voyageur de regagner son gîte, même lorsqu’on le transporte à des centaines de kilomètres. Concernant les insectes, bien des choses restent à découvrir, non moins mystérieuses que celles qu’on connaît déjà. Mais, lentement, de patients chercheurs défrichent ces coins obscurs où rien n’échappe, pas plus qu’ailleurs, à la loi du déterminisme universel.

C’est dans l’étude des sensations que les psychologues se sont efforcés, pour la première fois, d’utiliser les procédés de mesure et de calcul chers aux physiciens et aux chimistes. Toute une école de psychophysiciens s’est donnée pour mission de préciser les relations qui unissent le monde physique au monde mental. Ils ont déterminé le sens de l’excitation, c’est-à-dire le minimum d’excitation requis pour qu’il y ait sensation, et surtout ils ont voulu exprimer en langage mathématique les rapports des impressions physiques et des sensations. Mais de telles recherches sont déli-

cates. Pour la sensation de pression, on pose sur le point de la peau que l’on veut explorer de petites balles de liège, afin de parvenir à déterminer le poids minimum perceptible. « Un grand nombre de recherches faites de cette manière, écrit Ribot, ont prouvé que la peau possède une sensibilité très variable suivant les régions explorées. Les régions les plus sensibles sont le front, les tempes, les paupières, le dos de la main ; elles peuvent sentir jusqu’à 1/500e de gramme. Le plat de la main, le ventre, les jambes sont des régions très peu sensibles, puisque le minimum perceptible tombe à 1/20e de gramme. Enfin, sur les ongles et au talon, il descend jusqu’à 19 grammes. Pour ce qui concerne l’effort musculaire, le minimum perceptible serait représenté, suivant Wundt, par le raccourcissement de 4/100 de millimètre du muscle droit interne de l’œil. » Lorsque la main est à 18° environ, il faut une élévation de 1/8 de degré pour éprouver une sensation thermique. D’après Volkmann, la plus petite sensation lumineuse perceptible serait égale à l’éclairage d’un velours noir par une bougie placée à une distance de 7, 7 pieds. Pour l’ouïe, le bruit le plus faible qui puisse franchir le seuil de la conscience est l’équivalent du son produit par une boule de liège de 1 milligramme, tombant de 1 millimètre de haut, l’oreille étant à 91 millimètres de distance.

Mais c’est à déterminer les rapports de l’excitation à la sensation que se sont particulièrement attachés les psychophysiciens. Déjà Weber constatait que la sensation croît d’une manière discontinue, même quand l’excitation croît d’une manière continue, et qu’une excitation nouvelle, pour être sentie, doit être d’autant plus faible que l’excitation à laquelle elle s’ajoute est plus faible, d’autant plus forte que l’excitation à laquelle elle s’ajoute est plus forte. D’où la loi suivante, appelée loi de Weber : « L’accroissement de l’excitant nécessaire pour produire un accroissement perceptible de la sensation est une fraction constante de cet excitant. » Fechner essaya de préciser la loi de Weber et de trouver une formule exprimant le rapport de toute excitation à toute sensation. Il utilisa trois méthodes ingénieuses : celle des plus petites différences perceptibles, celle des cas vrais et faux, celle des erreurs moyennes, et multiplia les expériences. Finalement, il parvint à énoncer la loi psychophysique qui porte son nom : « La sensation croît comme le logarithme de l’excitation. » En d’autres termes, lorsque les excitations croissent en progression géométrique, les sensations croissent en progression arithmétique. Les mesures opérées par Fechner n’étaient pas irréprochables ; on a dû les modifier. De plus, sa formule ne tenait pas assez compte de la complexité des faits. Néanmoins, malgré les critiques acerbes qu’on a coutume de lui adresser, il n’est pas vrai que sa tentative ait complètement échoué. Nous savons maintenant, de la façon la plus certaine, qu’il n’y a ni égalité, ni équivalence entre les variations d’intensité de l’excitation et les variations d’intensité de la sensation. En outre, nous constatons que la sensation n’est pas un état simple et irréductible, comme le prétendent les spiritualistes, mais qu’elle est une synthèse, le résultat d’un travail organique préalable.

Taine, penseur généralement soucieux de ne point déplaire aux bien-pensants, estimait dans son livre L’Intelligence que les sensations n’ont pas le caractère de simplicité qu’on leur attribue : « La psychologie est aujourd’hui en face des sensations prétendues simples, comme la chimie, à son début, était devant les corps prétendus simples. En effet, intérieure ou extérieure, l’observation, à son premier stade, ne saisit que des composés ; son affaire est de les décomposer en leurs éléments, de montrer les divers groupements dont les mêmes éléments sont capables, et de construire avec eux les divers composés. Le chimiste